Le couple franco-allemand dans la tourmente ?
Hans Stark est venu s’exprimer sur l’hypothèse de troubles dans le couple franco-allemand. Notre invité est intervenu en sa qualité de maître de conférences en histoire contemporaine et secrétaire général du Cerfa (Comité d’étude des relations franco-allemandes). Ce comité d’étude est le tout premier produit de la coopération franco-allemande puisqu’il fut institutionnalisé en 1954 suite à la signature du premier traité bilatéral franco-allemand – Traité de Saint Cloud. Le Cerfa, dès sa création, eut pour objectif de répondre à l’ambition du traité bilatéral qui visait la création d’instances de coopération dans le domaine scientifique. Ce centre, spécialisé dans l’étude des relations franco-allemandes, est hébergé en France par l’Institut Français des Relations Internationales et en Allemagne par la Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik. Ces deux instances bénéficient de subventions octroyées par les ministères français et allemand des Affaires Etrangères.
Notre invité a distingué deux éléments qui, à son sens, permettent de définir l’état des relations franco-allemandes.
Une relation franco-allemande devant réinventer de nouveaux objectifs
Tout d’abord, on observe des causes structurelles qui expliquent le mal-être des relations entre les deux pays. Parmi celles-ci, on peut citer :
• La fin de la réconciliation. L’objectif initial du rapprochement qu’ont effectué la France et l’Allemagne était la réconciliation des peuples et des élites au lendemain de la seconde guerre mondiale. Celle-ci s’acheva de fait à la fin des années 1970. A partir de là s’est engagée la coopération qui nécessite la définition de nouveaux thèmes pour agir en commun.
• Dès 1974 (arrivée au pouvoir de Helmut Schmidt et de Valéry Giscard d’Estaing), une coopération active se met en place ayant pour but d’amplifier l’action de la Communauté Economique Européenne (CEE). Cette coopération au service d’une vision franco-allemande de la CEE s’intensifiera durant les mandats de François Mitterrand et Helmut Kohl jusqu’à l’élargissement aux pays méditerranéens de l’Europe.
• Depuis la réunification de l’Allemagne, la France est plutôt réticente à l’égard de toute ouverture précipitée vers l’Est de l’Europe. Alors que l’Allemagne perçoit l’ouverture de l’Europe vers l’Est comme un phénomène paneuropéen positif, la France estime qu’elle fragilise la construction européenne et marginalise les États membres situés à l’Ouest du continent européen. Selon l’orateur, Il existe donc une certaine forme d’irritation de la France à l’égard de la nouvelle place géopolitique de l’Allemagne, qui s’était notamment manifestée au début des années 1990, mais qui n’a plus jamais disparu depuis.
• Enfin, la dernière cause structurelle est partisane. Il existe une concurrence inconsciente entre droites et gauches européennes. Ceci a pour conséquence que les couples franco-allemands fonctionnant le mieux sont ceux où il n’y pas de convergences idéologiques. Pour illustrer ce propos, il est couramment admis que le couple Mitterrand / Kohl ou Schröder / Chirac ont été très efficaces.
La rupture Gerhard Schroder / Angela Merkel et Jacques Chirac / Nicolas Sarkozy
Au-delà des causes structurelles, des éléments conjoncturels viennent assombrir le ciel des relations franco-allemandes. Parmi ces éléments, on peut citer :
• La politique internationale d’Angela Merkel fort différente de celle de son prédécesseur. Angela Merkel a vilipendé lors de sa campagne électorale le trio Schröder / Chirac / Poutine. Celle-ci était également très critique à l’égard de la position allemande, collée sur celle de la France lors de la seconde guerre irakienne. Elle est favorable à un retour d’une politique étrangère allemande équidistante des intérêts de la France et des Etats-Unis.
• Les signaux contradictoires émis par Nicolas Sarkozy sur son engagement pro-européen. Ce dernier, alors ministre des Finances au sein du gouvernement Raffarin lors de la crise de gouvernance dans certaines entreprises franco-allemandes a privilégié une solution plus favorable à la France qu’à l’Allemagne. Il en est de même dans le cadre général de sa politique industrielle. Par la suite, une fois accédé au pouvoir, il n’a cessé de critiquer la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne (BCE), remettant ainsi en question, du point de vue allemand, le modèle de la BCE qui fut l’un des principaux résultats du couple franco-allemand dans la décennie 1990. La dernière action politique ayant irrité les responsables allemands est l’intervention de Cecilia Sarkozy en Libye afin de libérer les infirmières bulgares retenues par le régime de Mouammar Khadafi alors que ces responsables étaient sur le point d’obtenir leur libération après de difficiles négociations menées par l’Union européenne (UE). En revanche, Berlin s’est réjoui du fait que Nicolas Sarkozy ait procédé en France à une ratification parlementaire du Traité de Lisbonne, qu’il ait soutenu les Allemands, lors du sommet de Bruxelles de juin 2007, dans leur négociation avec le Président polonais Lech Kaczynski pour convaincre ce dernier de lever son veto sur la question du vote à la double majorité et qu’il se soit engagé lors de sa campagne, à mener une politique économique et sociale libérale – ce qui a notamment satisfait la CDU (Christlich Demokratische Union Deutschland).
• L’Union pour la Méditerranée fut une source d’irritation en Allemagne quant à la méthode adoptée et au projet initialement proposé. Alors que l’Allemagne, aujourd’hui très proche d’Israël, est impliquée au Liban, dans le processus de paix en Palestine et dans la normalisation des rapports de l’UE avec la Syrie, le projet proposé par Nicolas Sarkozy ne s’adressait qu’aux seuls Etats riverains de la Méditerranée de l’UE et ne considérait absolument pas le processus de Barcelone inauguré en 1995.
Le compromis final a permis de donner satisfaction à tous puisque renommé Processus de Barcelone – Union pour la Méditerranée, il intègre l’ensemble des Etats-membres de l’UE.
Hans Stark a précisé qu’on pouvait voir l’initiative française de l’Union pour la Méditerranée comme une réponse à l’initiative unilatérale de Monsieur Steinmeier d’introduire des éléments de la Politique Européenne de Voisinage (PEV) en Asie Centrale. De même, le processus de Barcelone, initié lors du sommet de Cannes en 1995, était une réaction au sommet européen d’Essen de 1994 présidé par le Chancelier Allemand Helmut Kohl qui avait proposé une coopération avec l’Est européen. Chaque fois que l’Allemagne a émis une proposition visant à orienter l’Europe vers l’Est, on observe une réponse française consistant à rééquilibrer le centre de gravité de l’Europe via un partenariat renforcé avec le Sud européen.
Enfin, l'orateur a insisté sur le fait que les tensions que connaissent actuellement les relations franco-allemandes doivent impérativement être relativisées. En effet, la coopération entre la France et l’Allemagne existe toujours à tous les niveaux, qu’ils soient politique, économique, scientifique ou culturel. Au niveau étatique, les liens entre hautes administrations et hommes politiques sont durables et intenses. De nombreux hauts fonctionnaires français effectuent des séjours dans l’administration fédérale allemande et inversement. Ceci permet de mieux comprendre les enjeux bilatéraux, d’autant plus que l’intégration des fonctionnaires étrangers se révèle excellente. Au niveau économique, les liens entre entreprises françaises et allemandes sont resserrés dans la mesure où la France et l’Allemagne ont l’intégration commerciale mutuelle la plus avancée de l’UE des 27.
Enfin, au niveau de la société civile, on observe une proximité exprimée par les nombreux couples mixtes franco-allemands et des villes jumelées, sans oublier le rôle important joué par l’Office franco-allemand de la jeunesse (Ofaj).
Pour conclure, Hans Stark a constaté que, mise à part la question de la gouvernance de la BCE, la France et l’Allemagne n’ont jamais été aussi proches politiquement. Il a ajouté qu’il est peut être nécessaire d’accepter que les plus grandes innovations du couple franco-allemand ne se feront plus comme dans le passé, le cadre de l’Europe des 27 étant infiniment moins propice à des initiatives franco-allemandes que le cadre de l’Europe des 6 ou des 12.
A la suite de l’intervention de Monsieur Stark, un débat s’est ouvert avec l’audience. Les nombreuses questions ont eu trait au manque d’attirance des étudiants français du secondaire pour l’apprentissage de l’allemand et inversement, aux acquis du couple franco-allemand et à la question de l’intégration de la France à l’OTAN (Organisme du Traité de l’Atlantique Nord) et les conséquences engendrées pour la PESD (Politique Européenne de Sécurité et de Défense).
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