50 jours après le séisme : l'effondrement d'Erdogan, la reconstruction d'Assad
Il y a deux mois la terre tremblait en Turquie et en Syrie, dévastant plus de 20 000 km2, causant la mort de plus de 50 000 personnes, un bilan humain effroyable aux implications géopolitiques profondes.
En Turquie, un président qui semblait indéboulonnable pourrait être emporté par la catastrophe naturelle dans six semaines, à l’occasion des élections générales dans le pays ; tandis qu’un Syrie, un président paria de la communauté internationale, un boucher qui avait bombardé son peuple, use habilement de la diplomatie du séisme pour redécouvrir le tapis rouges des capitales étrangères. Le tremblement de terre emportera-t-il Erdogan, et sauvera-t-il Assad ?
"Le séisme arrive sur un terreau qui était déjà assez dégradé politiquement pour Tayyip Erdoğan, puisque la Turquie connaît une crise économique endémique. Alors elle n’est pas le seul pays du monde, certes, mais on a un appauvrissement progressif de la population. Toute cette petite classe moyenne qui était arrivée à un stade de consommation, à qui effectivement Erdoğan avait vendu du rêve, est en train de redevenir pauvre. C’est quelque chose qui est désormais une faiblesse structurelle pour lui dans la préparation des élections." décrit Dorothée Schmid.
"Alors maintenant, même si on l’entend assez peu s’exprimer [Erdoğan], cela ne veut pas forcément dire qu’il ne se prépare pas. La lutte est plus difficile pour lui de gagner les élections, mais je crois qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tuer. Depuis 20 ans, à chaque élection, de ce côté-ci de l’Europe, on se dit qu'Erdoğan va perdre les élections. Jusqu’à présent c’est arrivé une fois en 2015, et il s’est alors débrouillé pour les refaire et pour les gagner. Donc on attend quand même de voir. Ma grande curiosité d’analyste cette année, c’est comment le scrutin va se dérouler. Dans les régions sinistrées, ce sera extrêmement compliqué." rappelle Dorothée Schmid.
"Les régions dans lesquelles le tremblement de terre a eu lieu votent pour la plupart majoritairement pour l’AKP ; la plupart des grandes villes sont dirigées par des amis de Tayyip Erdogan ; Gaziantep est un gros nœud économique aussi, une vitrine de l’AKP très importante. C’est pour cela qu’Erdoğan met tellement d’efforts de relations publiques sur la reconstruction d’Antep, parce que vraiment ça peut être symboliquement une façon de prendre un nouveau départ ; il s'agit pour lui de la seule manière de retourner cette catastrophe, et ce récit qui devenait terrible pour les cent ans de la République ; c’est cela qu’il est en train d’essayer de vendre." analyse Dorothée Schmid.
"Si le Haut conseil électoral finit par donner l’opposition gagnante – imaginons cette hypothèse – on pourrait très bien avoir Erdoğan qui appelle ses partisans à aller dans la rue. On a le précédent en 2016 de la tentative de coup d’État où il avait appelé au téléphone ses partisans à descendre dans la rue pour s’opposer aux militaires. On a donc cette capacité de gestion populiste d’Erdoğan, avec quand même 25 ou 30% des Turcs qui le suivent aveuglément. La séquence des élections va donc être très intéressante à suivre, très dure politiquement, très dure même physiquement. On peut avoir beaucoup d’incidents, avec comme l’a évoqué Delphine Minoui la possibilité d’une stratégie de la tension, un peu comme ce qui c’était passé en 2015." envisage Dorothée Schmid.
Invités :
- Aysegul Sert, journaliste
- Edith Bouvier, grand reporter
- Delphine Minoui, journaliste
- Dorothée Schmid, docteure en science politique et directrice de recherche à l'Institut français des relations internationales
- Claude Guibal, journaliste, auteure du podcast “Erdogan, la tentation de l’empire” (Radio France)
Replay de l'émission à retrouver sur le site de France Télévisions.
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