Népal : retour vers le passé ?
La décision prise le 4 mai par le premier ministre maoïste, Pushpa Kamal Dahal, plus connu sous le nom de guerre de Prachanda, de démissionner, moins de neuf mois après son entrée en fonction à la tête d'un gouvernement de coalition, fait à nouveau planer sur le Népal le spectre de l'instabilité politique. Le refus du président népalais, Ram Baran Yadav, d'avaliser la destitution du chef des forces armées, le général Rookmangud Katawal, a été la cause de la démission de Prachanda qui fut également lâché en la matière par ses rivaux communistes, mais néanmoins alliés gouvernementaux, du Parti Communiste Népalais-Unified Marxist leninist (PCN-UML). Prachanda considère que le président a enfreint les pouvoirs que lui confère la constitution intérimaire et que surtout il a laissé passer l'occasion d'asseoir la suprématie du pouvoir civil sur les militaires. R. B. Yadav, un ancien ministre de la santé et secrétaire général du parti du Congrès Népalais, avait été élu président en juillet 2008 contre le candidat présenté par les maoïstes.
Cela faisait plusieurs mois que la tension montait entre Prachanda et le général Katawal avec pour principale pomme de discorde la réhabilitation et l'intégration de quelque 19000 combattants maoïstes actuellement placés dans des camps supervisés par les Nations Unies. Cette perspective avait été évoquée dans l'accord de paix signé en novembre 2006 entre Prachanda, qui n'était alors que le président du parti communiste népalais-maoïste (PCN-M), et Girija Prasad Koirala, premier ministre à l'époque. L'accord avait formellement mis fin à une décennie de " guerre du peuple ". Le PCN-M reprochait aussi au général Katawal d'avoir recruté 3000 soldats plutôt qu'intégrer des éléments maoïstes et d'avoir prolongé le terme de huit brigadiers-généraux. Pour les maoïstes, l'intégration à la base, mais aussi dans des rangs élevés, d'anciens combattants était un élément d'influence au sein d'une armée, composée d'environ 90000 hommes, qui avait été particulièrement loyale au roi et un moyen de prévenir un coup d'état.
La direction maoïste dénonça l'attitude interventionniste de l'Inde, soulignant le rôle de son ambassadeur à Katmandou qui avait à plusieurs reprises déconseillé à Prachanda de démettre le chef des forces armées. Traditionnellement, les armées indiennes et népalaises entretiennent des relations étroites. New Delhi s'inquiétait aussi manifestement de ce qui lui apparaissait comme un approfondissement des liens entre le Népal et la Chine suite à la visite de plusieurs délégations chinoises. L'idée par exemple qu'une ligne ferroviaire puisse un jour relier Lhassa à la frontière népalaise dérange des stratèges indiens alarmés par toute présence chinoise dans l'état himalayen. L'achat d'armes à la Chine en 1989, sans obtenir préalablement l'accord de New Delhi, avait conduit à un embargo économique du Népal. Il n'y a pourtant pas particulièrement d'atomes crochus entre les maoïstes népalais et la direction communiste chinoise. Durant la " guerre du peuple ", Pékin avait pris soin de ne pas soutenir une rébellion maoïste qui condamnait le révisionnisme d'un Deng Xiaoping et avait préféré maintenir des relations cordiales avec le roi. Si les maoïstes stigmatisaient l'hégémonisme indien, c'est à New Delhi que s'était négocié le rapprochement entre le PCN-M et l'alliance des partis parlementaires opposés au roi Gyanendra. Les maoïstes, comme les autres acteurs politiques, savent que s'il faut ménager les Chinois sur la question tibétaine, il est nécessaire de ne pas se mettre à dos l'Inde avec laquelle le pays partage une frontière ouverte qui autorise des mouvements migratoires et commerciaux considérables. Les maoïstes népalais en étaient même venus à manifester, au moins publiquement, une certaine distance vis-à-vis de la lutte armée menée par leur camarades indiens.
Bien que protestant de leurs bonnes intentions pluralistes et de leur volonté de voir appliquer, ni plus ni moins, l'accord de paix, la direction maoïste a encore du mal à faire disparaître le soupçon pesant sur elle de vouloir contrôler les institutions étatiques avec l'objectif d'instaurer une démocratie populaire. Leur préférence pour le passage d'un système parlementaire à un système présidentiel serait une des preuves de leurs tendances dictatoriales. Les violences et les intimidations des jeunesses maoïstes (Youth Communist League) contre des militants qui sont d'une couleur politique différente renforcent aussi la suspicion.
Le Congrès Népalais, qui historiquement est la principale formation politique du pays mais arriva seulement en deuxième position loin derrière les maoïstes lors des élections à l'assemblée constituante d'avril 2008, n'a jamais fait mystère de son désir de revenir au gouvernement le plus rapidement possible. Il a soutenu la candidature de Madhav Kumar Nepal, un des membres les plus en vue du PCN-UML, au poste de premier ministre en remplacement de Prachanda. Avec le soutien de 22 des 25 partis parlementaires, soit 350 sièges de députés sur les 601 membres de l'assemblée constituante, M. K. Nepal a prêté serment le 25 mai, réalisant enfin son rêve de devenir premier ministre. Il fut pendant quinze ans chef du PCN-UML (jusqu'à sa défaite aux élections en 2008) et avait été vice-premier ministre lorsque les communistes avaient gouverné pendant neuf mois au milieu des années quatre-vingt-dix. Pour autant, cette nomination n'est pas l'assurance d'un apaisement de la vie politique. Au sein de son propre parti, Jhala Nath Khanal, élu président du PCN-UML en février 2009 mais minoritaire au sein du bureau politique face au camp M. K. Nepal- K. P. Oli, était personnellement favorable au renvoi du chef des forces armées. Le Madeshi Janadhikar Forum (MJF), qui avec 53 députés est le quatrième parti en importance au parlement, paraît réservé quant à la viabilité du nouveau gouvernement. Son président, Upendra Yadav, qui était le ministre des Affaires étrangères, soutenait l'action menée par Prachanda contre Katawal. Le MJF a promis de soutenir le gouvernement tant que celui-ci s'engagerait à faire entrer dans les faits l'accord en huit points signé en février 2008 prévoyant notamment une province autonome dans la région du Terai (la province Madhesh) avec droit à l'autodétermination et une représentation accrue des Madheshis dans les services de l'état et dans l'armée. C'est plus largement la question de la satisfaction des revendications ethniques dans un état qui est dorénavant fédéral qui se pose avec de plus en plus d'acuité.
Un retour aux luttes des factions, aux ambitions personnelles, et aux retournements d'alliances qui avait plombé le retour à une démocratie pluraliste après le jan andolan (mouvement populaire) de 1990 et vu une succession rapide de premiers ministres ne serait pas de nature à consolider des institutions démocratiques. L'élaboration d'un programme commun minimum est supposé asseoir la nouvelle coalition gouvernementale. Le premier défi sera de mener à bon terme les travaux de la commission en charge de la rédaction de la nouvelle constitution prévue pour le printemps 2010. Chaque article de la constitution doit être approuvé à une majorité des deux-tiers, or les maoïstes détiennent 40 % des sièges de députés. Le PCN-M a une légitimité démocratique que les autres partis peuvent difficilement lui contester et un pouvoir de mobilisation de ses militants lui permettant de gêner considérablement l'action gouvernementale. Les maoïstes ne manquent pas de rappeler que, face à l'opportunisme d'autres acteurs politiques, ils se sont battus pour des principes dorénavant entrés dans les faits comme l'abolition de la monarchie, la laïcité et le caractère fédéral de l'état. Avec la défense de la suprématie du pouvoir civil et la dénonciation de l'interventionnisme indien dans les affaires intérieures, la direction maoïste joue d'arguments porteurs auprès de l'opinion publique. En plaçant le PCN-M en tête lors des élections d'avril 2008, les électeurs avaient aussi voulu sanctionner le jeu politicien des formations politiques classiques. Revenir à une telle configuration pourrait finalement profiter au PCN-M, faisant oublier au passage les attentes non satisfaites durant les huit mois de gouvernance maoïste.
Gilles Boquérat est chercheur et responsable du Programme Inde et Asie du Sud au Centre Asie Ifri.
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