Pour sortir la politique extérieure de l'UE de la torpeur
Les ministres des Affaires étrangères européens se réunissent aujourd'hui et demain pour le traditionnel Gymnich. Cette réunion informelle est souvent l’occasion d’aborder des dossiers stratégiques que l’actualité et le format du Conseil des ministres à Bruxelles ne permettent pas de traiter. Une question dominera l’ordre du jour : comment avancer en matière de relations extérieures au niveau européen, en plein marasme économique ? Deux solutions semblent s’offrir aux Etats-membres : davantage coopérer et relancer la réflexion stratégique.
De la difficulté d'aller de l'avant
L’Union européenne perd du terrain sur la scène internationale et ses Etats-membres actifs en politique étrangère peinent à être entendus au-delà de l’Europe (ou hors de leurs zones d’influence historique). Le monde ne s’arrête pourtant pas de tourner pendant que l’Union se lamente sur son sort. Si personne n’a intérêt à voir l’UE s’écrouler, cela n’empêche pas les Etats dits " émergents " de poursuivre leur quête d’influence politique et économique.
Ces lieux communs, les Etats-membres ont pourtant du mal à les accepter. Le projet français d" " Europe puissance " n’a probablement jamais eu aussi peu d’assise en Europe. Les Etats membres ergotent autour du concept de " partenaires stratégiques ", comme devant un sésame qui conférerait stature et substance aux relations avec les Grands : Chine, Etats-Unis, Inde ou Russie. Mais ces " partenariats " ne parviennent guère à dépasser l’obsession commerciale...
Le traité de Lisbonne devait apporter plus de cohésion et plus de visibilité à l’Union en politique étrangère ; on reste loin du compte. Les réussites de Catherine Ashton, le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, sont minces et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) est embourbé dans les ornières bureaucratiques. Il n’y a rien dans les tuyaux : Bruxelles n’est pas force d’initiative stratégique.
Ce n’est guère du goût de certains Etats-membres, les plus actifs sur la scène internationale, d’où une résurgence de coopérations ad hoc : les traités franco-britanniques, la renaissance du triangle de Weimar…
Une fenêtre d'opportunité
Le risque est réel pour l’Union de perdre toute possibilité d’agréger pouvoir et visibilité. Il existe pourtant deux domaines dans lesquels l’UE peut jouer un rôle constructif - mais cela dépend évidemment de sa force d’impulsion et de la marge de manœuvre que les Etats-membres lui laissent.
Premier champ d’action possible : favoriser la coordination en matière de politique étrangère et de défense. Sans remettre en cause le pré-carré des Etats membres, peuvent-ils continuer à aligner des choix décisifs sans même en informer le reste de l’Union ? Comment justifier que les Pays-Bas décident d’abandonner leurs tanks presque en catimini ? Les Etats membres rédigent chacun leur tour leur doctrine nationale : la France le fera de nouveau avec le prochain Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale. Tous le font de manière indépendante, sans consultation des autres Etats de l’UE, sans coordination, et sans critères communs.
A quoi bon essayer de forger une culture stratégique et des objectifs communs si tout le monde continue à penser dans son coin ? Il ne s’agit pas là de rêver d’une pensée unique, mais de respecter un minimum de cohésion et d’aspiration commune. Surtout, comment ne pas privilégier ce type de dossier, alors même que tous les Etats répètent que seuls ils ne peuvent déplacer des montagnes, notamment en matière de défense, où seul le développement de coopérations sur les capacités peut éviter l’impuissance, voire la régression ? C’est à la machine centrale de donner le La. Mais les obstacles sont légion.
Second champ d’action possible : la Stratégie européenne de sécurité. Approuvée en 2003 en contrepoint de la guerre en Irak et de la stratégie américaine de 2002, et un peu révisée en 2008 sous impulsion française, elle a besoin d’un souffle nouveau. Les avancées du traité de Lisbonne - tant le poste du Haut représentant que le SEAE - ne sont pas prises en compte. Les postures des grands partenaires ont évolué, les priorités officielles européennes peut-être pas, mais les moyens oui : il faut donc établir des priorités.
Surtout, cet exercice aurait deux vertus principales. La première : forcer et stimuler le débat sur les questions de relations extérieures, qu’il faut ouvrir à d’autres domaines que la politique étrangère et la défense, pour y inclure notamment le commerce, l’environnement, l’énergie, les questions migratoires et le continuum sécurité intérieure et sécurité extérieure. La seconde serait de clarifier la répartition des rôles entre la Commission européenne et le SEAE : répondre à la question " qui fait quoi ? " peut paraître accessoire, mais c’est politiquement décisif.
Cette tâche est énorme et les temps y semblent peu propices. Pourtant, l’opportunité politique est réelle, tout autant que l’urgence : la crise économique est en train d’affaiblir durablement les postures nationales et européenne. Il reviendrait au SEAE d’initier le débat, ce qui pourrait également lui permettre de sortir des starting-blocks, bien qu’on ne puisse ignorer les interrogations sur sa maturité et donc sa capacité à mener à bien un tel exercice.
Les institutions multilatérales sont perçues comme trop lentes et trop lourdes pour avancer sur ces sujets. L"UE n’ayant jamais été un forum privilégié pour ces questions, elle en souffre particulièrement. Pourtant, la marge de manœuvre existe, même mince. Si elle ne s’en saisit pas maintenant, elle aura laissé passer sa chance. Sans doute pour longtemps.
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