Affaire Navalny : l'Europe cherche la bonne réponse face à Poutine
Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell est attendu jeudi à Moscou, où il entend dénoncer le traitement « inacceptable » infligé à l'opposant Alexeï Navalny. Mais il n'est pas question d'utiliser le projet du gazoduc Nord Stream 2 pour faire pression sur Vladimir Poutine. Un levier que les Etats-Unis pourraient décider d'actionner.
Josep Borrell, le responsable de la diplomatie européenne, est réaliste. Il n'est pas sûr du tout de pouvoir rencontrer Alexeï Navalny comme il a demandé à le faire lors de sa visite à Moscou, de jeudi à samedi. Et encore moins d'obtenir sa « libération immédiate » après les très nombreux appels offusqués lancés en ce sens en Europe et aux Etats-Unis ces derniers jours.
Bête noire du président russe Vladimir Poutine, l'opposant a été condamné mardi à deux ans et demi de prison ferme, preuve que le chef du Kremlin n'est pas disposé à céder aux demandes occidentales. Josep Borrell a encore moins l'intention d'interrompre le chantier du gazoduc Nord Stream 2, devenu un enjeu géopolitique entre l'Europe et la Russie.
« Le gazoduc est réalisé à 90 %, beaucoup d'argent a été investi, on peut comprendre la chancelière Merkel, il ne serait pas réaliste d'arrêter les travaux », et puis « ce n'est pas la bonne manière de résoudre le problème de Navalny », a-t-il expliqué lundi soir lors d'une visioconférence organisée par la Fondation Robert-Schuman.
Le matin même, le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, Clément Beaune, avait suggéré l'abandon du gazoduc, dans un geste inhabituellement hostile à l'égard de Berlin, avant que le porte-parole d'Angela Merkel ne le recadre : Berlin continue à soutenir le projet énergétique et refuse de le lier à la mise en détention d'Alexeï Navalny.
Les Etats-Unis furieux
Si ce gazoduc est aujourd'hui au cœur des débats, c'est parce qu'il accroît la dépendance de l'Union européenne à la Russie au moment où ses dirigeants durcissent la répression contre l'opposition et la société civile. Il est d'autant plus une source d'irritation que, depuis son lancement en 2014, ce projet est contesté à la fois de l'intérieur de l'Europe, par des Etats membres que cette dépendance inquiète (surtout au moment où l'Europe vise la « neutralité carbone »), et de l'extérieur par les Etats-Unis, furieux de voir que son allié européen s'approvisionne en gaz auprès d'un adversaire géopolitique.
C'est probablement de la nouvelle administration américaine que viendra l'initiative. Les Etats-Unis réfléchissent à différentes options face à la Russie, a déclaré le secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken, qui s'est dit « profondément perturbé » par la violente répression contre les manifestants pro-Navalny. Mardi, après l'annonce de la décision du tribunal, il a indiqué qu'il allait se « coordonner étroitement avec [ses] alliés et partenaires afin que la Russie rende des comptes pour n'avoir pas respecté les droits de ses citoyens ».
Devoir moral
« Les Etats-Unis de Joe Biden voient dans ce gazoduc l'opportunité de demander des concessions à la Russie, par exemple d'assurer un processus électoral convenable pour le scrutin législatif de septembre prochain, ou de garantir qu'un certain volume de gaz continuera à transiter par l'Ukraine », explique Marc-Antoine Eyl-Mazzega du centre Energie et Climat de l'IFRI.
Cette stratégie implique que l'Allemagne prenne ses responsabilités vis-à-vis de la Russie, car l'action des Etats-Unis pourrait aller jusqu'à bloquer la mise en activité du gazoduc. Le Congrès a voté opportunément, début janvier, de possibles sanctions contre « les services de tests, d'inspection ou de certification nécessaires à l'achèvement ou à l'exploitation du gazoduc ». La perspective d'un gazoduc fin prêt, mais inutilisable, doit être dans tous les esprits, à Berlin comme à Moscou.
Berlin maintient ses positions
« La condamnation d'Alexeï Navalny est loin de toute règle de droit », a réagi mercredi Steffen Seibert, porte-parole du gouvernement allemand. « Il va y avoir des discussions dans le cercle des partenaires de l'UE, de nouvelles sanctions ne sont pas exclues », a-t-il prévenu, tout en réitérant le refus de Berlin de lier Nord Stream 2 à cette affaire. « Notre position de fond n'a pas changé », a-t-il déclaré.
« La base juridique sur laquelle repose le projet Nord Stream 2 est la directive européenne sur le gaz, qui a été approuvée par tous les Etats membres de l'UE, sauf la Bulgarie, ainsi que par la Commission européenne et le Parlement européen. Elle a été adoptée par l'Union européenne en avril 2019 », avait justifié lundi une autre porte-parole.
Il n'est d'ailleurs pas sûr qu'une menace sur le gazoduc impressionne le président russe « On ne peut plus changer le comportement de Vladimir Poutine, ni en interne, ni de l'extérieur, regrette Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie/NEI de l'Ifri. La Russie a appris à vivre avec ces sanctions ciblées » que lui imposent l'Europe et les Etats-Unis et elles n'ont pas de prises sur lui. Dans ces conditions, « Josep Borrell ne peut que s'acquitter de son devoir moral vis-à-vis de nous-mêmes en réclamant le respect des valeurs humaines, mais il a peu de chances d'être entendu ».
> Lire l'article sur le site du journal Les Echos
Média
Partager