Europe - Russie : l'interdépendance énergétique est-elle une fatalité ?
2006, 2009 et 2014. Trois années clés pour la politique gazière de l’Union européenne (UE), qui rappellent que l’énergie reste un élément déterminant des relations politiques entre l’Union et la Russie. L’UE importe près de 70% du gaz qu’elle consomme, dont 27% en provenance de Russie. La Russie exporte vers l’UE 55% de son pétrole, 85% de son gaz. L’interdépendance énergétique entre la Russie et l’UE reste une évidence.
Pour la Russie, les enjeux de cette interdépendance sont avant tout économiques. Les revenus pétroliers et gaziers représentent près de 50% du budget fédéral. Pour l’Europe, la principale préoccupation porte sur la sécurité d’approvisionnement énergétique. Le débat est ouvert depuis 2000 dans le livre vert présenté par la Commission européenne. Le gaz naturel est à l’époque une énergie " courtisée " permettant de faire face à l’intermittence des énergies renouvelables. L’objectif principal est de diversifier les sources d’approvisionnement en faisant appel aux importations de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) et en développant " un partenariat énergétique à long terme avec des fournisseurs clés tels que la Russie ". La première crise sur les prix du gaz de 2006 entre la Russie et l’Ukraine affaiblit ce partenariat et met en lumière le risque du transit. Elle renforce le projet de gazoduc porté par l’ancien chancelier allemand Gerhard Schroeder reliant la Russie à l’Allemagne via la mer baltique, contournant les pays Baltes, la Pologne et l’Ukraine, pays réputés réservés à l’égard de Moscou.
En 2009, trois semaines de conflit commercial sur le contrat gazier opposent Kiev et Moscou. L"UE traverse une crise profonde. La rupture des approvisionnements des flux transitant par l’Ukraine a entraîné une interruption des livraisons aux clients finaux dans une grande partie des pays de l’Union. Cette crise a mis en avant la vulnérabilité de l’UE. Alors que le troisième paquet législatif de l’énergie vient d’être adopté pour consolider le marché intérieur de l’énergie, la Commission entend réagir à la fois sur le plan interne et externe : diversification de l’approvisionnement par la relance des grands projets créant de nouvelles routes gazières vers l’Europe et promotion des investissements dans les infrastructures de stockage et de transport pour renforcer les interconnexions et la réversibilité des flux entre les pays. Elle adopte dès 2010 un règlement européen sur la sécurité d’approvisionnement introduisant des plans d’action en cas de défaillance d’une source d’approvisionnement au niveau communautaire. Un paquet sur les infrastructures énergétiques créant des corridors prioritaires au niveau européen est présenté dans la foulée en 2010.
En 2014, le conflit entre la Russie et l’Ukraine n’est certes pas gazier, mais risque à tout moment de le devenir. Quelles sont alors les marges de manœuvre pour l’UE pour faire face à une rupture potentielle des approvisionnements gaziers de l’Ukraine ?
Sur le volet interne, l’intégration des marchés gaziers européens n’est pas encore achevée en 2014. L’objectif principal de créer des places de marché interconnectées et de faire émerger un prix de gros sur le marché européen afin de mettre en concurrence différentes sources d’approvisionnement est partiellement atteint dans le Nord-Ouest de l’Europe. Le constat est tout autre en Europe de l’Est, avec une dépendance constante envers les approvisionnements russes et des marchés organisés inexistants. Les réseaux de transport de gaz ne sont pas complètement interconnectés et la réversibilité des flux physiques n’est pas encore assurée. La carte gazière européenne reflète à cet égard un niveau d’intégration des marchés à deux vitesses entre l’Ouest et l’Est de l’Europe.
Quant à la dimension externe de la politique européenne visant à sécuriser et diversifier les approvisionnements, les projets de nouvelles routes pour acheminer du gaz vers l’Europe n’ont pas tous été décidés. Le dernier succès date de fin 2013 avec le choix du consortium Shah Deniz du gazoduc Transadriatique comme la future route du gaz azerbaidjanais vers l’Europe, aux dépens de Nabucco, projet longtemps soutenu par la Commission.
Fer de lance de la stratégie de diversification des approvisionnements, le GNL a contribué durant les années 2000 à réduire de manière significative la dépendance européenne à l’égard du gaz russe. Cependant, avec une demande gazière en berne depuis 2009, l’Europe n’est plus suffisamment attractive pour le GNL face aux marchés asiatiques. Entre la priorité accordée aux énergies renouvelables et les prix relativement bas du charbon, le gaz n’est plus une énergie de premier plan en Europe. Les terminaux méthaniers sont remplis à 30% et de nombreuses centrales à cycle combiné gaz mises sous cocon. La France est d’ailleurs particulièrement affectée par les tensions du marché mondial du GNL, avec une liaison entre le Nord et le Sud du réseau gazier français complètement saturée par les flux acheminant du gaz en provenance de Russie et de la mer du Nord vers le sud de la France et la péninsule ibérique, région qui dispose pourtant de 8 terminaux méthaniers très faiblement utilisés en 2013.
D’ici 2018, les autorisations octroyées aux projets d’exportation de GNL américain, les nouvelles ressources gazières en Australie, en Amérique Latine, au Moyen-Orient et en Afrique de l’Est se traduiront par 100 milliards de mètres cubes de capacités de liquéfaction supplémentaires au niveau mondial, soit 25% de plus que la capacité actuelle. Ces nouvelles ressources peuvent rebattre les cartes de l’échiquier gazier européen, sous réserve que l’Europe soit prête à en payer le prix, face à un continent asiatique qui assèche aujourd’hui le marché du GNL en captant près de 75% de la demande mondiale de GNL.
Le "plan global de réduction de la dépendance énergétique" qui devra être présenté par la Commission en juin prochain, à la suite de la demande du Conseil européen le 20 mars marquera une nouvelle étape dans la politique gazière de l’UE.
Au-delà des pistes d’amélioration de l’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables, ce plan relancera certainement, en matière gazière, le débat sur le dossier, épineux pour certains pays, des ressources potentielles de gaz non conventionnel en Europe. Il devra aussi intégrer une vraie réflexion sur la contribution des terminaux méthaniers existants à la diversification des approvisionnements et sur la maximisation de leur potentiel d’importation. Enfin, la diversification des approvisionnements gaziers nécessitera des investissements supplémentaires pour renforcer les interconnexions sur l’ensemble du réseau de transport de gaz européen. L’identification des infrastructures prioritaires parmi la longue liste des Projets d’intérêt Commun adoptée par la Commission européenne en octobre 2013 demeure à ce titre indispensable en vue d’une meilleure intégration des trois marchés européens, Est, Nord-Ouest et Sud-Ouest de l’Europe.
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