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La Corée du Nord est nucléaire. Et alors ?

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La Corée du Nord est une puissance nucléaire. Qui en doute ? Est puissance nucléaire le pays qui détient une capacité de destruction basée sur un possible usage de l’arme nucléaire. Un pays qui réunit, donc, assez d’arguments pour faire douter de la nature de sa réponse en cas d’attaque majeure contre lui : un État nucléaire est d’abord un État qui détient les moyens d’une dissuasion.

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Doit-on, face à lui, être certain de la qualité, de la fiabilité, de ses techniques nucléaires ou balistiques ? Non. En matière nucléaire, l’incertain suffit à dissuader, dans la perspective de l’inacceptable. La certitude n’est jamais atteinte : si l’on est certain, c’est qu’on est mort.

La Corée du Nord réunit aujourd’hui les trois éléments constituants d’une capacité stratégique basée sur le nucléaire.

1) Un développement du nucléaire lui-même, même si les informations ouvertes sur la miniaturisation, nécessaire à l’installation sur les supports balistiques, sont évidemment incomplètes.

2) La démonstration d’une capacité d’emport balistique. Même si la capacité de frappe massive contre les États-Unis reste douteuse, les missiles coréens peuvent déjà frapper des éléments extérieurs décisifs de la puissance américaine.

3) La détermination : le régime coréen l’affirme chaque jour, avec ce fond de raison butée et d’hystérie incontrôlable qui crédibilise le discours dissuasif nucléaire – tant il est vrai qu’il faut être hyper rationnel et quelque peu fou pour sauter dans une logique suicidaire, ce que serait toute frappe nucléaire.

 

Coexister avec une Corée nucléaire

Sous tous ces aspects, la Corée du Nord est donc nucléaire. Elle le restera. Quelle garantie négociée pousserait le régime à abandonner un programme si cher payé, et si important pour lui politiquement qu’il l’a fait inscrire dans sa Constitution même ? Aux historiens désormais de se pencher sur les raisons de la course de Pyongyang à la sanctuarisation nucléaire, d’expliquer l’échec de politiques anti-prolifération déployées sur des décennies.

Que faire ? Ratiociner interminablement sur le thème « ce n’est pas bien », c’est mal de ne pas respecter l’esprit des dispositions du Traité de non-prolifération ? À quoi bon ? Menacer de « raser » la Corée du Nord ? A priori et en temps de paix ? Tenter de détruire ses installations nucléaires ? Impossible techniquement et catastrophique politiquement [1].

Tenter d’étouffer définitivement le pays ? Ce serait miser sur des moyens qui n’ont jamais vraiment fonctionné – les sanctions –, pousser dangereusement le régime dans ses cordes nucléaires. Et, dans « le meilleur » des cas, risquer un effondrement dont nul ne veut : ni la Chine, ni la Corée du Sud, ni même, raisonnablement, des États-Unis qui se retrouveraient de facto avec une frontière commune avec Pékin.

 

Raisonner en stratégie

Reste à raisonner. Politiquement et stratégiquement.

Le nucléaire nord-coréen pourrait-il être une arme de contrainte ? C’est peu imaginable, au vu de la géographie stratégique de la région. Si le régime tentait d’user de son nucléaire pour contraindre par exemple la Corée du Sud, c’est lui qui se trouverait en statut de dissuadé par l’énorme potentiel américain, dont la menace serait alors légitime. Compte tenu des accords de défense de la région et du poids de la Chine, on voit mal contre qui pourrait être maniée une contrainte nucléaire nord-coréenne : Séoul ? Tokyo ? Pékin ? Washington ?

Passées les envolées martiales, force est donc de voir l’arme nucléaire nord-coréenne à la fois comme bien réelle, et comme arme de dissuasion. Dès lors, les réponses à cette nucléarisation prévisible et que nous avons échoué à empêcher, relèvent d’une diplomatie multidirectionnelle, qui exclut évidemment toute rupture brutale avec le pays.

Aux spécialistes de la Corée du Nord, il appartient de dire si et comment Pyongyang peut être amené à accepter, et à suivre, une ligne de « dissuasion suffisante », sans accumulation indéfinie d’armes qui ouvrirait un risque supplémentaire de prolifération. Sous les discours agressifs, cette ligne pourrait bien être la seule à correspondre à la situation budgétaire du pays. À ces spécialistes aussi d’apprécier les perspectives d’ouverture économique du pays : sans doute réelles sous les rodomontades néo-autarciques, elles sont les meilleures garanties d’une réinsertion progressive de Pyongyang dans un environnement régional plus ou moins apaisé.

Parallèlement à une inévitable prise en compte du statut nouveau de la Corée du Nord, devront être renforcées toute une série de mesures plus directement liées, elles, au processus de prolifération nucléaire. Au premier chef, il faudra consolider, autant que faire se peut, les mesures d’observation et de contrôle des circulations de techniques et matériaux proliférants. Et confirmer, clairement et calmement (la provocation n’est jamais efficace) les garanties de sécurité américaines dans la région ; ainsi que les garanties de sécurité générales (« négatives ») offertes par les pays nucléaires aux pays non nucléaires qui seraient menacés. Enfin, renforcer l’entente Pékin/Washington, premier poste d’observation des évolutions à Pyongyang…

 

***

Aucun système juridique ou de police international ne réussira à interdire la prolifération nucléaire. Le nier, c’est mépriser le réel. On ne peut à la fois réaffirmer la pertinence du nucléaire pour les États qui en disposent, et croire à une limitation ad aeternum du nombre de ces États. On peut, par contre, freiner la progression des proliférants, dès lors qu’il est possible de leur montrer qu’ils ont un intérêt stratégique à ne pas proliférer. Mais face aux nouveaux États nucléaires, on ne peut que tenter de gérer avec eux le monde tel qu’il se présente.

 

[1] Sur le sujet, lire également : A. Bondaz : « Corée du Nord/États-Unis : jusqu’où ira la confrontation ? », Politique étrangère, vol. 82, n° 4/2017, Ifri, décembre 2017, disponible sur : www.ifri.org.


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ISBN / ISSN

978-2-36567-797-4

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Dominique DAVID

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Président du Centre franco-autrichien pour le rapprochement en Europe (CFA), conseiller du président de l’Ifri, rédacteur en chef de Politique étrangère et co-directeur du Ramses

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