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La politique de l’Arabie Saoudite en Afrique : vecteurs et objectifs

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Parmi les pays du Golfe, l’Arabie Saoudite était jusqu’à peu le pays qui avait le plus grand nombre de représentations diplomatiques en Afrique (27[1]).

 

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Le Prince Mohamed bin Salman et le Président Cyril Ramaphosa, Jeddah, juillet 2018
Le Prince Mohamed bin Salman et le Président Cyril Ramaphosa, Jeddah, juillet 2018
Gouvernement sud-africain
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Si elle est désormais devancée par le Qatar qui s’ingénue depuis le début de l’embargo émirato-saoudien, commencé en juin 2017, à ouvrir un grand nombre de postes diplomatiques en Afrique, le réseau diplomatique saoudien est anciennement implanté dans les États à dominante musulmane (au Maghreb, en Afrique de l’Ouest et dans la Corne de l’Afrique) et en Afrique du Sud. Le royaume peut notamment s’appuyer sur des diplomates expérimentés qui perpétuent une présence en Afrique depuis les années 1970, renforcée après la révolution islamique iranienne de 1979 et le désir de prévenir une diffusion du chiisme sur le continent. Aujourd’hui, l’Arabie Saoudite se mobilise clairement, en Afrique comme ailleurs, pour contrer l’influence de son voisin qatari[2].

Activisme diplomatique et relative absence militaire

Le nouveau poste de secrétaire d’État aux Affaires africaines du royaume a été dévolu début 2018 à l’ex-ambassadeur en Égypte Ahmed Abdul Aziz Kattan[3], désormais chargé de coordonner les efforts diplomatiques saoudiens sur le continent. Depuis début 2018, Kattan a accueilli un grand nombre de ministres et présidents africains à Riyad et a effectué des séjours très réguliers sur le continent. Il a contribué à l’accord de paix entre l’Éthiopie et l’Érythrée. La liste de ses interlocuteurs est un indice des priorités géographiques actuelles de l’Arabie Saoudite en Afrique : le Sahel et la Corne. Kattan s’est rendu en Mauritanie pour assister à une réunion du G5 Sahel. Le secrétaire d’État a ensuite séjourné en Algérie avec le prince héritier Mohammed ben Salmane Al-Saoud (MBS) en décembre 2018 afin d’échanger notamment sur la situation du Sahel.

Kattan a continué à suivre de près ces deux dossiers sur lesquels la France, dans le cas du G5 Sahel[4], et les Émirats arabes unis (EAU), pour la Corne, ont besoin des fonds et/ou de l’influence politique de l’Arabie Saoudite. En 2019, le dossier soudanais s’est peu à peu imposé comme une priorité. Les manifestations emportant en avril 2019 le président Omar el-Béchir, au pouvoir depuis trente ans, l’Arabie et son allié émirati ont tenté d’influencer la transition avec l’aide du numéro deux de l’organe autoproclamé en charge de la transition, le Transition Military Council (TMC), Mohamed Hamdan Daglo dit Hemiti[5]. Ce dernier s’est ainsi déplacé à plusieurs reprises en Arabie notamment pour effectuer le hadj en juillet 2019. Il en a profité pour obtenir des garanties de Riyad quant à son soutien politique. De même, après la formation du gouvernement civil en août 2019 au Soudan, Abdel Fattah Al-Burhan, l’ex-patron du TMC et le Premier ministre Abdallah Hamdok choisi par l’Alliance pour la liberté et le changement (groupe de la société civile ayant fait tomber Béchir) se sont rendus début octobre à Riyad.

Le secrétaire d’État Kattan peut s’appuyer sur un réseau de diplomates saoudiens expérimentés. L’ambassadeur au Soudan depuis 2018 – et depuis octobre 2019 au Soudan du Sud – Ali ben Hassan Jafar a été précédemment ambassadeur en Russie (2008-2015). Au Maroc, c’est l’ancien directeur du protocole du prince héritier Mohammed ben Salmane, Abdellah ben Saad Al-Ghariri, qui a été choisi comme ambassadeur en 2018.

Militairement, l’Arabie Saoudite reste relativement absente sur le continent. Même sur le terrain libyen, elle se contente d’appuyer politiquement le général Khalifa Haftar, que MBS reçoit régulièrement, sans livrer du matériel contrairement aux EAU. Elle préfère aussi s’engager à financer le G5 Sahel plutôt que de coopérer de manière opérationnelle avec l’organisation.

Des investissements économiques encore timides

Les investissements économiques de l’Arabie Saoudite en Afrique restent très embryonnaires. Certains géants étatiques comme le chimiquier SABIC – détenu à 70 % par l’État via la Saudi Aramco – ont ouvert depuis une dizaine d’années des bureaux ou des filiales au Maroc, en Tunisie et en Afrique du Sud[6] avec des résultats encore difficiles à apprécier. Quant à Saudi Aramco, elle n’a quasiment jamais investi en Afrique contrairement à Qatar Petroleum ou Kufpec (Koweït). Afin de contrebalancer l’influence iranienne en Afrique du Sud, le désormais ancien ministre du Pétrole saoudien, Khalid Al-Falih, a promis la construction d’une raffinerie géante de 300 000 barils par jour (moitié des besoins sud-africains) d’ici à 2028. Les chances de réalisation d’un tel projet de raffinerie en Afrique du Sud semblent cependant bien minces tant l’enjeu financier est important, plus de 10 milliards de dollars[7]. Au niveau de l’industrie d’armement, la Saudi Arabian Military Industries (SAMI) a souhaité investir un milliard de dollars dans le groupe sud-africain Denel en 2018[8], un projet non concrétisé à ce jour. La société privée saoudienne Acwa Power a investi dans les centrales solaires en Afrique du Sud (Bokpoort et Redstone ainsi que celui au charbon de Khanyisa) ainsi qu’au Maroc (Noor I, II et III et Ouarzazate) et en Égypte (solaire avec Benban). Des tentatives dans d’autres pays d’Afrique subsaharienne, comme le Sénégal, n’ont pas abouti.

L’Arabie Saoudite a également souhaité investir dans l’agriculture en Afrique en acquérant des terres arables. Cette stratégie s’est notamment matérialisée via la société du milliardaire saoudo-éthiopien, Mohammed Al-Amoudi et sa société Saudi Star Agriculture Development PLC. Cette dernière a acquis une concession portant sur 10 000 hectares dans la région de Gambela en Éthiopie. La King Abdullah Initiative for Saudi Agricultural Investment Abroad, lancée en 2008, pour assurer les besoins en nourriture du royaume a promis d’investir en Afrique en achetant des millions d’hectares. Or, finalement, assez peu d’acquisitions concrètes se sont matérialisées sur le continent[9].

Le rôle de l’Arabie Saoudite dans les organisations internationales

Autre vecteur d’influence pour l’Arabie : les fonds consentis sous forme de prêts ou de dons par le Fonds saoudien pour le développement (FSD). Depuis sa création en 1975, le FSD a largement abondé l’Afrique (52 % des montants décaissés), soit sept milliards de dollars. Sur les projets en cours – visant une variété de secteurs allant de l’électricité aux routes, à l’adduction d’eau, à l’école, à la santé etc. –, le FSD a consacré 4,2 milliards d’euros à l’Afrique. Sur ce montant, plus de 60 % concerne le Maghreb (40 % pour la seule Égypte). Un autre pays se détache en matière d’aide : Djibouti. Ce dernier accueille 1/5e de la totalité des crédits alloués à Afrique de l’Est[10]. Djibouti reçoit ainsi trois fois plus que l’Éthiopie et deux fois plus que le Kenya. En Afrique de l’Ouest (18 pays selon la liste du FSD – dont la Somalie et le Gabon font curieusement partie), plus d’un quart de l’encours concerne la seule Mauritanie. Ce dernier est l’un des piliers de la politique africaine de l’Arabie Saoudite depuis longtemps, d’autant plus que la rupture des liens diplomatiques de Nouakchott avec Doha n’a fait que renforcer ce tropisme. Le Sénégal est le deuxième récipiendaire de la zone Afrique de l’Ouest, avec des crédits moitié moindres.

En plus du FSD, l’Arabie Saoudite peut compter sur sa grande influence au sein de la Banque islamique de développement (BID) dont le siège est à Djeddah. 130 milliards de dollars ont été décaissés depuis la création de la BID en 1973. Si cette dernière compte désormais 57 pays membres actionnaires, Riyad y conserve une influence toute particulière en détenant 23,5 % du capital. L’Afrique reçoit actuellement 23 % des fonds consentis par la BID. Les premiers pays africains concernés sont le Sénégal (9 % des fonds totaux de la BID dans le monde), l’Égypte (5,9 %) et le Maroc (4,9 %[11]).

L’Arabie peut aussi compter sur son influence au sein de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) dont désormais sept pays africains (Algérie, Libye, Nigeria, Angola, Congo, Gabon et Guinée équatoriale) sont membres, sur un total de quatorze. Le Congo et la Guinée équatoriale l’ont rejoint ces deux dernières années avec l’espoir d’attirer des fonds du Golfe, saoudiens en particulier, vers leurs économies en crise.

L’islam comme vecteur d’influence

La présence des Lieux saints de l’islam à La Mecque et à Médine et la venue de millions de pèlerins chaque année pour le hadj est non seulement une manne importante – estimée à huit milliards de dollars annuels[12] – mais confère également un avantage symbolique et politique fort à l’Arabie Saoudite. Cette dernière délivre des quotas à tous les pays du monde pour le pèlerinage. Or, la variation du nombre de visas délivrés est un levier efficace de pression dont dispose Riyad pour faire plier certains États dans le cadre de sa diplomatie[13]. Le pèlerinage permet aussi chaque année à de nombreux dirigeants politiques du monde musulman de venir rencontrer des membres de la famille royale et du gouvernement. Les universités d’études islamiques sont un autre vecteur essentiel de l’influence de l’Arabie, à travers le domaine religieux. L’Islamic University of Medinah, l’Umm Al-Qura University à La Mecque, et l’Imam Muhammad Ibn Saud Islamic University à Riyad[14] forment, via des bourses depuis les années 1970, des milliers d’imams et d’oulémas. Ces derniers, une fois rentrés chez eux, professent non seulement un islam wahhabite dans des mosquées souvent construites grâce à l’argent de Riyad, mais ont également un attachement particulier au royaume qui les a formés. Aujourd’hui, ce clergé forgé depuis déjà trois décennies dans ces universités, occupe les plus hauts postes religieux en Afrique et a une influence certaine sur le pouvoir politique de leur État.

De multiples organismes saoudiens de charité font également des dons à des pays africains accroissant indirectement la capacité d’influence du royaume wahhabite. C’est le cas par exemple de la King Faisal Foundation dont 43 des 197 projets sont dirigés vers l’Afrique. De plus, des milliardaires de la famille royale comme Alwaleed ben Talal Al-Saud financent des programmes d’aides, à hauteur de millions de dollars, dont une grande partie est destinée à l’Afrique.

L’Arabie Saoudite, pour peser en Afrique, a su mettre en place une politique liant diplomatie, aides financières et politisation de l’islam. Si ses objectifs n’ont pas toujours été atteints (en dehors de l’Égypte, aucune grande puissance africaine n’a pris position contre le Qatar – le Nigeria, le Maroc, l’Algérie et l’Afrique du Sud se sont abstenus), elle a toutefois bâti un solide réseau d’alliances notamment au Sahel et dans la Corne. C’est essentiellement via des canaux officiels d’État que la puissance de Riyad en Afrique se déploie puisque les initiatives économiques du secteur privé restent encore très timides. Les hommes de l’ombre et autres intermédiaires, s’ils existent évidemment, ne sont pas le vecteur principal de la politique africaine du royaume qui peut compter sur une administration expérimentée. L’Arabie Saoudite ne semble pas envisager l’Afrique comme une zone de projection de son économie. Ses investissements y restent encore confidentiels comparés aux dons et coopérations fonctionnant avec l’argent de la zakat.

 

Ce document est également disponible en anglais : Saudi Arabia's Policy in Africa : Vectors and Objectives


[1]. Pour consulter la liste des missions saoudiennes en Afrique, voir le site du ministère des Affaires étrangères, disponible sur : www.mofa.gov.sa.

[2]. B. Augé, « Un an après le début du blocus saoudo-émirati contre le Qatar. Quelles conséquences pour l’Afrique de l’Ouest ? », L’Afrique en questions, n° 42, Ifri, octobre 2018, disponible sur : www.ifri.org.

[3]. Kattan a derrière lui une longue carrière dans la diplomatie saoudienne. En poste aux États-Unis pendant 21 ans où il a été pendant trois ans adjoint du puissant ambassadeur saoudien Bandar ben Sultan ben Abdelaziz Al-Saoud (1983-2005). Après être retourné en Arabie Saoudite, il fut nommé ambassadeur en Égypte de 2011 à 2018 où il représentait également son pays au sein de la Ligue arabe.

[4]. La plus grande partie des fonds est théoriquement destinée aux achats de matériel militaire français pour les armées membres du G5 Sahel.

[5]. Omar el-Béchir n’avait pas participé à la mise au ban du Qatar en juin 2017 malgré les pressions saoudiennes et émiraties. La mouvance des Frères musulmans, très présente dans l’appareil d’État soudanais, étant en effet largement soutenu par Doha.

[6]. « Saudi Basic Industries Corp. », Maghreb Confidentiel, n° 950, décembre 2010.

[7]. W. Roelf, « South Africa Sees New Saudi-Backed $10 Bln Refinery Onstream by 2028 », Reuters, novembre 2019, disponible sur : fr.reuters.com.

[8]. J. Bavier et A. Winning, « Saudi Makes $1 Billion Bid for Partnership With South Africa Defense Group Denel », Reuters, novembre 2018, disponible sur : www.reuters.com.

[9]. A. Gascon, « À l’Ouest du nouveau. La ruée vers les terres “vierges” périphériques en Éthiopie », Bulletin de l’Association de Géographes Français, n° 3, 2012, p. 464-473, disponible sur : www.persee.fr.

[10]. LE FSD a une acception très large de l’Afrique de l’Est comprenant 17 pays allant des Seychelles à la Zambie, aux Comores et à Madagascar.

[11]. Chiffres disponibles sur « Islamic Development Bank (“IsDB”) Investor Presentation », Banque islamique de développement, novembre 2019, disponible sur : www.isdb.org.

[12]. P. Cochrane, « The Economics of the Hadj », ACCA, juillet 2018, disponible sur : www.accaglobal.com.

[13]. B. Augé, « Quand l’Arabie Saoudite somme l’Afrique de lâcher le Qatar », Le Monde, juin 2017, disponible sur : www.lemonde.fr.

[14]. K. Al-Shaya, « Who Are the Foreign Students Enrolled at Saudi Universities? », Raseef22, mai 2017, disponible sur : raseef22.com.

 

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979-10-373-0122-2

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Benjamin AUGÉ

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