Une Allemagne déboussolée, en voie de reconstruction

Pour évaluer l’impact de la guerre d’agression russe contre l’Ukraine, l’Allemagne recourt volontiers au terme de « Zeitenwende » (« changement d’époque »). Le chancelier Scholz l’utilisa notamment devant le Bundestag, le 27 février 2022, et dans un article paru dans Foreign Affairs en janvier 2023 pour justifier son intention de procéder à une augmentation substantielle des dépenses militaires allemandes.

L’intervention russe en Ukraine représente pour Berlin l’échec cuisant d’un peu plus de trois décennies de politique étrangère, et surtout celui de sa « politique vers l’Est » qui fut en réalité, pour l’essentiel, une politique russe. Convaincue qu’on pouvait séparer les intérêts commerciaux des enjeux politiques et que les premiers permettaient d’agir sur les seconds et de prévenir des conflits militaires, l’Allemagne a en effet engagé, sous les gouvernements Schröder et Merkel, des partenariats stratégiques de grande envergure avec la Russie et la Chine. Moscou lui a fourni de l’énergie bon marché (35 % de ses importations de pétrole, 50 % de son charbon et 55 % de ses importations de gaz), tandis que la Chine de Xi Jinping est devenue le premier partenaire commercial de la République fédérale.
Parallèlement, la part du PIB investi dans la défense est tombée en moyenne à 1,3 %. Suscitant depuis de nombreuses années déjà de fortes critiques à l’Ouest, notamment aux États-Unis, mais aussi en France et surtout en Europe du Centre-Est, le modèle géopolitique (et, pour une large partie, économique) de l’Allemagne est aujourd’hui sur la sellette, pour ne pas dire dans l’impasse…
Hans Stark, professeur de civilisation allemande contemporaine à Sorbonne Université et conseiller pour les relations franco-allemandes à l'Ifri.
- Lire l'article dans la revue Commentaire N° 182 Été 2023, pages 349 à 356.
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