Rechercher sur Ifri.org

À propos de l'Ifri

Recherches fréquentes

Suggestions

COVID-19 : un premier bilan politique en Chine

Éditoriaux
|
Date de publication
|
Référence taxonomie collections
Lettre du Centre Asie
Image de couverture de la publication
julienne_covid-19_2020_page_1.jpg
Accroche

Comment la Chine gère les conséquences politiques du coronavirus ? Alors que la crise sanitaire semble se stabiliser en Chine, on peut tenter de dresser un premier bilan des conséquences du COVID-19 sur la politique intérieure.

Image principale
shutterstock_1654965751.jpg
Corps analyses

Début mars, l’épidémie a dépassé en Chine les 90 000 personnes infectées et les 3 000 décès. Il convient toutefois de rappeler que ce n’est pas le taux de mortalité du virus qui est le plus directement alarmant, mais sa transmissibilité et le nombre d’inconnues qui entourent son développement, comme la période d’incubation, l’absence de symptômes chez certains patients infectés, et la réinfection de patients déjà contaminés. Si plus de 3 000 personnes y ont succombé – majoritairement âgées de plus de 60 ans et présentant des vulnérabilités de santé préexistantes –, plus de 50 000 patients en ont guéri. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé fin janvier 2020 qu’une équipe conjointe d’experts de l’OMS et de Chine avait « constaté que le taux de mortalité oscill[ait] entre 2 % et 4 % à ‎Wuhan, et qu'il [était] de 0,7 % en dehors de Wuhan »[1]. Ainsi, l’impact sanitaire du COVID-19 en Chine apparaît relativement limité si on le compare avec la grippe saisonnière, par exemple, qui « touche 2 à 8 millions de personnes et est responsable en France de 10 000 à 15 000 décès chaque année », selon l’Institut Pasteur[2]. La crise sanitaire s’est cependant rapidement muée en crise économique, politique et sociale, à mesure que l’épidémie a progressé.

La réponse tardive et forte d’un régime léniniste face à l’épidémie

En France, le débat a fait rage autour de la gestion de l’épidémie par les autorités chinoises. Certains observateurs ont attaqué la faillite du système politique et les mensonges des autorités chinoises, tandis que d’autres ont salué la réactivité et les mesures mises en œuvre par Pékin, comme le ministre français de la Santé, Olivier Véran, qui a par ailleurs estimé qu’il n’était « pas sûr qu’il serait possible de réaliser ça dans un pays où les réseaux sociaux seraient ouverts »[3]

Nous proposons ici une analyse plus nuancée de la gestion de l’épidémie en Chine. Les autorités ont effectivement pris des mesures spectaculaires, mais seulement à partir du moment où les dysfonctionnements structurels du régime politique ont pu être dépassés.

En effet, les dysfonctionnements inhérents au système léniniste chinois ne permettent pas à l’information de circuler efficacement entre les échelons administratifs locaux et le pouvoir central. La discipline et les objectifs imposés aux cadres locaux par le pouvoir central ont pour conséquence de ne faire remonter à Pékin que les bonnes nouvelles et de dissimuler les mauvaises. Ainsi, l’identification et les mesures prises contre l’épidémie se sont révélées chaotiques et contre-productives, notamment quand la police de Wuhan a préféré arrêter et réprimander les médecins lanceurs d’alerte plutôt que d’écouter les mises en garde et se prémunir contre le risque épidémique. Le COVID-19 a ainsi révélé les vulnérabilités du système administratif chinois dans la gestion de crise.

Les autorités centrales ont finalement rendu publics les cas de coronavirus identifiés et ont reconnu un risque épidémique d’ampleur à la mi-janvier, soit plus d’un mois après les premières contaminations. Le bilan du nombre de personnes infectées augmentant très rapidement, Pékin s’est résolu le 22 janvier à prendre des mesures fortes et de grande envergure pour tenter d’endiguer l’épidémie. La ville de Wuhan, capitale provinciale du Hubei et épicentre de l’épidémie, ainsi que deux municipalités voisines ont été placées en quarantaine, suivies par l’ensemble de la province et de nombreuses autres localités à travers la Chine. Parallèlement, les festivités du Nouvel an le 25 janvier ont été annulées, les transports ferroviaires et aériens ont été restreints, et des centaines de médecins militaires ont été dépêchés au Hubei. Autre mesure spectaculaire, deux hôpitaux d’une capacité totale de 2 600 lits ont été construits en une dizaine de jours à Wuhan.

Outre les mesures sanitaires, le pouvoir central a également pris des mesures politiques pour se prémunir contre une éventuelle épidémie de critiques envers le régime. La mort du Dr. Li Wenliang des suites du coronavirus a déclenché un vent de contestation sur les réseaux sociaux chinois. Le Dr. Li avait été le premier à alerter sur le cas de sept patients atteints d’un coronavirus le 30 décembre 2019. Le 3 janvier, il a été convoqué par la police. Il a reçu un avertissement et a été contraint de reconnaître avoir « illégalement propagé de faux propos sur Internet » et d’avoir « gravement perturbé l'ordre social ». Il a peu après contracté le COVID-19 et est décédé dans la nuit du 6 février. Même sa mort a fait l’objet d’informations contradictoires dans les médias officiels. Les réseaux sociaux se sont alors enflammés et, dans la foulée, des universitaires et intellectuels chinois ont signé une pétition et publié des tribunes à charge contre le Parti (notamment Xu Zhangrun, Xu Zhiyong et Guo Yuhua). Cette vague de contestations a rapidement été reprise en main par la censure : Internet et les réseaux sociaux ont été purgés des contenus critiques, tandis que des intellectuels ont été assignés à résidence ou ont disparu pour certains (l’avocat Chen Qiushi par exemple).

La Chine a ainsi fait montre d’une grande réactivité dans la réponse sanitaire, mais celle-ci ne doit cependant pas masquer les dysfonctionnements structurels qui ont gravement retardé la lutte contre l’épidémie, ainsi que la réponse politique radicale à l’encontre de la société civile.

Le risque politique et la reprise en main des autorités

La contestation sociale soulève la question des conséquences politiques du COVID-19 en Chine. Le président Xi Jinping fait face à un double défi au travers de cette crise : d’une part la remise en question de son autorité au sein du Parti, et d’autre part la contestation de sa légitimité au sein de la population.

Dans les arcanes du Parti communiste, les détracteurs de Xi Jinping pourraient chercher à utiliser le COVID-19 comme une énième preuve des erreurs de gouvernance de l’équipe dirigeante. Pour certaines élites au sein du Parti, le mouvement pro-démocratie à Hong Kong, la campagne de rééducation au Xinjiang, ou encore les élections à Taïwan remportées par le Parti démocrate progressiste sont autant d’échecs qui résultent d’analyses erronées et de mauvaises décisions politiques de Xi Jinping.

Le second défi pour Xi Jinping et l’ensemble du Parti est la remise en question au sein de la société de la capacité du Parti à assurer la protection de la population. Un contrat social tacite existe en Chine entre le Parti et la population. Le Parti garantit à cette dernière sécurité (physique, sanitaire, alimentaire) et prospérité, en échange de quoi la population accorde sa légitimité au Parti et le laisse gérer unilatéralement les affaires politiques. La perte de confiance de la population dans la capacité du Parti à assurer la sécurité sanitaire du pays pourrait fissurer ce contrat social.

Face à ces défis, le pouvoir central a opté pour une stratégie de verrouillage politique de la crise, mise en œuvre par la garde rapprochée du président. L’objectif pour Xi Jinping est de placer des hommes de confiance afin de maîtriser les évolutions sanitaires, politiques et sociales de la crise, et ainsi d’éviter que les failles administratives ne soient utilisées contre lui. Le lendemain de la mort de Li Wenliang, Pékin a envoyé à Wuhan Chen Yixin, proche conseiller de Xi et actuel secrétaire de la puissante Commission politique et légale centrale, la plus haute instance chinoise responsable du maintien de la stabilité et de la sécurité publique.

Le 11 février les premiers cadres provinciaux ont été limogés. Deux des principaux responsables de la Commission Santé du Hubei (Zhang Jin et Liu Yingzi) ont été remplacés par un cadre d’échelon central, le directeur adjoint de la Commission nationale de la Santé et du planning familial, Wang Hesheng. Les jours suivants, le secrétaire du Parti du Hubei, Jiang Chaoliang, et le secrétaire du Parti du Wuhan, Ma Guoqiang, ont tous deux été remplacés par des proches de Xi Jinping, respectivement Ying Yong, précédemment secrétaire du Parti de Shanghai, et Wang Zhonglin, ex-secrétaire du Parti de la capitale provinciale de Jinan.

Au cœur du pouvoir central, deux enseignements contradictoires peuvent être tirés de la gestion du COVID-19. Le premier serait que l’autoritarisme du régime, l’absence de liberté d’expression et les failles dans la circulation de l’information sont à l’origine des erreurs dans la gestion de crise. Aussi, une plus grande ouverture permettrait de pallier ces manquements à l’avenir. L’enseignement inverse retiendrait que c’est justement le manque d’autoritarisme, ou d’approfondissement du « socialisme aux caractéristiques chinoises », qui a permis ces erreurs. Dans cette seconde hypothèse, il faudrait poursuivre la centralisation du pouvoir et le renforcement du contrôle politique sur l’appareil d’État et la société civile pour bâtir un système plus efficient. Au vu des mesures de censure et de répression, et de la reprise en main politique du Hubei, il apparaît que le pouvoir central a d’ores et déjà opté pour la seconde option.

 

Cet article a également été publié sur le site de Telos.

 

[1]. « Allocution liminaire du Directeur général de l’OMS lors du point ‎presse sur la COVID-19 du 24 février 2020 », Organisation mondiale de la santé, disponible sur : www.who.int.

[2]. Fiches maladies de l’Institut Pasteur, « La Grippe », disponibles sur : www.pasteur.fr.

[3]. « Olivier Véran sur le coronavirus : "La France est prête car nous avons un système de santé extrêmement solide" », France Inter, 18 février 2020, disponible sur : www.franceinter.fr.

 

Decoration

Contenu disponible en :

Régions et thématiques

Thématiques analyses

ISBN / ISSN

979-10-373-0134-5

Partager

Téléchargez l'analyse complète

Cette page ne contient qu'un résumé de notre travail. Si vous souhaitez avoir accès à toutes les informations de notre recherche sur le sujet, vous pouvez télécharger la version complète au format PDF.

COVID-19 : un premier bilan politique en Chine

Decoration
Auteur(s)
Photo
marc_profil_ifri.jpg

Marc JULIENNE

Intitulé du poste
Directeur du Centre Asie de l'Ifri
Image principale
Gros plan sur le monde asiatique
Centre Asie
Accroche centre

L’Asie est le théâtre d’enjeux multiples, économiques, politiques et de sécurité. Le Centre Asie de l'Ifri vise à éclairer ces réalités et aider à la prise de décision par des recherches approfondies et le développement d’une plateforme de dialogue permanent autour de ces enjeux.

Le Centre Asie structure sa recherche autour de deux grands axes : les relations des grandes puissances asiatiques avec le reste du monde et les dynamiques internes des économies et sociétés asiatiques. Les activités du Centre se concentrent sur la Chine, le Japon, l'Inde, Taïwan et l'Indo-Pacifique, mais couvrent également l'Asie du Sud-Est, la péninsule coréenne et l'Océanie.

Le Centre Asie entretient des relations institutionnelles suivies avec des instituts de recherche homologues en Europe et en Asie et ses chercheurs effectuent régulièrement des terrains dans la région.

Il organise à Paris tables-rondes fermées, séminaires d’experts, ainsi que divers événements publics, dont sa Conférence annuelle, avec la participation d’experts d’Asie, d’Europe ou des Etats-Unis. Les travaux des chercheurs du Centre et de leurs partenaires étrangers sont notamment publiés dans la collection électronique Asie.Visions.

Image principale

L’essor du programme spatial taïwanais : Construire une industrie, soutenir la sécurité nationale

Date de publication
13 novembre 2024
Accroche

Taïwan, connu pour son leadership dans le domaine des semi-conducteurs et des technologies de l’information et de la communication (TIC), fait aujourd’hui des progrès significatifs dans l’industrie spatiale. Bien qu’historiquement modeste, le programme spatial taïwanais s’est transformé depuis 2020, sous l’impulsion de la présidente Tsai Ing-wen qui s’est engagée à développer les capacités spatiales du pays. Parmi les étapes clés figurent l’adoption de la loi sur le développement spatial et la création de l’Agence spatiale taïwanaise (TASA), qui a renforcé les ressources et la visibilité des ambitions spatiales de Taïwan.

Image principale

La surproduction chinoise de puces matures : Des craintes infondées

Date de publication
07 octobre 2024
Accroche

La Chine, plutôt que d’inonder le marché mondial des semi-conducteurs à technologies matures, s’en dissocie. Si les politiques industrielles chinoises favorisent de plus en plus la production nationale de semi-conducteurs, sa propre demande en puces, en constante augmentation, devrait empêcher une arrivée massive de puces chinoises à bas prix sur les marchés étrangers. Cependant, à mesure que Pékin progresse dans son objectif de réduire la dépendance des industries nationales aux puces étrangères, les entreprises européennes et américaines de semi-conducteurs à technologies matures pourraient ressentir les effets d’un écosystème de semi-conducteurs chinois de plus en plus « involué  » (内卷).

Image principale

La Chine en quête d'un saut quantique

Date de publication
22 octobre 2024
Accroche

La course mondiale pour exploiter les sciences quantiques s'intensifie. Reconnaissant le potentiel stratégique des technologies quantiques pour le développement économique, militaire et scientifique, la Chine concentre ses efforts sur des percées scientifiques afin de rééquilibrer le rapport de force, notamment dans sa compétition avec les États-Unis. Le président Xi Jinping a souligné l'importance de l'innovation scientifique, en particulier dans les domaines quantiques, pour stimuler le développement national et garantir la sécurité.

Image principale

L’approvisionnement énergétique de Taïwan : talon d’Achille de la sécurité nationale

Date de publication
22 octobre 2024
Accroche

Faire de Taïwan une « île morte » à travers « un blocus » et une « rupture de l’approvisionnement énergétique » qui mènerait à un « effondrement économique ». C’est ainsi que le colonel de l’Armée populaire de libération et professeur à l’université de défense nationale de Pékin, Zhang Chi, décrivait en mai 2024 l’objectif des exercices militaires chinois organisés au lendemain de l’investiture du nouveau président taïwanais Lai Ching-te. Comme lors des exercices ayant suivi la visite de Nancy Pelosi à Taipei en août 2022, la Chine avait défini des zones d’exercice faisant face aux principaux ports taïwanais, simulant de fait un embargo militaire de Taïwan. Ces manœuvres illustrent la pression grandissante de Pékin envers l’archipel qu’elle entend conquérir et poussent Taïwan à interroger sa capacité de résilience.

Comment citer cette étude ?

Image de couverture de la publication
julienne_covid-19_2020_page_1.jpg
COVID-19 : un premier bilan politique en Chine, de L'Ifri par
Copier
Image de couverture de la publication
julienne_covid-19_2020_page_1.jpg

COVID-19 : un premier bilan politique en Chine