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Comment le jihadisme se réinvente

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Dans une nouvelle étude, deux chercheurs analysent les dynamiques de ces mouvements, qui ont connu leur apogée en 2016, mais sont loin d'avoir disparu et parviennent à s'adapter.

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Emmanuel Macron l’avait imprudemment prédit pour la mi-février 2018, Donald Trump l’a déclaré abruptement fin décembre : l’Etat islamique aurait été défait en Syrie. Les deux déclarations paraissent hasardeuses, ainsi que le souligne l’Institut français des relations internationales (Ifri) dans une étude publiée mardi. 

  • «Crier victoire est largement prématuré», écrivent les deux chercheurs, Marc Hecker et Elie Tenenbaum. Au-delà des situations syrienne et irakienne, qui ont concentré l’attention en raison des attentats en Occident, le constat vaut pour les divers mouvements jihadistes, qui font preuve de grandes capacités d’adaptation.

Un constat, d’abord : la phase d’expansion a connu un coup d’arrêt en 2016. Au Yémen, la branche locale d’Al-Qaeda a perdu sa seule capitale régionale (Al-Moukalla). L’Etat islamique a cessé de contrôler Syrte, en Libye, et Ramadi et Falloujah, en Irak, préludes à la chute de Mossoul et Raqqa l’année suivante. Deux chiffres macabres illustrent le phénomène en France. Entre janvier 2015 et juillet 2016, 238 personnes ont été tuées dans des attaques terroristes, contre 13 depuis août 2016.

Ce reflux sur le terrain est en partie lié à la réaction des Etats occidentaux (guerre au Mali en 2013, mise en place d’une coalition contre l’EI à l’été 2014) : 

  • «Il est apparu clairement au cours des dernières années que la communauté internationale n’est pas prête à tolérer la présence d’un proto-Etat jihadiste susceptible de servir de sanctuaire à des groupes terroristes transnationaux.» L’attrition physique produit des effets bien au-delà du terrain, souligne l’étude : «La rhétorique utopique de Daech – ressort essentiel de la propagande en 2014-2015 – a aujourd’hui une portée bien plus faible [après] l’effondrement du califat proclamé par Abou Bakr al-Baghdadi.»

Exception sahélienne

Les échecs des mouvements jihadistes sont aussi dus à leur stratégie, et notamment leur difficulté «à créer des implantations territoriales durables dans le monde musulman». Cette dynamique connaît une exception, au Sahel. Alors que les cadres des groupes terroristes étaient essentiellement algériens au début des années 2010, ils sont de plus en plus des figures de la région, «bien insérés dans les réseaux d’alliances locales», enracinant les mouvements jihadistes dans ces territoires.

Ceux-ci profitent du délitement des Etats malien et, de plus en plus, burkinabé, et de leur incapacité à empêcher les violences intercommunautaires. Les jihadistes s’engouffrent dans ce vide, en étant «les seuls à proposer un pacte social – aussi brutal soit-il – et à offrir un projet politique, social et religieux alternatif». Ils recrutent bien souvent par adhésion communautaire et quête de protection, plus que par adhésion personnelle à une idéologie structurée.

L’action de la France au Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), qui déploie 4 500 soldats dans une guerre paraissant sans fin, ne parvient qu’à désorganiser les mouvements jihadistes, en éliminant les chefs. 

  • «Les insurrections se sont vite adaptées», écrivent Hecker et Tenenbaum, et conservent une capacité à «projeter des commandos terroristes» dans les capitales régionales ou sites touristiques. Les auteurs observent que l’approche sécuritaire ne suffira pas pour traiter«les "causes profondes" du terrorisme», tâche qui «implique bien d’autres acteurs que les militaires».

Autre faiblesse : le mouvement jihadiste est globalement divisé. «Le schisme est amené à perdurer au cours de la décennie à venir», jugent les auteurs. Cette désunion repose sur des désaccords stratégiques, dont l’articulation entre le proche et le lointain, vieux sujet de discorde. L’étude cite l’exemple d’Abou Mohammed al-Joulani, jadis à la tête du Jabhat al-Nosra en Syrie (affilié à Al-Qaeda), qui a rompu avec l’organisation : «Une des raisons principales est que Joulani souhaitait se concentrer sur des enjeux locaux, tandis que le chef d’al-Qaeda voulait continuer à mettre l’accent sur l’ennemi lointain et le jihad global.»

«Hit and run»

Malgré ces désaccords, les jihadistes s’hybrident et se réinventent. Le processus est particulièrement visible pour les attaques qui visent tant «les cibles à forte charge symbolique» (institutions étrangères, édifices religieux, symboles de l’autorité, lieux touristiques, infrastructures de transport) que les cibles «molles», déterminées au hasard (passants dans la rue, etc.)

De même, tous recourent aux IED (engins explosifs artisanaux), parfois améliorés (véhicules piégés, ou VBIED), et à l’évitement, le «hit and run», soit l’attaque de convois de ravitaillement et de patrouilles isolées avant un retrait. «Ces tactiques […] ont un effet dévastateur sur le moral des forces, les acculant à une posture réactive, subissant le tempo adverse, créant une incertitude permanente sur tous les déplacements.»

En France, la menace de commandos formés à l’étranger a diminué, mais pas disparu, laissant place à une stratégie d’usure et de harcèlement.

  •  «L’objectif est de pousser l’adversaire à la surrection [le fait de surgir, ndlr] […] : attirer les pays occidentaux sur des théâtres d’opérations […], suscit[er] l’adoption de politiques répressives peu ou mal ciblées, vis[er] la communauté musulmane dans l’idée de structurer progressivement le combat autour d’une opposition binaire entre l’oumma et les mécréants. La surrection est le piège dans lequel les terroristes essaient de nous faire tomber.»

 

Lire l'article sur le site de Libération.

 

 

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Marc HECKER

Marc HECKER

Intitulé du poste

Directeur adjoint de l'Ifri, rédacteur en chef de Politique étrangère et chercheur au Centre des études de sécurité de l'Ifri

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Élie TENENBAUM

Élie TENENBAUM

Intitulé du poste

Directeur du Centre des études de sécurité de l'Ifri