La difficile réorganisation des chaînes de valeur des matières premières critiques – regards sur les politiques européennes de réduction des risques
La demande de matières premières critiques devant, au minimum, doubler d’ici 2030 dans le contexte des politiques actuelles de transition énergétique, la concentration des approvisionnements en matières premières critiques (MPC) – et plus encore, des capacités de raffinage – dans une poignée de pays est devenue l’une des questions fondamentales au sein des discussions internationales, bilatérales et nationales. La position dominante de la Chine et les contrôles successifs des exportations de MPC (récemment le germanium, le gallium, les technologies de traitement des terres rares, l’antimoine) indiquent une tendance à l’instrumentalisation des dépendances critiques.
La sécurité nationale, l’autonomie stratégique et l’amélioration de la gouvernance et de la durabilité des approvisionnements en MPC sont les principaux moteurs de la réorganisation des chaînes d’approvisionnement dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui dépendent des importations.
Ces gouvernements ont adopté un large éventail de politiques, avec des objectifs, des calendriers de mise en œuvre et des impacts différents. L’Union européenne (UE) a sérieusement commencé à aborder ces questions en 2023 par le biais d’une législation, le Critical Raw Material Act, certains États membres comme la France ayant déjà soulevé l’importance du sujet quelques années auparavant. Les États-Unis, sous la présidence Trump, ont ouvert la marche en 2017 avec l’Executive Order 13817 qui a été suivi par la publication d’une liste de 35 minéraux critiques en 2018, tandis que l’administration Biden a intensifié l’action des États-Unis sur la diversification de l’approvisionnement en MPC. Le Japon a été un pionnier en 2010.
L’UE et les États-Unis développent des boîtes à outils assez similaires pour promouvoir la diversification, mais des différences substantielles demeurent. Les États-Unis s’appuient davantage sur la sécurité nationale (par exemple, les règles relatives aux entités étrangères préoccupantes) et déploient des outils de financement conséquents pour les industries minières et de raffinage au niveau national, mais aussi dans les pays partenaires, notamment avec 412 millions de dollars de prêts et d’investissements en capital déjà déployés par l’intermédiaire de la DFC pour de nouveaux approvisionnements en provenance des marchés émergents. Dans le cadre du Green Deal, l’UE se concentre sur la durabilité (règlement de l’UE sur les batteries, directive sur le reporting de durabilité des entreprises, directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, etc.) et sur le renforcement de son autonomie stratégique en s’attaquant aux dépendances et aux vulnérabilités par le biais de la réglementation (Critical Raw Material Act, Net Zero Industry Act, etc.), mais jusqu’à présent sans mécanismes de financement assez solides et de long terme, et avec une attention insuffisante portée sur les segments en amont dans les pays non-membres de l’OCDE. En ce sens, aucun financement apparent n’a été déboursé jusqu’à présent dans le cadre du Global Gateway ou de la Banque européenne d’investissement (BEI), cependant certains États membres comme la France, l’Italie et l’Allemagne ont mis en place leurs fonds d’investissement dans le secteur des métaux durant ces dernières années.
L’UE et les États-Unis ont tous deux accéléré le rythme de leurs partenariats multilatéraux et bilatéraux dans le domaine de MPC depuis 2021. De plus, le Global Gateway européen et le Partnership for Global Infrastructure and Investment mené par les États-Unis visent à offrir une alternative à la Belt and Road Initiative chinoise. Cependant, pour être vraiment efficaces, ces initiatives doivent être rapides et d’envergure, et apporter des avantages concrets aux parties prenantes sur le terrain, notamment aux populations.
Dans le même temps, les pays du Moyen-Orient cherchent de plus en plus à occuper une position forte dans les chaînes de valeur des MPC, car ils déploient des stratégies visant à diversifier leurs revenus en s’éloignant des combustibles fossiles. Dans les pays en développement riches en ressources, la tendance est à la limitation des exportations de matières premières afin d’encourager leur transformation au niveau local, et ainsi de conserver davantage de valeur ajoutée, créer des emplois et générer des profits.
Le travail politique et réglementaire de l’UE sur les questions de gestion des matériaux critiques a fait d’importants progrès au cours des deux dernières années, offrant une vision claire de ses ambitions et de ses besoins dans le cadre de la transition verte et numérique, tout en intégrant les chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques dans les réflexions globales autour de l’autonomie stratégique et de la sécurité énergétique. Néanmoins, jusqu’à présent, peu d’impacts concrets sont perceptibles en dehors de ses frontières en l’absence d’un engagement substantiel dans le financement de projets à l’étranger, alors que d’autres acteurs comme les États-Unis, le Japon ou les pays du Moyen-Orient sont plus disposés à s’engager financièrement et, pour certains d’entre eux, potentiellement avec moins d’égards pour les normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Le risque pour l’Europe est de ne pas atteindre ses objectifs internes en matière d’extraction, de traitement et de recyclage à cause d’un financement insuffisant, de l’acceptation du public, d’une demande incertaine, de prix volatils et d’analyses de rentabilité peu claires, tout en ne parvenant pas à concrétiser ses partenariats stratégiques en matière de MPC en une base d’approvisionnement résiliente et sûre.
Titre
Les éléments clés de l’action de l’UE visant à diversifier et à renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement en MPC pourraient être les suivants :
Attribuer des avantages tangibles aux projets stratégiques sélectionnés par le Critical Raw Materials Board de l’UE.
Fournir des lignes directrices claires pour la mise en œuvre et des mécanismes de suivi et de vérification pour assurer le respect du cadre législatif européen relatif à la durabilité, à l’économie circulaire et à la diligence raisonnable.
Donner la priorité dans le court terme à la coopération avec des Etats partageant les mêmes idées, explorer les options possibles à moyen terme, tout en renforçant les partenariats de long terme.
Élaborer des propositions de partenariat autour des écosystèmes d’investissement.
Assurer un suivi systématique des partenariats stratégiques sur les matières premières critiques et créer des opportunités de financement plus concrètes et agiles.
Travailler à la convergence des critères de transparence et de durabilité : inclure la Chine, éviter la multiplication des normes.
Stimuler l’économie circulaire, l’innovation et la modération de la demande.
> Cette publication est uniquement disponible en anglais: The Troubled Reorganization of Critical Raw Materials Value Chains - An Assessment of European De-risking Policies
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