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Après les élections au Japon: le changement dans la continuité

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À plusieurs titres, les élections générales qui se sont tenues au Japon le dimanche 31 octobre étaient attendues, et ont créé la surprise.

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Les observateurs avaient parié sur un recul substantiel du parti au pouvoir, le Parti libéral démocrate (PLD). Ce dernier a, contre toute attente, bien résisté, donnant au Premier ministre Fumio Kishida une assise confortable pour dérouler son programme qui s’inscrit largement dans la continuité du bilan de Shinzo Abe.

La coalition conservatrice au pouvoir résiste

Premier scrutin national organisé après le long mandat du Premier ministre Shinzo Abe (2012-2020), ces élections constituaient un test pour le PLD. Le parti est arrivé aux élections relativement affaibli. Le Premier ministre Yoshihide Suga, qui a essuyé de fortes critiques quant à sa gestion de la crise du Covid-19, a décidé de laisser sa place début octobre. Son remplaçant, Fumio Kishida, n’a pas bénéficié d’un état de grâce auprès de l’opinion[i]. Pour la première fois depuis des années, les élections générales se sont déroulées au terme d’une législature de quatre années et ne résultent pas d’une dissolution de confort – pratique qu’affectionnait M. Abe. L’opposition politique, plutôt faible et divisée, a donc eu le temps de s’organiser. Le Parti démocrate constitutionnel (PDC), principale force d’opposition, s’était entendu avec les autres partis de gauche (le Parti pour le peuple, le Parti social-démocrate et le Parti communiste) pour présenter un candidat unique dans la grande majorité des circonscriptions. Le PDC a également proposé un programme structuré avec un projet de société plus social et progressiste, offrant une vraie alternative au PLD. Les conditions étaient donc réunies pour que le PLD et son allié, le parti bouddhiste-démocrate Komeito, perdent leur majorité qualifiée à la Chambre basse, au profit d’une opposition progressiste plus robuste menée par le PDC.

Or, si la coalition conservatrice a bien accusé un recul de 17 sièges, le reflux n’est pas aussi important qu’anticipé : le PLD et le Komeito restent à la tête d’une majorité confortable (293 sièges sur 465), qui leur donne le contrôle des commissions parlementaires et la maîtrise de l’agenda législatif. Le PLD seul conserve une majorité simple (261 sièges) de nature à assurer un soutien stable au gouvernement en place. Certains poids lourds du parti ont toutefois été sanctionnés : Akira Amari, le secrétaire général et n° 2 du PLD a perdu son siège, ce qui l’a conduit à présenter sa démission.

Il n’y a donc pas eu de véritable vote sanction contre le PLD, mais pas de vote d’adhésion non plus. Le taux de participation est en effet resté faible, de l’ordre de 55 %, ce qui a avantagé le vote conservateur traditionnellement dirigé vers le PLD. Autre indicateur inquiétant pour le dynamisme de la démocratie japonaise, 74 % des députés élus étaient déjà en place, symbolisant le difficile renouvellement du personnel politique.

Par ailleurs, les performances de l’opposition de centre-gauche ont été décevantes, et c’est un parti de droite populiste qui a en réalité tiré son épingle du jeu. Le parti de l’Innovation (Ishin no Kai) a en effet quadruplé le nombre de ses sièges (41) pour devenir le troisième parti de la Chambre basse[ii]. Il s’appuie sur son bilan dans l’agglomération d’Osaka où il est au pouvoir depuis 2012 et porte un programme fondé sur la dérégulation, la baisse des impôts et des taxes, et la décentralisation[iii]. Pour le moment, ses dirigeants ont indiqué vouloir constituer une opposition constructive, même si certaines convergences de fond (notamment sur les questions de défense et la révision de la Constitution) pourraient les amener à soutenir la majorité gouvernementale.

Quelles priorités pour le gouvernement Kishida ?

Fumio Kishida devra concilier ses priorités personnelles – la mise en place d’un nouveau modèle économique – et celles portées par son parti, et notamment son aile la plus conservatrice, qui lui a permis d’accéder à la présidence du PLD. Parmi ces priorités, l’augmentation du budget de la défense figure en bonne place.

Vers un « nouveau capitalisme japonais » ?

Le premier défi de M. Kishida est de faire sortir le Japon de la pandémie. Le taux de vaccination est maintenant élevé (plus de 70 % des adultes ont reçu une double dose) et le pays commence à rouvrir ses frontières aux voyageurs d’affaires. Assurer la relance économique du pays est une priorité et le gouvernement travaille sur un plan de relance massif de plusieurs dizaines de milliards d'euros, qui devrait être annoncé courant novembre.

Lors de ses premières prises de parole, le Premier ministre, prenant ses distances avec la politique économique de Shinzo Abe, a indiqué vouloir mettre en place un « nouveau capitalisme » japonais, fondé sur la redistribution des richesses afin de réduire les inégalités et recréer une vaste classe moyenne. Ses appels à taxer plus fortement les revenus du capital et à augmenter les salaires ont toutefois déjà rencontré des oppositions au sein du PLD, incitant Kishida à nuancer ses propos. Il a par la suite conditionné la mise en place de mesures de redistribution au retour de la croissance[iv]. Le plan de relance offrira néanmoins des subventions aux travailleurs précaires, aux familles en difficulté et aux entreprises touchées par la crise liée au Covid-19.

Dépenses de défense et formulation des priorités stratégiques du Japon

Les questions de défense, généralement peu débattues lors des élections, ont cette fois fait l’objet de discussions. Le programme du PLD a en effet, de manière inédite, évoqué le doublement du budget de la défense pour atteindre 2 % du produit intérieur brut (PIB) – à l’instar des pays de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord – bousculant la norme politique qui maintenait jusqu’alors la part des dépenses militaires sous le seuil symbolique de 1 % du PIB. Pour autant, il y a loin de la coupe aux lèvres[v]. Cette mention n’a en effet pas fait l’objet de précisions ultérieures, ni été reprise à son compte par Fumio Kishida. Par ailleurs, le Komeito a fait part de ses doutes quant au bien-fondé de cette mesure. Enfin et surtout, les ressources d’un gouvernement déjà lourdement endetté (260 % du PIB) vont d’abord être consacrées aux problématiques économiques et sociales, préoccupation centrale de la population japonaise. Plutôt qu’une hausse importante des dépenses de défense, il faut s’attendre à une progression linéaire de l’ordre de 2 % par an, prolongeant la tendance visible depuis 2012.

Le gouvernement va surtout s’atteler à l’actualisation de la Stratégie de sécurité nationale (2013) entérinant la priorité donnée à la sécurité économique dans le contexte de la rivalité sino-américaine – un ministère dédié a été mis en place en octobre[vi]. De nouvelles orientations de défense devraient également être publiées dans la foulée, avec des avancées attendues sur les capacités de défense antimissiles, certaines capacités offensives et des efforts portés sur les nouveaux domaines de la conflictualité (cyber, espace).

La question de la révision de la Constitution sera sans doute également mise à l’ordre du jour, car une grande majorité des députés y est aujourd’hui favorable. Toutefois, la priorité pour le Premier ministre Kishida est d’arriver en position de force aux élections à la Chambre haute, prévues en juillet 2022. Les dossiers plus controversés attendront.


[i]. “Kishida Approval Rating Starts at 59 %, Below Abe and Suga: Nikkei Poll”, Nikkei Asian Review, 5 octobre 2021, disponible sur : asia.nikkei.com.

[ii]. R. Ward, “Now the Work Begins for Japan’s Kishida Following Election Win”, IISS Analysis, 1er novembre 2021, disponible sur :  www.iiss.org.

[iii]. J. Park et K. Takenaka, « Dark Horse Right-wing Party Emerges as Third-largest in Japan Lower House”, Reuters, 1er novembre 2021, disponible sur : www.reuters.com.

[iv]. A. G. Mulgan, “Confusion Reigns over Kishida’s Big Economic Promises”, East Asia Forum, 29 octobre 2021, disponible sur : www.eastasiaforum.org.

[v]. M. Bosack, “The LDP Says the Party Will Double Japan’s Defense Spending. Can It?”, The Japan Times, 20 octobre 2021, disponible sur : www.japantimes.co.jp.

[vi]. K. Inagaki et L. Lewis, “Japan’s Economic Security Minister Warns on Chip Industry Survival”, Financial Times, 19 octobre 2021, disponible sur : www.ft.com.

 

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979-10-373-0438-4

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Après les élections au Japon: le changement dans la continuité

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Céline PAJON

Intitulé du poste

Chercheuse, responsable de la recherche Japon et Indo-Pacifique, Centre Asie de l'Ifri

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Gros plan sur le monde asiatique
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L’Asie est le théâtre d’enjeux multiples, économiques, politiques et de sécurité. Le Centre Asie de l'Ifri vise à éclairer ces réalités et aider à la prise de décision par des recherches approfondies et le développement d’une plateforme de dialogue permanent autour de ces enjeux.

Le Centre Asie structure sa recherche autour de deux grands axes : les relations des grandes puissances asiatiques avec le reste du monde et les dynamiques internes des économies et sociétés asiatiques. Les activités du Centre se concentrent sur la Chine, le Japon, l'Inde, Taïwan et l'Indo-Pacifique, mais couvrent également l'Asie du Sud-Est, la péninsule coréenne et l'Océanie.

Le Centre Asie entretient des relations institutionnelles suivies avec des instituts de recherche homologues en Europe et en Asie et ses chercheurs effectuent régulièrement des terrains dans la région.

Il organise à Paris tables-rondes fermées, séminaires d’experts, ainsi que divers événements publics, dont sa Conférence annuelle, avec la participation d’experts d’Asie, d’Europe ou des Etats-Unis. Les travaux des chercheurs du Centre et de leurs partenaires étrangers sont notamment publiés dans la collection électronique Asie.Visions.

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