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Un retour des frontières ?

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Des États-Unis de Donald Trump à la Chine de Xi Jinping, de nombreux États sont aujourd'hui tentés par la construction de nouveaux murs. Pourquoi ? Avec quels résultats?

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La formidable poussée de mondialisation des dernières décennies du 20e siècle semble effacer les barrières entre États. Tout est fait pour faciliter les circulations de marchandises de capitaux, d'idées d'individus. Les accords de Schengen ne sont qu'une illustration parmi beaucoup d'autres de cette disparition - apparente - des frontières. En fait, les contrôles à des points établis ou officiels de passage laissent la place à des contrôles en continu. Les surveillances se font furtives tant pour freiner le moins possible l'augmentation spectaculaire des déplacements - notamment de personnes dans les gares et les aéroports - qu'en raison du développement d'outils plus discrets et plus efficaces de surveillance (caméras, échanges d'informations). Les frontières sont toujours là, prêtes à redevenir visibles, tangibles, si les circonstances l'exigent. Les frontières se multiplient même du fait de l'éclatement des « prisons de peuples » : Union soviétique, Yougoslavie, Tchécoslovaquie, Soudan...

Les murs au coeur de la souveraineté étatique

Tout au long de l'histoire, les lignes de séparation entre sociétés, entre entités politiques ne cessent de se faire plus nettes, plus contraignantes. Chacun doit être chez soi et connaître exactement son espace. Ainsi en est-il de l'État souverain, maître absolu à l'intérieur de ses frontières, unité fondamentale du système international. L'une des tentations permanentes a été d'ériger des murs entre les États.

  • Les murs sont à la fois omniprésents et voués à être bousculés ou contournés

La Muraille de Chine demeure le plus impressionnant exemple de l'ambivalence des murs. En réalité, une succession de murailles constamment reconstruites, elle est une entreprise sans fin, jamais achevée, toujours reprise. Censée stopper les barbares, la Muraille n'empêche en rien la Chine d'être submergée par les Mongols, les Mandchous, et enfin, au 19e siècle, par la modernité européenne, les envahisseurs britanniques et français surgissant de l'océan. Les murs auto-enferment les peuples, les installant dans l'illusion redoutable qu'ils sont le monde. La révolution maoïste peut être analysée comme une ultime tentative de clore la Chine, le successeur Deng Xiaoping, se rendant  compte que la Chine ne décollera qu'en démantelant sa muraille. Un État ne peut exister sans son inscription dans un territoire reconnu par les autres pour être pleinement légitime. Selon le cours hasardeux de l'histoire, victoires et défaites déplacent les frontières. Ces dernières ne disparaissent pas pour autant. Elles s'ouvrent si la croissance encourage le développement des échanges (années 1850, trente glorieuses). Elles se ferment si, au contraire, des difficultés économiques (années 1930, années 2010) font craindre la fuite des richesses. Les États sont voués à chercher un équilibre toujours insatisfaisant entre l'impératif de sécurité (tout contrôler, donc paralyser les flux) et l'exigence de circulation (tout laisser passer, donc renoncer à tout ordre territorial).

  • Les murs sont des composantes de stratégies globales

La quasi-totalité des forteresses assiégées, de la Troie d'Homère au Paris de 1870, finissent par être prises. Quelques unes résistent et ne tombent pas. D'août 1941 à janvier 1944, Leningrad (Saint-Pétersbourg) subit un siège atroce de 900 jours mais ne se laisse pas prendre, tant parce que l'armée allemande a pour instruction d'affamer les habitants que parce qu'un approvisionnement de l'extérieur parvient à être rétabli.

Les murs et leur défense ne sont jamais une solution en soi. L'autarcie ne peut être qu'une rhétorique : Cuba, en fait soutenu par l'Union soviétique, la Corée du Nord, bénéficiant de la bienveillance de son voisin, l'énorme Chine. Les enfermements (zones se voulant autosuffisantes dans les années 1930-1945 - Europe allemande, Japon impérial…, - camp soviétique) obéissent à une logique de guerre, tenus par une puissance hégémonique lancée dans des conquêtes sans fin jusqu'à l'effondrement.

Au-delà des murs ?

La mondialisation des dernières décennies du 20e siècle constitue la terre entière en un système économique unique, du fait à la fois d'une convergence d'innovations (par exemple, conteneurs, Internet) et d'un nomadisme accru, tant des entreprises (délocalisations) que des individus (migrations de toutes sortes). Que peut-être un retour des murs aujourd'hui ? Quelles significations ? Quelle efficacité ?

  • La compétition sans fin entre sédentaires et nomades

Dès que se précipitent les événements (depuis le début des années 2000, enchaînement de chocs, des attentats du 11 septembre 2001 à l'effondrement du marché immobilier américain - subprimes - en 2007-2008), les demandes de contrôle, de protection prolifèrent. Mais, la prospérité ne se dissociant pas de l'échange, il est vital de préserver la fluidité, la rapidité des circulations. L'imagination des opérateurs, loin d'être entravée par les contrôles, est stimulée, excitée par eux. Ainsi, dans le domaine financier, l'alourdissement des réglementations conduit à l'invention d'instruments ou de structures les contournant (par exemple, shadow banking, la banque dans l'ombre). La mondialisation porte à l'incandescence les conflits entre sédentaires et nomades. Les premiers - les États -, soudés à leur territoire, n'ont que ce dernier à offrir; d'où une concurrence féroce entre États pour attirer touristes et investisseurs... Les nomades - individus, entreprises, groupes de toutes sortes - ont besoin de s'enraciner dans un ou des territoires, mais la mondialisation les met en mesure de se déplacer de l'un à l'autre, déjouer, d'arbitrer entre eux. La relation entre sédentaires et nomades devient moins inégale, les seconds - surtout s'ils disposent de ressources intellectuelles, financières ou autres - marchandant leur venue chez les premiers.

  • La quête aveugle d'une gouvernance dépassant les murs

Inexorablement, de manière anarchique, les flux, les réseaux se faufilent à l'intérieur des murs, les fendillent puis les disloquent. Les États - tant les États-Unis de Donald Trump que la Chine de Xi Jinping - sont tentés par des mesures de fermeture ou d'isolement. Le prix est lourd : contraction des échanges, appauvrissement, fuite des plus doués, méfiance des partenaires... Aucune région du monde ne peut aujourd'hui prétendre à l'autosuffisance. Toute économie, plus elle est vaste et diversifiée, doit se nourrir en permanence d'apports extérieurs (produits rares, techniques les plus récentes) et trouver ses niches dans cette terre mondialisée.

À tâtons, prend forme une gouvernance au-delà des murs. Notre planète est un espace soumis à des défis globaux incontournables, écologiques mais aussi économiques, militaires, culturels, politiques... Là où les gouvernances en chantier bricolent des dispositifs voués à demeurer longtemps expérimentaux, de la lutte contre les pandémies à la normalisation des paradis fiscaux, du G20 aux accords sur le changement climatique. Les chantiers sont considérables, devant tenter de concilier d'innombrables intérêts en conflit. Les agences internationales ne peuvent rien imposer à des États prompts à mettre en avant leur souveraineté. Tout doit donc être négocié, personne ne pouvant prétendre détenir la solution.

Article paru dans la revue Sciences humaines, n° 290, mars 2017
 

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Philippe MOREAU DEFARGES

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Ancien Chercheur et co-directeur du RAMSES

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