Fukushima et la démocratie
La double catastrophe de Fukushima, catastrophe naturelle associant tremblement de terre et tsunami et catastrophe industrielle nucléaire de grande ampleur doivent faire réfléchir tous les pays aux conséquences qu’ils doivent en tirer.
Mais deux façons de procéder sont envisageables quant à l’étude des réponses sur l’avenir du nucléaire, indépendamment de ce que peut être la décision finale. Ces deux voies illustrent deux fonctionnements de la démocratie, ce système politique qui, comme le disait Winston Churchill, avec son humour grinçant, est le moins mauvais des systèmes qu’il a rencontrés.
La première voie est celle du sentiment de l’opinion que tout homme politique prend en compte. Elle consiste, devant une émotion populaire bien compréhensible et attisée par des médias qui se nourrissent de cette émotion, à décider de renoncer au nucléaire immédiatement et sans examen. C’est celle choisie par le gouvernement italien qui, depuis des années, annonce que l’Italie va entrer dans le nucléaire. C’est celle que s’apprête à adopter l’Allemagne par la volonté de la chancelière et la violence des réactions de l’opinion publique. Le cas allemand est significatif.
Il illustre, d’une part, le comportement de chefs d’Etat et de gouvernement, incertains de leur avenir politique, qui s’agitent comme des insectes prisonniers dans un bocal et qui tentent de s’échapper en grossissant un épouvantail. Il traduit, d’autre part, le risque que courent les démocraties quand ces émotions qui refusent tout raisonnement engendrent des votes massifs. Inutile de rappeler les cas où en Europe et ailleurs ce sont des votes démocratiques qui ont amené des drames. Pour le moment la tendance des Français de ne jamais cesser de se déchirer -cette tendance qui les conduit souvent à l’inefficacité- les protège de ce l’on pourrait appeler ces tsunamis de l’opinion publique.
Si dans ce contexte, l’Allemagne décide de sortir du nucléaire d’ici 2020, la politique européenne de l’énergie sera compromise : la conséquence à court terme en sera une augmentation des émissions de gaz à effet de serre et la libre circulation de l’électricité à travers les frontières qu’elle qu’en soit l’origine remise en question (même s’il est difficile d’imaginer que l’Allemagne puisse alimenter son industrie avec le bio-gaz et le solaire). Et pourquoi dès lors supporter la mise en œuvre des lourdes directives européennes sur l’énergie puisque les politiques des Etats les vident de sens et empêchent l’instauration d’un marché intérieur de l’électricité.
La seconde voie est celle d’une réflexion sur les mesures à prendre nationalement et internationalement et sur cette base de décider le maintien d’un programme nucléaire ou son extinction suffisamment progressive pour en minimiser le coût.
Sur le plan national, l’audit, qui devrait porter sur toutes les installations nucléaires, doit examiner toutes les mesures à prendre pour faire face à des tempêtes, des inondations et des événements climatiques, industriels ou de terrorisme pour s’assurer qu’ils n’ont pas été sous-estimés.
Sur le plan international, les exploitants de centrales nucléaires, devraient dans le cadre de leur association et sous l’égide des gouvernements : (1) établir des normes pour juger de la qualité des institutions de sécurité et du niveau de soutien à apporter aux pays candidats à l’énergie nucléaires (2) se donner des règles d’informations de sécurité internationalement reconnues et contrôlées et créer une force d’intervention internationale capable de venir en aide à tout pays confronté à un incident.
Quant à une sortie éventuelle du nucléaire, on ne peut l’envisager, sans prendre conscience des hausses considérables du prix de l’énergie, de la disparition de la trajectoire vers la génération IV qui ferait du nucléaire une énergie renouvelable et des conséquences d’une utilisation plus abondante à moyen terme des énergies fossiles qui entraînent de leur côté tous les morts et leur danger associés à l’extraction, transformation, transport en dehors de l’impact sur les émissions de gaz à effet de serre.
Faire jouer son rôle au nucléaire avec le maximum de garanties paraît la voie la plus raisonnable.
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1) En 2007, le prix moyen du kWh pour les ménages européens était, dans le pays au prix le plus élevé, 2,5 fois celui dans le pays le moins cher.
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