En matière d'énergie, l'idéologie est mauvaise conseillère
Texte paru dans Le Monde.fr le 21 novembre 2011
S'il est légitime de s'interroger sur la part future de l'énergie nucléaire dans la production de l'électricité française, qu'implique l'horizon de temps - 2025 - avancé par le récent accord conclu entre le Parti socialiste et Europe Ecologie-Les Verts ? L'observation des pays voisins permet de répondre en partie à cette question.
L'Espagne qui a fait le choix de diminuer significativement la part du nucléaire, a certes développé des filières éolienne et photovoltaïque, mais a aussi augmenté fortement sa dépendance gazière. La part du gaz dans la production d'électricité est passée en vingt ans de moins de 1 % à 31 %. Parallèlement les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont augmenté de moitié sur la même période. Autre aléa des généreuses subventions qui ont permis le développement des filières renouvelables espagnoles, le gouvernement a recours à la titrisation de ses dettes à l'égard des producteurs d'électricité, créances qui recouvrent le manque à gagner entre les coûts de production et les tarifs réglementés de l'électricité.
L'Allemagne et le Danemark, pays leaders des énergies vertes, sont aussi parmi les pays les plus émetteurs de l'Union Européenne. Le coût de l'électricité pour les ménages y est 2 fois plus élevé qu'en France. Les emplois associés à ces nouvelles filières sont fragiles. Malgré un carnet de commandes bien rempli, Vestas, le groupe danois numéro un mondial de l'éolien, annonce des suppressions d'emplois au Danemark et des délocalisations dues à la concurrence grandissante des fabricants chinois et indiens. Les perspectives de marché sont en effet ailleurs qu'en Europe : dans les économies émergentes et aux Etats-Unis. L'hypothèse d'une redynamisation du marché européen, devra aussi compter avec la stratégie d'exportation des compagnies chinoises : Sinovel, désormais numéro 2 mondial de l'éolien, remporte des marchés en Europe. Concernant le photovoltaïque, la Chine est déjà le numéro un mondial de cette technologie. Sur ces deux secteurs, les parts de marché des compagnies européennes ne cessent de diminuer même si elles peuvent se satisfaire de bénéfices confortables dans un marché en expansion. Les pays européens ont donc fortement subventionné des compagnies qui obéissant, et c'est naturel, à des impératifs de marché, délocalisent ou suppriment les emplois verts. La qualité même de ces emplois mérite attention : turbines éoliennes et panneaux photovoltaïques nécessitent peu de maintenance et créent peu d'emplois qualifiés, contrairement à la filière nucléaire.
Par ailleurs, en Europe, les meilleurs sites pour l'éolien terrestre sont déjà occupés, il y a donc peu à attendre en terme de productivité de nouvelles installations. En Espagne, où les performances sont les meilleures, 1 MW d'éolien produit entre trois et quatre fois moins d'électricité qu'1 MW de capacité nucléaire. Quant au solaire, il faut du soleil. Avec près de trois fois moins de capacité installée, l'Espagne produit autant d'électricité d'origine photovoltaïque que l'Allemagne. Enfin, un peu moins de 10 000 MW de panneaux photovoltaïques couvre 1 % de la production électricité allemande, les 20 000 MW de capacité nucléaire en fournissaient près du quart. Reste l'éolien maritime, technologie encore coûteuse, et qui nécessite le développement de lignes électriques pour acheminer l'électricité produite vers les centres de consommation.
La part des énergies intermittentes, principalement éolien, dans la production d'électricité approche le seuil d'acceptabilité des réseaux électriques. L'électricité ne se stocke pas, il faut la consommer lorsqu'elle est produite. En Espagne, la production d'électricité éolienne est écrêtée lorsque le réseau électrique ne peut l'absorber mais reste subventionnée. En Allemagne et au Danemark, elle engendre des prix négatifs sur les marchés, diminuant d'autant les incitations à investir dans les énergies conventionnelles indispensables en absence de vent et de soleil. Les solutions pour augmenter la participation de ces formes d'énergie à la production d'électricité sont connues mais difficiles. La création d'un réseau électrique à l'échelle européenne permettrait de mutualiser les potentiels éolien et solaire. Cela passe par la construction de lignes à haute tension pour transporter l'électricité solaire de l'Espagne et l'éolien allemand à travers l'Europe. Il a fallu vingt ans pour s'accorder et commencer de construire l'interconnexion France Espagne.
Pour tenir compte des préoccupations environnementales, légitimes, des populations locales, le coût initial du projet a été multiplié par six. La maîtrise de la demande énergétique est également cruciale mais fait appel à des changements lents à se mettre en place. Nous manquons de mécanismes innovants qui inciteraient les ménages à investir dans l'isolation de leurs logements, les effets d'aubaine sont difficilement évitables et les nouveaux usages, véhicules électriques ou gadgets électroniques, appellent à une augmentation de la consommation d'électricité. Enfin, les technologies de stockage de l'électricité restent trop coûteuses, plus d'efforts de R&D sont nécessaires.
Est-ce à dire qu'il faut renoncer au développement des énergies renouvelables ? Certes non, mais il faut l'inscrire dans une démarche raisonnée, acceptable économiquement et socialement. L'horizon de temps annoncé dans l'accord PS/EELV entraînera une multiplication des coûts qui se répercutera sur le prix de l'électricité : démantèlement des centrales, importations plus importantes de gaz, un prix du CO2 sur le marché européen plus élevé, un développement des énergies renouvelables à marche forcée alors que ces technologies sont encore chères et naturellement, une augmentation des émissions de GES pour les quinze prochaines années.
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