Kaliningrad, arme diplomatique de la Russie ?
Compte-rendu réalisé par Charlotte Teisseire, stagiaire, et Christian Schülke, assistant de recherche, Ifri Bruxelles.
Frank Tétart commence son intervention par l’affirmation que l’enclave de Kaliningrad longtemps ignorée par Moscou, est aujourd’hui stabilisée, mais reste néanmoins au cœur du débat international. En guise d’introduction, il rappelle quelques données historiques fondamentales de Kaliningrad. L’ancienne ville allemande de Königsberg, capitale de la Prusse orientale, et sa région attenante, devient soviétique au lendemain de la seconde Guerre mondiale. Kaliningrad fut alors considérée comme un véritable butin de guerre par Staline, qui ne désirait du territoire allemand que ce port stratégique de la mer Baltique (puisqu’il est libre de glaces l’hiver, contrairement aux autres ports russes). Après 1945, la population allemande est progressivement expulsée de Kaliningrad, une bonne partie ayant déjà fui devant l’Armée rouge avant la fin de la guerre. Kaliningrad voit alors sa démographie évoluer au gré des vagues de migrations. Celles-ci arrivent de toutes les régions soviétiques et plus particulièrement de Russie, Biélorussie et Ukraine. C’est alors qu’au sud est de la mer Baltique naît cette « Petite Russie », véritable bastion militaire au sein de l’Union soviétique. Par la suite, la situation de Kaliningrad ne posera pas de problème particulier dans l’époque soviétique. Quand l’URSS éclate en 1991, Kaliningrad est intégrée dans la Fédération de Russie, même si la région est désormais détachée géographiquement de cette mère patrie. Elle est désormais séparée d’elle par trois frontières et coincée entre la Lituanie au Nord et la Pologne au Sud. Kaliningrad devient donc « enclave », ce qui complique bien évidemment sa situation. Néanmoins, les voisins de Kaliningrad prennent une position conciliante au cours des années 1990 : grâce à l’accord de la Lituanie notamment, le transit par chemin de fer ne pose pas de problème. Toutefois, la question de Kaliningrad fera l’objet de fortes tensions dans le contexte de l’élargissement de l’UE.
Après l’élargissement de 2004, Kaliningrad devient en effet un îlot isolé au sein même de l’Union, puisque la Pologne et la Lituanie, ses seuls voisins terrestres, adhèrent à l’UE. L’Accord de Schengen demande en effet un régime de transit de personnes plus strict. Ainsi, la Commission européenne demande, dans un premier temps, que des visas soient obligatoires pour le transit entre Kaliningrad et le territoire russe. La décision de substituer les visas par des « documents de transit facilités» (peu onéreux, voire gratuits) détend enfin la situation. De même, un accord entre l’UE et la Russie sur une zone économique de libre échange exempte le transit de marchandises à travers le territoire lituanien des droits de douane. Nonobstant ces solutions, Kaliningrad conserve la réputation de région pauvre, carrefour de tous les trafics (drogues, prostitution, armes, contrebande transfrontalière), d’où la perception dominante au sein de l’UE de Kaliningrad comme une menace sécuritaire. Face à l’élargissement de l’OTAN à l’Est du continent, Frank Tétart explique que la Russie veut à tout prix éviter que Kaliningrad soit encerclée par l’OTAN. L’opération russe SAPAD de 1999, année d’élargissement de l’Alliance, en témoigne : la manœuvre consista en une simulation de défense face à l’attaque factice de la part de l’OTAN sur Kaliningrad. Un simple entraînement, certes, mais fort révélateur de l’atmosphère ambiante. Il convient de rappeler dans ce contexte que la Russie s’est fortement opposée à l’adhésion des pays baltes à l’OTAN – qui est toutefois intervenue en 2004. Depuis, Kaliningrad est entourée de pays membres de l’OTAN également.Selon l’orateur, l’enclave sert souvent de « levier » pour Moscou dans ses relations internationales. La Russie peut en effet s’appuyer sur le fait que Kaliningrad est considérée comme une menace régionale de première importance par l’Union européenne, les Etats-Unis et l’OTAN. Ainsi, quand les Etats-Unis annoncent en janvier 2007 le déploiement d’installations du bouclier antimissiles en Europe (un radar en République tchèque et des missiles en Pologne), la Russie riposte en annonçant l’installation de missiles de courte portée à Kaliningrad. Les discussions se poursuivent en 2007 et 2008 dans une atmosphère qui rappelle la guerre froide. De manière tout à fait significative, le président russe Medvedev renouvelle l’intention d’installer des missiles à Kaliningrad juste après l’élection de Barak Obama, le 5 novembre 2008. Mais il faut constater que cette annonce est avant tout tactique : Kaliningrad sert d’objet de marchandage. Medvedev annonce le 28 janvier 2009 que le projet l’installation de missiles à Kaliningrad est désormais suspendu, soulignant la volonté de Moscou d’apparaître aux yeux des Américains comme un partenaire incontournable en ce qui concerne la sécurité internationale et européenne.
Questions & réponses
- Comment la gouvernance administrative est-elle organisée ?
Kaliningrad est un oblast de la Fédération de Russie et ainsi un des 89 sujets de la Fédération. L’oblast de Kaliningrad fait partie du District fédéral du Nord-Ouest. De manière générale, toutes les questions importantes sont prises à Moscou. Mais du fait de son statut d’enclave, les relations de Kaliningrad avec son voisinage relève de fait de politique étrangère et sont donc surveillés de près par Moscou.
- Constatant que le regard de la population Kaliningrad se tourne de plus en plus vers l’Ouest que vers l’Est, une plus grande autonomie vis-à-vis de Moscou serait-elle envisageable ?
Pour répondre à cette question, il faut se rappeler le discours des années 1990 sur la volonté de Kaliningrad de s’ouvrir et devenir une « Hong Kong sur la Baltique ». La volonté d’autonomie économique de l’enclave vis-à-vis de Moscou est évidente et les enjeux pour l’une comme pour l’autre sont énormes. Moscou craint cependant le séparatisme, mais aucun mouvement autonomiste d’envergure ne s’est formé à Kaliningrad jusqu’alors. De plus, Vladimir Poutine considère Kaliningrad comme un objet stratégique important et a ainsi fait interdire le petit parti politique qui militait pour une plus grande autonomie de l’enclave.
- Qu’en est-il de l’évolution économique de Kaliningrad par rapport aux Etats membres de l’UE qui l’entourent depuis 2004 ?
Dès la perspective de l’élargissement de l’UE en 2004, le gouvernement russe a poussé les investisseurs russes à développer leurs activités à Kaliningrad. La croissance économique et l’amélioration des conditions de vie dans l’enclave sont des objectifs importants pour le pouvoir russe. Pour cela, le développement du tourisme (rénovation d’hôtels, ouverture de casinos) est considéré comme une option prometteuse.
- Quel avenir pour les bases militaires à Kaliningrad ?
Kaliningrad restera un pôle défensif, également sera en charge de sécurité économique, notamment de la protection du gazoduc Nord Stream. Saint-Pétersbourg et Kronstadt resteront pourtant des ports militaires plus importants. La vocation des ports de Kaliningrad est davantage économique.
- Comment la situation du transit a-t-elle évolué depuis 2004 ?
Le transit ne présente pas de difficulté majeure ; il se déroule dans la fluidité. Les formalités sont simplifiées, puisque l’obtention des documents de transit se fait lors de l’achat du billet de train. L’unique point noir restent les contrôles à la frontière routière, qui sont généralement d’une durée importante et entravent ainsi le commerce transfrontalier, dont dépend une partie importante de la population.
Contenu disponible en :
Régions et thématiques
Utilisation
Comment citer cette publicationPartager
Centres et programmes liés
Découvrez nos autres centres et programmes de rechercheEn savoir plus
Découvrir toutes nos analysesL’essor du programme spatial taïwanais : Construire une industrie, soutenir la sécurité nationale
Taïwan, connu pour son leadership dans le domaine des semi-conducteurs et des technologies de l’information et de la communication (TIC), fait aujourd’hui des progrès significatifs dans l’industrie spatiale. Bien qu’historiquement modeste, le programme spatial taïwanais s’est transformé depuis 2020, sous l’impulsion de la présidente Tsai Ing-wen qui s’est engagée à développer les capacités spatiales du pays. Parmi les étapes clés figurent l’adoption de la loi sur le développement spatial et la création de l’Agence spatiale taïwanaise (TASA), qui a renforcé les ressources et la visibilité des ambitions spatiales de Taïwan.
La surproduction chinoise de puces matures : Des craintes infondées
La Chine, plutôt que d’inonder le marché mondial des semi-conducteurs à technologies matures, s’en dissocie. Si les politiques industrielles chinoises favorisent de plus en plus la production nationale de semi-conducteurs, sa propre demande en puces, en constante augmentation, devrait empêcher une arrivée massive de puces chinoises à bas prix sur les marchés étrangers. Cependant, à mesure que Pékin progresse dans son objectif de réduire la dépendance des industries nationales aux puces étrangères, les entreprises européennes et américaines de semi-conducteurs à technologies matures pourraient ressentir les effets d’un écosystème de semi-conducteurs chinois de plus en plus « involué » (内卷).
La Chine en quête d'un saut quantique
La course mondiale pour exploiter les sciences quantiques s'intensifie. Reconnaissant le potentiel stratégique des technologies quantiques pour le développement économique, militaire et scientifique, la Chine concentre ses efforts sur des percées scientifiques afin de rééquilibrer le rapport de force, notamment dans sa compétition avec les États-Unis. Le président Xi Jinping a souligné l'importance de l'innovation scientifique, en particulier dans les domaines quantiques, pour stimuler le développement national et garantir la sécurité.
L’approvisionnement énergétique de Taïwan : talon d’Achille de la sécurité nationale
Faire de Taïwan une « île morte » à travers « un blocus » et une « rupture de l’approvisionnement énergétique » qui mènerait à un « effondrement économique ». C’est ainsi que le colonel de l’Armée populaire de libération et professeur à l’université de défense nationale de Pékin, Zhang Chi, décrivait en mai 2024 l’objectif des exercices militaires chinois organisés au lendemain de l’investiture du nouveau président taïwanais Lai Ching-te. Comme lors des exercices ayant suivi la visite de Nancy Pelosi à Taipei en août 2022, la Chine avait défini des zones d’exercice faisant face aux principaux ports taïwanais, simulant de fait un embargo militaire de Taïwan. Ces manœuvres illustrent la pression grandissante de Pékin envers l’archipel qu’elle entend conquérir et poussent Taïwan à interroger sa capacité de résilience.