Les enjeux du G8 pour le Japon
Le Japon a souhaité faire de la question du changement climatique la priorité du G8 qu"il accueille cette année près du lac Toyako sur l"île de Hokkaido. Tokyo souhaite démontrer à cette occasion sa capacité de leadership et reprendre l"initiative face à une puissance chinoise incontournable mais dont l"image, notamment sur les questions environnementales, s"est récemment dégradée.
Le Japon à l"avant-poste de la lutte contre le changement climatique ?
Le Premier ministre Fukuda, pourtant en difficulté sur le plan intérieur, a multiplié les discours et initiatives pour imposer ce qu"on appelle la " vision Fukuda ", annoncée début juin : la transition du Japon vers une société sobre en carbone (low carbon society) grâce à l"innovation technologique permettant l"optimisation de la dépense énergétique secteur par secteur (industrie, transports etc…) et la mise en place d"un système " cap and trade " de marché de droits d"émission de carbone, à tester dès l"automne 2008. Il s"est ainsi engagé à réduire les émissions japonaises de 60 à 80 % d"ici 2050.
Sur le plan international, Fukuda a souhaité obtenir des puissances du G8 un engagement ferme sur une réduction de moitié de leurs émissions de gaz à effet de serre en 2050 dans le cadre post-Kyoto, et développer la coopération pour l"environnement avec la mise en place de fonds d"investissement pour les transferts de technologies vers les pays en développement afin de leur permettre de prendre part à l"effort général pour contrôler les émissions polluantes. L"approche japonaise est basée sur sa propre expérience en matière d"économie d"énergie. En effet, tirant les leçons de plusieurs scandales environnementaux dans les années 1970, dont le drame de Minamata, le Japon a développé un ensemble de normes strictes accompagnées de la mise au point de technologies propres contribuant à une rationalisation de la dépense énergétique nationale. Il est aujourd"hui le leader mondial en terme d"efficacité énergétique.
Entraves à l"ambition japonaise
En dépit de ses ambitions, le projet japonais souffre d"un manque de volonté politique pour clarifier sa position nationale sur la question climatique. Tokyo a échoué à s"engager sur un objectif de réduction chiffré à moyen terme (2020), ce qui lui a valu des critiques de la part de l"UE, mais aussi de Ban Ki-Moon, le secrétaire général des Nations Unies. De même, le Japon cherche à négocier, au nom du principe d"équité, un changement de l"année de référence pour les calculs des baisses nationales d"émission (1990), qui selon lui avantagerait l"Union européenne[1]. L"archipel, en effet très en retard sur son engagement pris à Kyoto de réduire de 6 % ses émissions en 2012[2], plaide pour un nouveau mode de calcul basé sur l"année 2005. Les ONG et l"UE sont également attentives à ce que l"approche sectorielle défendue par le Japon (approche bottom-up) ne remplace pas l"engagement basé sur un objectif de réduction national (approche top-down), plus contraignant.
Le Japon, qui cherche à créer un consensus entre les différents acteurs, occupe en réalité une position inconfortable entre l"approche européenne et américaine. S"il souhaite apparaître comme un leader sur les questions climatiques aux cotés de l"UE, la recherche de flexibilité dans les objectifs de réduction (approche sectorielle, négociation de l"année de référence) et sa participation à des mécanismes financiers de coopération créés hors du cadre des Nations Unies, le font apparaître comme plus proche de la position des Etats-Unis. En outre, l"approche sectorielle promue par Tokyo ne remporte pas l"adhésion des pays en développement.
Les difficultés rencontrées par le gouvernement japonais pour se positionner clairement sur la question climatique résultent de la nécessité de satisfaire les ambitions de son ministère de l"Environnement, mais aussi et surtout les exigences du secteur industriel (bien relayées au sein du METI - ministère de l"Economie, du Commerce et de l"Industrie), dont l"efficacité énergétique est bien meilleure que celle des industries nord-américaines ou européennes et qui s"oppose à des objectifs contraignants.
Enfin, obtenir l"engagement des deux plus grands pollueurs mondiaux - les Etats-Unis et la Chine - reste une gageure. Washington conditionne en effet son engagement à la participation de Pékin au processus global de réduction des émissions. Dans ce contexte, la pertinence du format du G8, qui n"inclut pas les grandes économies émergentes, est remise en question.
Des réunions élargies s"ajoutent cette année au sommet classique, comme le MEM, rencontre des économies majeures sur le climat, initiée par les Etats-Unis en 2007 et qui réunit les seize pays responsables de 80% des émissions mondiales de carbone (le G8, le G5[3], l"Australie, l"Indonésie et la Corée du Sud). Ces réunions visent à mettre en place un consensus autour du cadre post-Kyoto.
Malgré cette prolifération de rencontres au format élargi, qui démontre la nécessité d"intégrer les pays-clés sur chaque dossier et en particulier la Chine devenue un acteur incontournable, le Japon rejette la proposition française et britannique d"instituer un G13 permanent. Ce dernier permettrait en effet à la Chine de prendre part à ce club de grandes puissances. Alors que Pékin refuse à Tokyo l"accès à un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations-Unis, le Japon craint ainsi d"être " déclassé " sur la scène internationale.
Gaiatsu : pression chinoise et reformulation de la diplomatie japonaise
Le Japon peut se féliciter de l"accord arraché aux puissances du G8 qui s"engagent à réduire d"au moins 50 % leurs émissions de gaz à effet de serre d"ici 2050. Même si cet accord a minima reste imprécis (l"année de référence n"a pas été spécifiée), non-contraignant et ne précise pas d"objectif à moyen terme (2020) pour les grandes puissances, il a été qualifié d"avancée significative par les Etats du G8 et plusieurs représentants européens (dont José Manuel Barroso, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy) se sont déclarés " très satisfaits " de cet accord, notamment en raison du ralliement des Etats-Unis et du Canada. Les grandes économies émergentes, si elles regrettent le manque de leadership des pays industrialisés, se sont jointes au G8 pour soutenir un objectif de réduction d"émissions à long terme (déclaration du MEM le 9 juillet). Il s"agit donc d"un pari gagné pour le Japon qui a réussi à réunir les différents acteurs du sommet sur un consensus, jugé certes très insuffisant par les environnementalistes.
Outre les avancées sur la question climatique, le Japon s"est positionné comme un des principaux acteurs du développement africain. Sept pays africains [4] ont donc été spécialement conviés pour discuter de la question le 7 juillet. Tokyo tente en effet d"affirmer sa position en Afrique, face à la concurrence agressive de la Chine. L"organisation de la 4e session de la TICAD (Tokyo International Conference on African Development) en mai dernier, a ainsi été l"occasion d"annoncer le doublement de l"aide japonaise à l"Afrique d"ici 2012 et d"importantes mesures destinées à doubler l"investissement privé nippon sur le continent sur la même période. Tokyo a également mis en avant l"originalité de sa politique de développement, basée sur sa propre expérience depuis 1945, et ses vertus, face à une politique chinoise qui ne prend pas en compte les questions de gouvernance politique[5].
La démonstration du leadership japonais vise à reprendre l"initiative et exister dans des domaines où la puissance chinoise est devenue incontournable. C"est le cas, entre autres, du réchauffement climatique, des grands équilibres économiques, du développement africain et du maintien de la paix (Fukuda vient d"annoncer un déploiement des forces d"autodéfense dans le Sud du Soudan - de tels déploiements en terrain africain restent exceptionnels pour le Japon). Malgré une amélioration remarquable des relations bilatérales et la décision du Premier ministre Fukuda d"assister à la cérémonie d"ouverture des Jeux olympiques, la Chine et le Japon demeurent souvent rivaux dans les arènes internationales. La promotion du modèle japonais de développement économique et environnemental apparaissant comme une alternative au modèle chinois[6].
Tokyo ne peut plus ignorer la puissance chinoise en expansion, la présence de Pékin, source majeure d"incertitudes, devient indispensable au règlement des grandes problématiques mondiales. Il sera donc difficile pour le Japon de maintenir son refus d"élargir le cercle du G8 à la Chine. Pour maîtriser cette évolution, Tokyo peut défendre une diplomatie originale sur bien des points et chercher à nouer des partenariats fructueux, notamment avec l"UE et l"Inde pour conserver sa place au sein des grandes puissances. La fameuse " pression extérieure " (gaiatsu) qui pousse le Japon à faire évoluer sa position internationale, et qui était principalement le fait de l"allié américain, provient aujourd"hui pour une grande part de la nécessité pour Tokyo de s"adapter à l"émergence de la puissance chinoise sur la scène internationale.
Céline Pajon est assistante de recherche au Centre Asie Ifri, spécialiste des questions japonaises.
[1]L"efficacité des entreprises japonaises était en effet déjà très élevée en 1990, ce qui rend d"autant plus difficile les marges de progrès face aux autres pays.
[2]En 2005, les émissions japonaises étaient de 6 % supérieures à celles de 1990.
[3]La Chine, l"Inde, le Brésil, l"Afrique du Sud et le Mexique y participent.
[4]Afrique du Sud, Algérie, Sénégal, Ghana, Tanzanie, Nigeria, Ethiopie.
[5]Julien Kita, " La 4ème TICAD : accélération de la coopération Japon-Afrique ", Lettre du Centre Asie 26, Ifri, 10 juin 2008.
[6]Sur la question climatique, Tokyo a bien entendu pris de l"avance sur Pékin, qui a besoin de la technologie propre japonaise pour accroître l"efficacité énergétique de ses industries.
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