Iran : où en sont les négociations ?
Les négociations sur le programme nucléaire iranien doivent reprendre jeudi 18 septembre à New York, en marge de la conférence des Nations Unies. A l’heure où les Etats-Unis se voient obligés de s’impliquer à nouveau dans les affaires du monde, que ce soit en Ukraine ou au Moyen-Orient, un succès dans les négociations du groupe « P5+1 » (Russie, Etats-Unis, Chine, Royaume-Uni, France, Allemagne) avec la République Islamique serait précieux à de nombreux égards. Mais les points d’achoppements sont encore nombreux. Les négociateurs pourront-ils élaborer un document définitif garantissant la nature pacifique du programme nucléaire iranien avant la date-butoir du 24 novembre ?
Les efforts du gouvernement iranien
Réaffirmant le sérieux et la sincérité de sa démarche auprès de la communauté internationale, le président Hassan Rohani a rappelé que "ces douze derniers mois, l'Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a régulièrement inspecté les sites nucléaires iraniens et déclaré à plusieurs reprises que le programme nucléaire de l'Iran ne s'était pas écarté de la voie du développement pacifique". [1] Depuis son investiture, Rohani n’a jamais caché sa volonté de voir l’Iran redevenir une puissance régionale et l’urgence à ses yeux d’inverser le bilan économique désastreux du pays. La levée des sanctions internationales serait à la fois la garantie d’une reprise économique et la marque de la normalisation des relations avec l’Occident. Pour cela, l’Iran doit accepter de réduire ses capacités d’enrichissement d’uranium, nécessaire pour produire du combustible pour les centrales civiles, mais pouvant servir à fabriquer de l’uranium enrichi à 90%, de qualité militaire.
Comme convenu dans le Plan d’action conjoint de Genève de novembre 2013, l’Iran a bien détruit la totalité de son stock d’uranium enrichi à 20%. La moitié de son stock a ainsi été diluée pour redescendre à un niveau d’enrichissement de 5%, le reste ayant été converti en oxyde d’uranium. [2] Le pays a également totalement suspendu sa production d’uranium moyennent enrichi, remplissant ainsi les engagements pris dans l’accord de novembre dernier.
L’Iran et le groupe P5+1 semblent aussi avoir trouvé un terrain d’entente sur le réacteur à eau lourde d’Arak, susceptible de produire du plutonium, autre matière fissile pouvant être utilisée dans la mise au point des armes atomiques. [3] Téhéran, qui affirmait que le réacteur à eau lourde de 40 mégawatts n’avait qu’un but de recherche – principalement médicale – a finalement accepté de le transformer en réacteur à eau légère. L’Iran s’est également engagé à ne pas construire d’usine de retraitement, élément primordial pour purifier le plutonium en vue d’une utilisation militaire.
Les points de friction
Ces avancées ne sont pas suffisantes pour garantir à long terme la nature pacifique du programme. Le nombre de centrifugeuses, qui permettent d’enrichir l’uranium, reste un sujet de désaccord [4]. Le Guide suprême iranien et ultime décisionnaire dans la politique du pays, Ali Khamenei, a en effet affirmé la nécessité pour l’Iran de se doter à terme d’une capacité équivalente à 190 000 centrifugeuses, soit dix fois plus qu’aujourd’hui. « Pendant 4 à 5 ans, nous maintiendrons ce nombre de 20.000 centrifugeuses et ensuite nous augmenterons ce nombre par paliers pour pouvoir produire 30 tonnes d'uranium à 5% par an, » [5] a indiqué M. Ali Akbar Salehi, le chef de l'Organisation iranienne de l'énergie atomique (OIEA) en avril 2014. Le Secrétaire d’Etat américain John Kerry n’a pas tardé à répondre à ces déclarations, jugeant démesuré le nombre actuel de centrifugeuses en Iran. "Nous avons fait comprendre sans équivoque que les 19.000 centrifugeuses possédées par l'Iran était un nombre excessif, que nous devions résoudre le problème de l'enrichissement et que nous poursuivrions les pressions dans ce sens," [6] a ainsi expliqué le chef de la diplomatie américaine.
D’autres zones d’ombre subsistent. L’AIEA a ainsi dénoncé dans un rapport publié début septembre le refus par Téhéran d’autoriser l’inspection du très controversé site militaire de Parchin, où les travaux se poursuivent malgré les inquiétudes de l’AIEA et des Six [7]. Le général Hossein Dehgan, ministre iranien de la Défense, réfute cependant toutes les accusations sur l’opacité des activités de ce site, affirmant que l’AIEA « a mené plusieurs visites à Parchin, a pris des échantillons mais n'a rien trouvé d'illégal (...) Par conséquent, il n'y a aucune raison pour un nouvel accès à Parchin, car rien de nouveau ne s'y est produit depuis les dernières inspections ». [8] Celles-ci ont eu lieu … en 2005.
L’obstacle majeur des désaccords en interne
Malgré les progrès tangibles réalisés ces derniers mois entre l’Iran et le groupe P5+1, la machine semble s’être grippée ces dernières semaines. L’annonce fin août de l’application de sanctions américaines contre un nombre d’individus et entités iraniennes suspectés de soutenir des programmes controversés en matière de nucléaire, terrorisme ou missiles pourrait aujourd’hui entraver tout accord [9]. Ces sanctions reflètent pourtant l’opinion des républicains conservateurs et de quelques démocrates, [10] opposés au droit de l’Iran de disposer même d’un programme nucléaire civil. Avec le soutien du puissant lobby pro-israélien aux Etats-Unis, AIPAC, de nombreuses figures politiques américaines ont ainsi adopté une position très dure vis-à-vis de l’Iran et mènent une bataille acharnée à Washington pour entraver les négociations.
Ces nouvelles sanctions américaines sont naturellement mal reçues par le gouvernement iranien [11]. « La duplicité des Américains est totalement inacceptable, » a déclaré le vice-ministre des Affaires étrangères, Majid Takht-Ravanchi. « On ne peut pas d'un côté dire qu'on négocie avec bonne volonté et de l'autre côté utiliser de tels moyens, » a-t-il ajouté.
Reste à évaluer le rapport des forces en Iran. Le pays est en effet le théâtre d’une division entre intégristes religieux et population modérée. Si le président Rohani prône la coopération avec l’Occident (on se souvient particulièrement de son offensive de charme à Davos, en janvier 2014), l’ayatollah Khamenei et ses conseillers radicaux se montrent beaucoup plus critiques sur les bienfaits d’un accord. L’opposition interne en Iran, tout comme l’opposition interne aux Etats-Unis, cherche activement à ébranler les efforts de la communauté internationale.
Seul le contexte actuel au Moyen-Orient pourrait engager un rapprochement plus rapide entre Iran et Occident, possibles alliés dans le combat contre l’Etat Islamique (EI). Il est en effet difficile de voir une solution aux crises en Syrie et en Irak en écartant l’Iran des discussions, sachant que l’Iran chiite se bat contre les sunnites fanatiques de l’EI depuis 3 ans déjà. De fait, l’Iran et les Occidentaux se trouvent aujourd’hui, sur ce dossier, dans le même camp.
[1] Voir sur : < http://fr.ria.ru/world/20140818/202176561.html>.
[2] L’oxyde d’uranium est cependant toujours enrichi à 20%, et peut être reconverti en hexafluorure d’uranium en quelques semaines.
[3] Voir sur : < http://www.nytimes.com/2014/08/28/world/middleeast/iran-altering-reactor-in-bid-for-nuclear-deal.html>.
[4] Le nombre de centrifugeuses ne dit rien quant à la vocation civile ou militaire mais confère à l’Iran un potentiel de franchissement du seuil beaucoup plus rapide. Limiter cette capacité fait donc partie des objectifs des négociations.
[5] Voir sur : < http://www.leparisien.fr/flash-actualite-monde/iran-la-question-du-reacteur-a-eau-lourde-d-arak-pratiquement-reglee-19-04-2014-3780839.php>.
[6] Voir sur : < http://fr.ria.ru/world/20140715/201828739.html>.
[7] Voir sur : < http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/09/05/l-aiea-tacle-l-iran-sur-son-programme-nucleaire-avant-la-reprise-des-negociations_4482896_3218.html>.
[8] Voir sur : <http://www.lepoint.fr/monde/nucleaire-l-iran-refuse-a-l-aiea-une-visite-du-site-de-parchin-23-08-2014-1855973_24.php>.
[9] Voir sur : http://www.nytimes.com/2014/08/30/world/middleeast/us-imposes-sanctions-on-iranian-groups.html?_r=0>.
[10] Le sénateur démocrate Robert Menendez, du New Jersey, avait notamment formulé un projet de loi, le Nuclear Weapon Free Iran Act, visant un durcissement des sanctions américaines contre l’Iran.
[11] « Dans nos négociations [bilatérales] avec les représentants américains, nous avons annoncé clairement que nous ne supporterions plus longtemps ces mesures [de la part des Etats-Unis], » a ainsi déclaré Monsieur Abbas Araqchi, vice-ministre iranien des Affaires étrangères et le principal négociateur dans le dossier du nucléaire.
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