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Rapprochement et fragilités du couple sino-japonais

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Rapprochement et fragilités du couple sino-japonais
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Le réchauffement diplomatique entre Pékin et Tokyo, largement mis en scène, s'est concrétisé par une évolution remarquable de la position chinoise concernant la normalisation militaire de la puissance japonaise et par la conclusion d'un accord sur l'exploitation du gaz en mer de Chine orientale. Il convient pourtant de relativiser ces avancées, qui mettent de côté la résolution des problèmes de fond caractérisant la relation sino-japonaise et qui pourraient être compromises par les réticences des opinions publiques, moins ouvertes que leurs dirigeants en la matière.

Un rapprochement diplomatique remarquable

Début mai, la visite de Hu Jintao au Japon, la première d'un chef d'Etat chinois depuis 10 ans, était destinée à marquer le "nouveau printemps" des relations sino-japonaises. Les controverses provoquées par les visites du Premier ministre Koizumi au sanctuaire Yasukuni[1] avaient en effet entraîné la suspension des échanges politiques de haut-niveau entre 2001 et 2006. Le séjour a donc été préparé avec soin afin d'éviter toute friction. Les deux parties ont notamment promis de faire la lumière sur le scandale des gyoza, raviolis empoisonnés importés de Chine, qui a fortement ému l'opinion publique japonaise et est venu renforcer la suspicion sur la qualité des produits chinois dont les importations ont baissé de moitié depuis le début de l'année 2008. La question tibétaine a été rapidement abordée, le gouvernement japonais appelant Pékin à poursuivre le dialogue avec le dalaï-lama. Les références à la question des droits de l'homme sont restées discrètes.

Hu Jintao a par ailleurs sacrifié à la diplomatie du "ping-pong" et du "panda"[2] , offrant ainsi aux médias des images symboliques de réconciliation destinées aux opinions publiques japonaises et chinoises. Le couple impérial japonais a également reçu le Président chinois. Au final, la visite-événement, amorçant la construction d'une relation stratégique de "bénéfices mutuels" a fait l'objet d'une couverture médiatique importante en Chine comme au Japon, et a été qualifiée de "grande réussite" par le pouvoir chinois.Cette volonté politique et très "publique" de rapprochement s'est accompagnée, du côté chinois, d'une reconnaissance sans précédent du rôle pacifique du Japon depuis 1945, ce qui constitue un changement véritablement majeur, longtemps attendu par Tokyo. Le discours de Hu Jintao, qui est allé jusqu'à mentionner les souffrances du peuple japonais durant la guerre, a tranché avec celui de Jiang Zemin qui dénonçait à Tokyo en 1998 la responsabilité d'un Japon agressif et impérialiste. Ce nouveau discours est également révélateur de la transformation de la position chinoise sur la normalisation militaire japonaise, jusqu'alors vivement critiquée. Pékin avait ainsi exprimé sa vive inquiétude lors du vote de la loi PKO suivie de la première intervention à l'étranger des forces armées japonaises, alors même qu'il s'agissait d'une mission strictement humanitaire, dans le cadre d'une opération de maintien de la paix de l'ONU au Cambodge (1992).

Le déploiement avorté des forces japonaises en Chine : une occasion manquée de normaliser les relations bilatérales

Cette nouvelle position chinoise s'est concrétisée par la demande de Pékin à Tokyo, le 27 mai dernier, de faire parvenir d'urgence des secours pour les nombreuses victimes du séisme au Sichuan, y compris par des moyens militaires. Ce qui aurait pu constituer un événement historique - la première opération des forces armées japonaises sur le territoire chinois depuis la guerre de 1931-45 - a finalement été annulé. Alors que les préparatifs pour dépêcher trois appareils de transport militaires C-130 chargés de tentes, couvertures et matériel de secours étaient déjà avancés, Tokyo annonçait le vendredi 30 mai l'abandon du projet. L'aide sera finalement acheminée par un avion civil.

La décision a fait suite aux inquiétudes exprimées par Pékin devant les nombreuses protestations contre le déploiement japonais apparues sur la blogosphère chinoise qui démontrent que la question japonaise reste un enjeu de rivalités politiques important au sein du régime chinois. Les deux pays ont alors considéré qu'il était plus sage de " reporter " cette intervention, afin de ne pas heurter les sentiments de la population chinoise et préserver la récente amélioration de la relation politique entre les deux pays. La prise en compte du réveil de la société civile après le choc du séisme est sans doute essentielle pour comprendre la prudence du gouvernement chinois face à de nouvelles polémiques. Les autorités chinoises, qui ont communiqué très tard sur cet épisode (le 31 mai, par la déclaration du général Ma Xiaotian au Dialogue Shangri-La), ont dû faire face à la difficulté de " doser " un débat public longtemps pollué par un nationalisme d'Etat virulent. A ce titre, la réforme de l'enseignement de l'histoire en Chine (et dans une bien moindre mesure également au Japon), trop longtemps au service de " l'éducation patriotique de la jeunesse ", sera nécessaire pour assurer l'avenir de la relation bilatérale, qui repose, selon les mots du président Hu, entre les mains des nouvelles générations.

L'annulation de cette opération militaire de secours intervient alors que la perception du Japon dans la population chinoise s'améliorait. Quelques jours après le sinistre, les équipes de secours japonaises, reconnues pour leur compétence en matière de secours post-séisme, ont en effet été les premières unités étrangères autorisées à se rendre sur le théâtre de la catastrophe. Le travail des soixante sauveteurs japonais a été très apprécié en Chine, et plusieurs médias se sont fait l'écho de leur compétence et de leur modestie dans une volonté évidente de renverser l'image du Japon. Une intervention humanitaire des FAD en Chine aurait sans doute permis de renforcer l'image de " puissance pacifique " que le Japon tente de construire. Depuis 2007, les missions de secours d'urgence aux victimes de catastrophes naturelles constituent en effet le cœur de métier des forces armées japonaises. Les FAD ont ainsi pratiqué près d'une dizaine d'interventions de ce genre dans le monde depuis 1998 (dernièrement à la suite de séismes en Indonésie et au Pakistan). Cette opération avortée n'affecte cependant pas l'amorce de coopération militaire sino-japonaise, pour le moment très modeste, qui se traduit par des visites bilatérales de bâtiments militaires. Après le mouillage d'un destroyer chinois dans un port japonais en novembre dernier, c'est au tour d'un croiseur nippon de se rendre en Chine dans les prochains jours, chargé de matériel de secours à destination des sinistrés du Sichuan.

Cet épisode, où hésitations et malentendus ont conduit à une perte de temps importante, souligne l'urgence de la mise en place d'un mécanisme régional de coordination et de gestion des catastrophes naturelles et des épidémies, que le Premier ministre Fukuda a récemment appelé de ses vœux. A sa suite, Pékin a proposé aux pays de l'ASEAN+3 un plan de coopération de leurs forces armées en matière d'intervention post-catastrophes naturelles.

Un accord partiel sur l'exploitation du gaz de la mer de Chine orientale enfin conclu

Le Japon et la Chine sont parvenus à un accord, le 18 juin, sur l'exploitation en commun de deux gisements gaziers en mer de Chine orientale. Cet accord, qui intervient après quatre ans de discussions est un signe fort du réchauffement des relations, même s'il ne règle pas globalement le différend sino-japonais dans cette zone, qui relève à la fois de l'accès aux ressources énergiques et de la souveraineté territoriale.

Les voisins divergent en effet sur la méthode de délimitation de leur zone économique exclusive : Tokyo estime que sa ZEE s'étend jusqu'à la ligne médiane qui sépare ses côtes des côtes chinoises ; Pékin prend en compte l'extension du plateau continental, qui en l'espèce englobe Taiwan et prend fin au large de l'archipel japonais d'Okinawa. Le champ gazier exploité par la Chine se trouve à quelques kilomètres de la ligne médiane, côté chinois, mais ses réserves s'étendent du côté japonais. C'est pourquoi Tokyo réclame une exploitation conjointe afin de pouvoir également profiter du filon gazier, qui s'il ne semble pour l'instant que modeste, pourrait se révéler plus important. Selon l'accord récemment conclu, le Japon investirait dans l'exploitation de ce gisement (nommé Shirakaba en japonais, Chunxiao en chinois), actuellement conduite par une entreprise chinoise et pourrait recevoir des dividendes, selon des détails qui restent à régler. L'exploitation commune concerne également une autre zone gazière située plus au nord-est et qui reste à nommer. Les modalités de mise en valeur de deux autres champs gaziers proches restent à discuter.

Tokyo et Pékin ont donc volontairement décidé d'écarter la question fondamentale de la souveraineté territoriale pour se concentrer sur la coopération énergétique. Cet accord concrétise la démarche pragmatique des deux pays qui souhaitent privilégier la coopération quand elle permet des bénéfices réciproques dans des domaines stratégiques. Il est également significatif du point de vue de son implication militaire. La présence continue du Japon sur cette zone limite en effet les activités de prospection sous-marine des Chinois et contribue à la meilleure transparence des manœuvres militaires chinoises (notamment celles des sous-marins, appelés à intervenir dans la zone en cas de conflit avec Taiwan).

Malgré ses mérites, cet accord ne résout pas le contentieux territorial de fond. Le thème de la souveraineté territoriale reste bien évidemment un sujet sensible et épineux, comme l'a rappelé le vice-ministre des affaires étrangères Wu Dawei en soulignant la souveraineté chinoise sur le gisement Chunxiao, et en précisant que la participation d'une entreprise japonaise à son exploitation (exploitation en " coopération ") reste soumis à la loi chinoise et diffère de l'exploitation " conjointe " de l'autre zone affectée par l'accord. Par ailleurs, la question de l'appartenance des Iles Senkaku, toutes proches, reste débattue. Récemment, des nationalistes taiwanais, accompagnés de gardes-côtes, ont ostensiblement violé les eaux nippones pour revendiquer la souveraineté taiwanaise sur ces îlots, sous contrôle japonais et disputés par Pékin.

Les récents progrès dans la relation sino-japonaise ne doivent pas faire oublier que la suspicion reste présente et réciproque. Les deux pays nourrissent en effet des intérêts concurrents dans bien des domaines, et les opinions publiques restent très sensibles au moindre signe de concessions sur les intérêts nationaux au profit du voisin. Il reste ainsi à voir si cet accord gazier sera formalisé par un traité et ratifié par les deux parties. L'actuel rapprochement entre Pékin et Tokyo semble donc davantage procéder d'une appréciation pragmatique - l'interdépendance économique, et la crainte à Pékin d'un trop grand isolement diplomatique, justifiant une nécessaire coopération politique - que d'une réelle convergence de vues.

 

Céline Pajon est assistante de recherche au Centre Asie Ifri et sur le programme Japon.


[1] Le sanctuaire shintoïste Yasukuni accueille les âmes des soldats morts pour la patrie, dont celles de quatorze criminels de guerre depuis 1978.

[2] Hu Jin-Tao a offert un couple de pandas pour remplacer la défunte " Lin Lin " offerte au zoo d'Ueno en 1992 pour marquer le 20e anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays.

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Céline PAJON

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Chercheuse, responsable de la recherche Japon et Indo-Pacifique, Centre Asie de l'Ifri

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Il organise à Paris tables-rondes fermées, séminaires d’experts, ainsi que divers événements publics, dont sa Conférence annuelle, avec la participation d’experts d’Asie, d’Europe ou des Etats-Unis. Les travaux des chercheurs du Centre et de leurs partenaires étrangers sont notamment publiés dans la collection électronique Asie.Visions.

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