France-Royaume-Uni : des "ennemis" inséparables ?

Il y a quelques années, Robert et Isabelle Tombs ont publié une histoire de la relation franco-britannique intitulée Ennemis intimes. Ce qualificatif illustre deux phénomènes historiques et paradoxaux : la rivalité entre les deux pays et leurs aspirations, mais aussi la proximité économique et politique justement liée à ces mêmes aspirations.
Hier, les deux pays entendaient maximiser leur influence internationale ; aujourd’hui, ils veulent la maintenir. Concurrents dans les affaires de ce monde, ils n’en restent pas moins des partenaires importants, qui s’accordent sur de nombreux points, à commencer par la lecture commune de ce que l’influence requiert aux plans politique, économique, culturel et militaire.
Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, un dossier a souvent empoisonné les rapports franco-britanniques : la construction européenne. Aujourd’hui, la relation semble plus marquée par des vexations que par des coopérations constructives. Une mauvaise phase certainement, qui traduit surtout l’incompréhension des deux acteurs quant à l’importance de cette relation.
Les deux gouvernements sont responsables de cette situation. Pour servir ses intérêts de politique intérieure, le gouvernement britannique a recours à des techniques peu recommandables. David Cameron ou Boris Johnson nous ont habitués à de petites piques " amicales " - et nous ne nous en privons pas non plus. Toutefois, la tribune du Premier ministre dans The Times le 1er janvier, expliquant que voter pour les Travaillistes serait un blanc-seing à des politiques économiques qui ont plongé " d’autres pays " dans la stagnation économique - référence à peine voilée à la France - ne pouvait que desservir la relation bilatérale.
Certes, l’attitude dure, presque déconnectée de la réalité, des Britanniques sur la défense européenne au Conseil européen de décembre dernier était malvenue. Mais pourquoi s’en offenser ? Il n’y a rien de nouveau ! En plus de mal comprendre le débat britannique, le gouvernement français s’est détourné du partenariat stratégique approuvé en novembre 2010, comme si les accords signés étaient inconséquents et pouvaient subsister sans appui politique. En l’espace de deux ans, les promesses d’une coopération stratégique franco-britannique ont presque fané.
Une relation fondamentalement bilatérale
Le gouvernement français a un rôle à jouer pour renverser la balance, sinon par calcul politique du moins par pragmatisme politique. Cela nécessite toutefois de prendre en considération deux facteurs. Tout d’abord, la relation franco-britannique ne peut pas se définir par l’Union européenne, à l’instar de ce que fait le gouvernement avec d’autres partenaires européens comme l’Allemagne ou l’Italie. Nos approches sur l’Union semblent irréconciliables, surtout aujourd’hui : Londres s’interroge sur son rôle dans l’Union, tandis que Paris envisage l’approfondissement de la zone euro. La France sera le partenaire le plus difficile pour le Royaume-Uni dans toute négociation européenne sur une redéfinition de l’adhésion britannique à l’UE. L’Europe est une épine dans le pied de la relation bilatérale. Il faut en parler - et pour la France, il faut arrêter d’ignorer le débat que les Britanniques ont lancé chez eux, qui dépasse d’ailleurs les frontières de l’île, comme en témoignent les débats néerlandais, scandinave et même italien. Mais il ne faut pas obstruer la relation en l’absence d’accord sur l’Europe : l’entente cordiale n’y résisterait pas, alors qu’elle doit reposer à l’inverse sur l’appréhension commune d’intérêts nationaux.
En effet, l’épine dorsale du partenariat franco-britannique est d’abord une lecture analogue des enjeux stratégiques et des moyens d’y répondre. Les deux chancelleries sont aussi réservées sur une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU qui leur ferait vraisemblablement perdre leur siège permanent. Les appareils diplomatiques britannique et français sont parmi les seuls à conserver un portage mondial. Les forces armées françaises et britanniques alignent peu ou prou les mêmes forces et faiblesses. Rappelons qu’à eux deux, les budgets de défense français et britannique représentent près de la moitié des dépenses militaires en Europe. Suite aux accords de Lancaster House, les dissuasions nucléaires française et britannique sont liées, notamment en matière de recherche et développement.
Aujourd’hui, le biais choisi par le gouvernement français consiste à favoriser une relance de la défense européenne par le couple franco-allemand, au risque de délaisser le partenariat franco-britannique. Ce serait une erreur. La relation franco-allemande est essentielle, mais les résultats en matière de sécurité et de défense sont depuis longtemps peu probants. Dans un avenir proche, il semble peu probable que la tendance s’inverse. Or, le temps n’est pas un luxe dont nos forces armées peuvent se prévaloir. Le partenariat stratégique franco-britannique n’est pas bâti sur l’autel de la construction européenne : il repose sur la complémentarité des deux postures stratégiques nationales qui rendent une éventuelle coopération de défense approfondie possible, sous caution d’un engagement politique continu. Soyons réalistes : s’il faut choisir des partenaires militaires en Europe pour construire des relations pragmatiques, faisons-le avec ceux qui nous comprennent et sont prêts à s’engager – c’est le cas des Britanniques. Il faut trouver le juste équilibre entre désaccords sur l’Union européenne et intérêts stratégiques partagés. C’est tout l’enjeu du prochain sommet bilatéral entre la France et le Royaume-Uni.
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