Lait contaminé : de la sécurité alimentaire au droit à l'information
Le scandale du lait contaminé en Chine qui a éclaté le 12 septembre dernier soulève de nombreux débats qui vont des insuffisances du système de contrôle de qualité aux questions de corruption des autorités locales. Le problème de la sécurité alimentaire soulève également la question du droit à l"information et du droit d"expression.
Selon les chiffres officiels, la consommation de produits laitiers contenant de la mélamine a fait quatre victimes et des maladies urinaires ont été détectées chez plus de 54 000 enfants. En réponse à cette tragédie qui a mis une fois de plus mis en évidence les problèmes de sécurité alimentaire en Chine, le gouvernement travaille à un projet de loi sur le contrôle de la qualité des biens alimentaires. Le principal handicap proviendrait de l"éclatement de la production, plus de 70 % de la production agro-alimentaire provenant d"entreprises de moins de 10 employés. Toute aussi éclatée, la supervision des contrôles relève de la responsabilité de six administrations différentes. Tout ceci nuit à la mise en place d"un système de contrôle de la qualité véritablement efficace.
Ce nouveau scandale met également en évidence les effets néfastes du manque d"information et les difficultés, pour les victimes, d"obtenir la reconnaissance légale de leurs torts.
Les lacunes de l"information
Les obstacles mis à la couverture médiatique d"une information aussi importante en termes de santé publique constitue une réelle question éthique. Comme dans le cas du sida au milieu des années 1990, ou bien dans celui plus récent du SRAS, le gouvernement a réussi à retenir l"information un certain temps avant que le scandale n"éclate. De nombreuses références à ce nouveau scandale avaient circulées sur le net, depuis la fin de l"année 2007, avant que le sujet ne disparaisse quasiment des forums de discussion et des blogs à la veille des jeux olympiques. Au mois de juillet, , selon des informations recueillies par l"AFP, des journalistes du Nanfang Zhoumo avaient tenté vainement d"enquêter sur l"hospitalisation anormale de nourrissons. Il est par ailleurs avéré que la société Néo-Zélandaise Fonterra, détenteur de 43 % des parts du producteur de lait maternisé Sanlu, avait tenté sans succès au début du mois d"août 2008 d"obtenir de son partenaire chinois un retrait des produits contaminés.
Alors que depuis le mois de septembre, les médias chinois officiels eux-mêmes couvrent l"affaire, l"information continue d"être fortement filtrée. Les émissions télévisées se veulent rassurantes et diffusent les images de vaches paissant dans l"herbe verte et de tests réalisés dans des usines agroalimentaires modernes et bien équipées. Pourtant, des consommateurs se plaignent de trouver dans les rayonnages des produits officiellement retirés de la vente. L"information concernant les produits concernés ne semble pas avoir été bien relayée sur l"ensemble du territoire chinois et la question de la mise en œuvre des mesures annoncées se pose avec aquité.
Le rôle limité d"Internet
Aujourd"hui, à la suite des industriels et des hommes politiques, les grands portails Internet tels que sohu.com ou Sina.com sont montrés du doigt par la population chinoise pour ne pas avoir laissé passer l"information. Toutefois, tout autant que les médias, ces principaux portails sont soumis à un contrôle strict, tout particulièrement lorsqu"il s"agit d"informations sensibles. Une directive adoptée en 2005 règle la diffusion des informations sur Internet en distinguant les sites Internet d"information qui ont une licence leur permettant de diffuser les nouvelles données par les médias officiels ; les sites qui, au-delà des informations officielles souhaitent diffuser leurs propres reportages ou articles, ces sites doivent être accrédités et disposer dans leur personnel d"au moins cinq rédacteurs ayant au minimum trois ans d"expérience dans une agence de presse officielle. Enfin, l"ensemble des autres sites, qui n"ont pas le droit de diffuser leurs propres informations, doivent embaucher au moins 10 rédacteurs ayant travaillé dans une agence de presse officielle et disposer d"un capital d"au moins 1 million d"euros. De ce fait, il est très difficile de diffuser d"autres informations que celles proposées par les organes de presse officiels et les contrevenants à la loi sont bien sûr sujets à diverses formes de peines. Les portails Internet les plus visités sont de plus soumis à des réunions hebdomadaires avec des responsables des différentes instances administratives chargées de l"Internet. Dans le cas de directives urgentes, les rédacteurs sont également en lien quotidien par SMS et MSN avec ces instances. A Pékin par exemple, les employés de 19 sites internet basés dans la ville doivent participer à une réunion hebdomadaire avec the Internet Information administrative Bureau afin d‘analyser les publications de la semaine et de prévoir les sujets à traiter la semaine suivante [1].
La liberté de publication accordée aux grands portails Internet est donc très réduite. Les informations qui défient les directives officielles demeurent rares. Paradoxalement, ces informations sont plus facilement diffusables sur des sites Internet locaux pour lesquels le contrôle est moins fort. Certes, Internet a joué un rôle dans l"avènement du scandale. L"ampleur des commentaires et l"indignation exprimée à travers les forums de discussion depuis septembre ont obligé les dirigeants à reconnaître la responsabilité du gouvernement. Mais Internet aurait aussi pu joué un rôle plus important de prévention.
Les limites des capacités d"action de la société civile
Si en amont, les organes de presse peinent à prévenir les problèmes, en aval les victimes de ont des difficultés à exprimer leur mécontentement et à faire aboutir leurs plaintes.
En mai dernier, à la suite du tremblement de terre dans la province du Sichuan, la colère des familles ayant perdu des enfants dans l"effondrement des écoles mal construites avait laissé espérer un suivi judiciaire plus juste et transparent. Les parents ont souhaité qu"une enquête soit menée afin de déterminer la responsabilité des autorités locales dans la faible qualité des bâtiments scolaires au regard des normes anti-sismiques. L"ampleur du drame et sa forte médiatisation auraient pu déboucher sur la mise en place de procès visant les responsables locaux. Pourtant il semble aujourd"hui que le choix d"une compensation financière versée par les autorités locales, l"emporte largement.
Dans le cas du lait contaminé l"implication des autorités locales est également avérée, mais il s"agit cette fois d"un événement qui touche l"ensemble du pays ainsi que des couches sociales plus diversifiées, ce qui peut jouer en faveur des protestataires. Toutefois là encore les tentatives d"intimidation se multiplient. Suivant un processus de judiciarisation peut-être en partie inspiré du modèle américain, un groupe d"avocats s"était rapidement formé pour proposer leurs services aux familles dont un enfant était victime ou pouvait être victime des produits laitiers. Ce groupe d"avocat a créé un blog afin de donner des conseils en cas de litige, mais, très vite, certains d"entre-eux ont demandé à se retirer du groupe, très certainement à la suite de manœuvre d"intimidation. Rappelons que la licence qui permet aux avocats d"exercer est renouvelée tous les ans ; il s"agit là d"un moyen de pression évident sur cette profession [2]. En outre, certains parents de victimes seraient mis sur écoute afin de savoir s"ils sont en contact avec des journalistes ou des avocats [3] et ainsi dissuadés de participer à tout regroupement protestataire.
Ce nouveau scandale sanitaire en Chine semble toutefois pousser le gouvernement chinois à réagir rapidement au niveau de la législation sur les contrôle alimentaires. Il rappelle l"intérêt que peut représenter la liberté d"information dans la prévention et la gestion des crises. Reste à savoir si ce nouveau scandale lié à la qualité des produits chinois permettra une nouvelle avancée sur la voix de réformes plus profondes des modes de fonctionnement du système.
Hélène Le Bail est chercheur pour le Programme Chine du Centre Asie Ifri.
[1] Selon le rapport écrit par un employé d"une société Internet chinoise pour RSF et China Human Rights Defenders : " Journey to the heart of Internet censorship ", 2007.
[2] Voir les articles de Mathilde Bonnassieux qui a suivi en détail cette affaire pour le média en ligne Aujourd'hui la Chine.
[3] Les autorités utilisent la liste de contacts établies par la hotline qui a été mise en place au profit des parents inquiets. Voir les articles de Radio Free Asia.
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