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Un coup d’épée dans l’océan : La tournée de Wang Yi dans le Pacifique insulaire

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Ce devait être un tour de force diplomatique dans le Pacifique. Il s’est soldé par une courtoise déconvenue. Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi achève une vaste tournée de dix jours à travers le Pacifique insulaire. 

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Brussels, Belgium. 18th March, 2019. Chinese Minister of Foreign Affairs WANG Yi and EU Commissioner Federica MOGHERINI hold a press conference on EU-China High-Level Strategic Dialogue
Brussels, Belgium. 18th March, 2019. Chinese Minister of Foreign Affairs WANG Yi and EU Commissioner Federica MOGHERINI hold a press conference on EU-China High-Level Strategic Dialogue
(c) Alexandros Michailidis/Shutterstock.com
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Passant par huit États (Îles Salomon, Kiribati, Samoa, Fidji, Tonga, Vanuatu, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Timor-Leste), il s’est également entretenu de manière virtuelle avec trois autres (États fédérés de Micronésie, Îles Cook et Niue).

Point d’orgue de la tournée, le sommet entre la Chine et dix pays du Pacifique du 30 mai aux Fidji s’est soldé par un camouflet pour le ministre chinois, qui a essuyé le refus groupé des États insulaires de signer le « Plan d’action quinquennal Chine-pays du Pacifique pour le développement commun ». Portant sur la sécurité, l’économie, la santé et le climat, le Plan a entièrement été rédigé par Pékin et transmis aux États concernés quelques jours avant le sommet.

Sécurité : le précédent des Salomon

Le sommet des Fidji est intervenu dans un contexte déjà largement polémique. En mars, la rumeur enflait quant à la signature imminente d’un accord de sécurité entre la Chine et les Îles Salomon, qui ont noué des relations diplomatiques il y a deux ans et demi seulement. Pékin  d’abord, puis Honiara  ont finalement confirmé la signature de cet accord en avril. Bien qu’il soit resté secret, une première version du texte a fuité dans la presse fin mars. Deux dispositions ont particulièrement attiré l’attention des observateurs de la région : la possibilité pour les bâtiments de la Marine chinoise de faire escale dans les Îles Salomon, avec l’aval des autorités locales, et la possibilité pour le gouvernement d’Honiara de solliciter l’appui de forces de l’ordre ou militaires chinoises pour « maintenir l’ordre social ».

Si l’accord a suscité de vives réactions, sa véritable portée stratégique reste très discutable. D’une part, un droit d’escale ne constitue pas nécessairement la première pierre d’une future base navale chinoise. D’autre part, l’envoi de troupes de maintien de l’ordre par Pékin pour faire face à des troubles sociaux dans un pays étranger comporterait un coût politique, d’image, et éventuellement humain, que la Chine n’est vraisemblablement pas prête à assumer.

En revanche, la progression de l’influence chinoise dans la région est une tendance qui alarme à juste titre Australiens et Américains, qui ont rapidement dépêché des hauts responsables à Honiara. Les États-Unis ont déjà annoncé rouvrir une ambassade dans la capitale salomonaise afin de renforcer leur présence et de contrer Pékin.

Excès de confiance

Le refus des États insulaires du Pacifique de signer le Plan d’action quinquennal ne signifie pas l’échec définitif de la Chine, mais il freine le déploiement de sa stratégie. Les diplomates chinois ont peut-être péché par excès de confiance dans le Pacifique insulaire. Sans doute ont-ils voulu appliquer la même stratégie « diviser pour mieux régner » qui avait un temps fonctionné en Europe à travers le « 17+1 », un forum annuel entre 17 pays d’Europe centrale et orientale et la Chine. Ce format suscite aujourd’hui une large défiance de la part de certains membres, notamment la Lituanie (qui l’a d’ores et déjà quitté), l’Estonie, la République tchèque ou la Slovaquie. Tout comme en Europe, l’initiative chinoise de sommets annuels avec les États du Pacifique apparaît davantage comme un dialogue entre la Chine et chacun des États insulaires, soit du « multi-bilatéralisme », plutôt que comme un véritable forum multilatéral. D’ailleurs, dans son projet de Plan, Pékin évoque deux parties et non pas onze : la Chine d’un côté et les « pays insulaires du Pacifique avec lesquels elle a des relations » de l’autre. Développer la coopération avec un nombre important d’États du Pacifique permet également à Pékin d’accentuer la pression sur les quatre alliés diplomatiques de Taïwan dans la région (Îles Marshall, République de Nauru, Palaos et Tuvalu).

Non seulement cet excès de confiance n’a pas permis d’atteindre les objectifs fixés, mais il s’est révélé contre-productif. L’approche chinoise du Pacifique insulaire est en effet caractérisée par son unilatéralisme et son manque criant de transparence. Les diplomates chinois semblent convaincus qu’ils peuvent conclure des accords qu’ils ont eux-mêmes rédigés, avec les exécutifs locaux, à l’écart autant que possible des Parlements nationaux et des sociétés civiles. C’est le cas de l’accord de sécurité avec les Îles Salomon et du Plan d’action quinquennal. Par ailleurs, les pressions du ministre Wang Yi pour entraver la couverture de sa tournée par les journalistes locaux et internationaux ont suscité la méfiance des populations locales, des journalistes et de la classe politique. Aux Salomon, à Kiribati, Samoa et Fidji, la majorité des journalistes n’ont tout simplement pas été accrédités pour couvrir la visite. Ceux qui l’étaient n’ont pas été autorisés à poser des questions en conférence de presse. À Fidji, une journaliste locale a rapporté que la conférence de presse, y compris les accréditations, était gérée directement par la partie chinoise, tandis que le média australien ABC rapporte avoir été entravé physiquement dans son travail par des officiels de la délégation chinoise.

Les diplomates chinois ont également négligé ou ignoré une dimension importante des relations internationales dans le Pacifique insulaire, à savoir le rôle du Pacific Island Forum et l’importance du consensus pour les décisions qui concernent l’ensemble des riverains. C’est ce qu’a pointé la Première ministre des Samoa, Fiame Naomi Mata’afa : « Être convoqué pour avoir cette discussion et s’attendre à ce qu’il y ait une décision prise ou un résultat était quelque chose que nous ne pouvions pas accepter ». Et d’ajouter : « Nous devons nous réunir en tant que région pour examiner toute proposition qui nous est soumise par nos partenaires de développement ».

Le Pacifique insulaire au centre du jeu

L’offensive diplomatique chinoise a aussi eu pour effet de tirer la sonnette d’alarme en Australie, aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande et bien au-delà, y compris en Europe occidentale et ce, malgré la guerre en Ukraine. Cette tournée aura peut-être eu le mérite de faire prendre conscience aux puissances traditionnelles de la région qu’il est temps de considérer leurs partenaires insulaires à leur juste valeur. La nomination, le 23 mai, de la nouvelle ministre australienne des Affaires étrangères Penny Wong envoie d’ores et déjà un signal clair en faveur d’un changement d’approche de l’Australie sur le Pacifique. Son premier message vidéo était destiné à la « famille Pacifique ». Le jour même de sa nomination, elle accompagnait le nouveau Premier ministre Anthony Albanese à Tokyo pour le sommet du Quadrilateral Security Dialogue. Le 26, elle atterrissait aux Îles Fidji pour une visite officielle, trois jours avant l’arrivée de Wang Yi. Et le 1er juin, elle se rendait aux Samoa, puis au Royaume de Tonga, avec ce message clair : « Nous vous écouterons et nous vous entendrons».

La tournée de Wang a aussi permis de stimuler le débat entre les membres du Pacific Island Forum sur l’opportunité d’opérer un rapprochement substantiel avec la Chine, dans le contexte de rivalité stratégique sino-américaine qui s’aggrave. Ce débat a notamment été porté par le président des États fédérés de Micronésie, David Panuelo, partenaire de Pékin, mais aussi lié par un Pacte de libre association avec les États-Unis. Dans une lettre de huit pages adressée à 22 dirigeants de la région et datée du 20 mai, il développe les raisons pour lesquelles il rejettera le Plan d’action proposé par la Chine. Il considère qu’un rapprochement avec la Chine rendrait les pays du Pacifique plus dépendants, accentuerait le risque d’ingérence et augmenterait inutilement les tensions géopolitiques dans un contexte déjà tendu. Il rappelle également à ses homologues qu’« une guerre pour Taïwan est équivalente à une guerre entre la Chine et les États-Unis » et que par conséquent les États du Pacifique se trouveraient une nouvelle fois au milieu des « tirs croisés des grands pays qui devraient être les hégémons bienveillants pour la région du Pacifique et pour l’humanité dans son ensemble ».

Ainsi, la tournée diplomatique de Wang Yi a sans doute davantage porté préjudice à la stratégie chinoise dans le Pacifique qu’elle ne l’a servie. Pékin pourrait alors revenir à une approche plus bilatérale et des accords « à la carte » plutôt que celle dite « multilatérale » qui a échoué cette fois-ci. Dans tous les cas, le jeu diplomatique se complique pour la Chine, le Pacifique insulaire étant désormais au centre des attentions, et en particulier des grandes puissances de la région. Sur ce point, on peut reconnaître à Wang Yi ce tour de force : avoir mis le Pacifique insulaire au centre du jeu. Espérons que ce soit au bénéfice des premiers intéressés.

 

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979-10-373-0548-0

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Marc JULIENNE

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Le Centre Asie structure sa recherche autour de deux grands axes : les relations des grandes puissances asiatiques avec le reste du monde et les dynamiques internes des économies et sociétés asiatiques. Les activités du Centre se concentrent sur la Chine, le Japon, l'Inde, Taïwan et l'Indo-Pacifique, mais couvrent également l'Asie du Sud-Est, la péninsule coréenne et l'Océanie.

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Il organise à Paris tables-rondes fermées, séminaires d’experts, ainsi que divers événements publics, dont sa Conférence annuelle, avec la participation d’experts d’Asie, d’Europe ou des Etats-Unis. Les travaux des chercheurs du Centre et de leurs partenaires étrangers sont notamment publiés dans la collection électronique Asie.Visions.

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