En février 2025, le Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle, se tient en France. La Russie fera figure de grand absent de ce sommet. Pourtant, Vladimir Poutine est l’un des premiers hommes d’Etat à avoir considéré l’intelligence artificielle comme un tournant géopolitique majeur. Alors que l’économie de la Russie s’est entièrement tournée vers la guerre en Ukraine, Moscou cherche désormais à rattraper son retard. Entretien avec Julien Nocetti, chercheur associé à l’IFRI, l’Institut Français des Relations Internationales.

En 2017, Poutine affirme, lors d'un discours, « Celui qui maîtrisera l'intelligence artificielle », deviendra le maître du monde. Quel est le contexte dans lequel il prononce cette phrase ?

Julien Nocetti. Ce que Poutine sous entend alors c'est que l'IA constitue un levier de puissance incontournable dans les rapports internationaux. C'est une hyperbole qui effectivement a été beaucoup commentée, peut-être ad nauseam à mon avis. Quand il a prononcé cette phrase, devant un parterre d'étudiants à Yaroslav en Russie, c'était pour essayer de montrer un niveau d'urgence en interne, en Russie, à agir dans le secteur de l'intelligence artificielle. L'autre élément intéressant, c'est que ces propos du président russe interviennent juste après la présentation par les autorités chinoises d'un très vaste plan très ambitieux sur l'intelligence artificielle, qui va ensuite constituer un vrai levier de puissance au profit de Pékin.

Pourtant, la Russie a une longue histoire des mathématiques, de l'informatique aussi. On pourrait penser qu'elle prédestine finalement ce pays à se tourner très tôt vers l'intelligence artificielle...

Effectivement, la Russie de Poutine ne part pas de zéro sur ce qui a été et sur ce qu'est devenue, aujourd'hui l'intelligence artificielle. Côté russe, il y a eu et il subsiste toujours une école de mathématiques fondamentale et de physique aussi, qui est restée relativement performante aujourd'hui, et qui continue d'alimenter les recherche fondamentale et appliquée de la Russie.

A l'époque de la guerre froide, l'IA à la soviétique a suivi une trajectoire plus ou moins similaire à ce qui était en cours côté américain, côté occidental, c'est-à-dire des espoirs placés dans l'automatisation et dans l'IA et des périodes de désillusion. Donc aux premières découvertes, aux premiers espoirs dans les années 1950 et 1960, ont suivi des phases de retrait, de plus grande timidité dans les années 1970-1980, 1990 également... Avant de réémerger à la faveur du tournant des années 2010, à un moment où les progrès réalisés en matière de machine learning, où les jeux de données produits par l'utilisateur étaient tellement conséquents que ça pouvait servir à alimenter des systèmes d'IA.

C'est ce moment précis où la Russie a commencé à se positionner timidement certes, sur l'intelligence artificielle, avant l'élaboration, à la fin de la décennie, d'une Stratégie nationale qui se voulait un peu une sorte d'habeas corpus du sujet IA, sans y associer pour autant la dimension citoyenne - loin de là - avec une forme d'hésitation à trancher sur le secteur civil et sur le secteur militaire.

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