Allemagne : « Merz devra réaffirmer sa boussole conservatrice pour récupérer son électorat »
INTERVIEW. Chercheur à l’Ifri, Paul Maurice analyse les compromis de la coalition allemande sur l’Europe, la migration et la fiscalité, et décrypte les rapports de force entre la CDU et le SPD.

Quarante-cinq jours après les législatives, la CDU-CSU et le SPD ont finalisé, le 9 avril, leur contrat de coalition pour gouverner l'Allemagne. Un document de plus de 140 pages. Paul Maurice, secrétaire général du Comité d'études des relations franco-allemandes de l'Ifri, décrypte les forces et les faiblesses de cet accord.
Politique européenne à géométrie variable, compromis sur l'immigration, questions fiscales non résolues et silence sur le nucléaire : comment Friedrich Merz et son futur gouvernement parviendront-ils à réconcilier ces positions parfois contradictoires ? La France attend beaucoup de son partenaire d'outre-Rhin pour approfondir la souveraineté européenne face à la menace russe, les volontés hégémoniques de la Chine et les tumultes économiques et sécuritaires créés par l'administration Trump.
Le Point : Le contrat de gouvernement entre la CDU-CSU et le SPD évoque une Europe à plusieurs vitesses, notamment sur les questions de défense. Ce schéma peut-il fonctionner dans l'Union européenne actuelle ?
Paul Maurice : Cette question sur l'Europe à plusieurs vitesses est, en effet, surtout mentionnée sur les questions de défense. Le E3 [France, Allemagne, Royaume-Uni, NDLR] est évoqué, ainsi que le format de Weimar [France, Allemagne, Pologne, NDLR] ou « Weimar Plus ». En fait, ce sont des formats que l'on a réunis de facto ces derniers mois face au retrait américain ou au danger du retrait américain. Est-ce que cela marche sur tous les sujets ? En tout cas, sur les questions de politique étrangère et de défense, cela semble prendre un peu.
Ce qui n'est pas clair dans ce contrat, c'est ce qu'on va faire de ces formats. Est-ce qu'on veut en faire un format de préconsultation pour les décisions européennes ? Est-ce que c'est un format ad hoc sur les questions de défense ? Tout cela n'est pas tout à fait éclairci. C'est le sentiment que j'en ai. On peut lire les choses de manière différente, mais c'est surtout, à mon avis, pour inscrire un format qui a été mobilisé ces dernières semaines.
Ce contrat traduit-il les engagements européens que Friedrich Merz a lancés au cours de sa campagne ?
Oui et non. Il y a un clair engagement européen dans le contrat de coalition, notamment sur les questions de souveraineté plutôt industrielle et économique. Le terme de « souveraineté » apparaît surtout pour ces questions-là. Sur les questions de compétitivité européenne, industrielles, de financement, il est fait référence à l'union de l'épargne et des investissements, c'est-à-dire ce qui remplace l'union des marchés de capitaux. Tout cela est très fort.
Sur les autres questions, notamment les financements européens, je pense qu'il n'y a pas d'accord entre les partenaires, donc cela n'apparaît pas. C'est assez vague, et je pense qu'on a là une ligne rouge d'une partie de la CDU sur le financement européen, même pour les questions de défense – le fameux emprunt commun que Macron et quelques autres défendent. Friedrich Merz avait été très vague sur le sujet aussi. Il avait dit qu'il ferait un emprunt européen si les solutions nationales ne le permettaient pas. Et là, il a trouvé une solution nationale avec la levée du frein à la dette.
Sur la migration, le compromis entre le SPD et la CDU vous paraît-il compatible avec le pacte migratoire tel qu'il a été adopté ?
C'est vraiment le gros problème depuis le début, depuis les prises de position sur la question migratoire : est-ce que tout cela sera compatible avec le pacte asile et migration, qui a difficilement vu le jour il y a six mois ? Les termes du contrat de coalition marquent la volonté d'une fermeté. Par exemple, le délai d'obtention de la nationalité allemande passe de trois à cinq ans. Sur la question des reconduites à la frontière, la CDU a obtenu des concessions. Mais, en même temps, on voit que le SPD a mis aussi des freins sur la question de la déchéance de nationalité que la CDU voulait porter.
En fait, derrière tout cela, l'enjeu ne consiste pas à préparer un projet de loi migratoire mais à restreindre les demandes d'asile en montrant à l'extérieur que l'Allemagne n'est plus le pays qui a notamment accueilli en 2015 un million de réfugiés syriens. Il s'agit d'effacer le symbole de cette Allemagne accueillante qu'incarnait Angela Merkel.
D'autre part, je relève une grande ambiguïté sur la force de travail que peuvent représenter ces populations immigrées dont l'Allemagne a cruellement besoin en vérité. On ne le dit pas, mais cette nécessité économique n'a pas disparu. Elle était présente dans le précédent contrat de coalition de 2021 entre le SPD, les Verts et le FDP, avec des partis qui pouvaient assumer d'accueillir des gens ; on était alors dans un autre contexte. Or, pour l'économie allemande, cette question va rapidement se poser.
La question des reconduites à la frontière, c'est bien de la mettre dans un contrat de coalition, mais il faut aussi voir si les autres pays frontaliers vont l'accepter. Et, là-dessus, il n'y a pas de concertation vis-à-vis de la France ou d'autres voisins de l'Allemagne.
Avez-vous le sentiment que le SPD et la CDU sont parvenus à un équilibre sur les questions fiscales ?
Non, c'est vraiment l'angle mort de ce contrat de coalition. Il n'y a rien qui est réglé sur les différents financements. C'est d'ailleurs pour cela que le SPD a gagné un point, à mon avis. En obtenant le ministère des Finances dans le prochain gouvernement sur des questions qui ne sont pas tranchées, ce sera au ministère des Finances de trancher, donc au SPD. Le flou lui donne un avantage. Même s'il y a le principe du chancelier qui décide, il y a beaucoup de choses qui seront décidées au ministère des Finances, ce dernier ayant un poids plus grand que celui qu'il a actuellement.
On lit dans ce contrat de gouvernement qu'il y a la volonté d'une assiette commune sur l'impôt des sociétés en Europe. Pensez-vous que c'est une ouverture dont les autres États membres vont se saisir ?
Je ne suis pas sûr. J'ai quand même quelques doutes. Disons qu'il y a de la bonne volonté, il vaut mieux cela que rien du tout, mais c'est, à mon avis, un peu aléatoire.
Qu'en est-il de l'énergie nucléaire, qui a été le grand conflit des dernières années entre la France et l'Allemagne ? Le contrat tranche-t-il la question une bonne fois pour toutes ?
Non, il ne tranche pas. L'énergie nucléaire est complètement absente. Il n'y a même pas une phrase sur l'évaluation ou sur l'inclusion technologique. On sent que les questions climatiques ont été un peu passées sous silence, mais il n'y a pas non plus de marqueur fort dans l'autre sens. Est-ce que c'est pour ne pas brusquer une partie des électeurs ? Est-ce parce que la CDU et le SPD ne sont pas d'accord ? Peut-être un peu des deux.
En même temps, le flou permet aussi une marge de manœuvre importante. On ne peut pas déroger à une parole que l'on n'a pas donnée. Cela donnera au chancelier un peu plus de souplesse à la table des négociations du Conseil européen, peut-être.
Pour résumer, quel est l'équilibre de ce contrat de coalition ?
On a une coalition qui va fonctionner à la fois de manière idéologique et pragmatique. Et, en même temps, on a des partis qui n'ont pas de boussole… Comment dire ? Leur boussole est variable. Donc, en fait, ils ont du mal à avoir une vision sur le long terme. Deuxième point : à un moment, Friedrich Merz va avoir besoin de réaffirmer une boussole conservatrice-libérale pour récupérer une partie de son électorat qui fuit vers l'AfD. Il va devoir marquer sa différence. Il a fait des promesses de campagne ; beaucoup d'électeurs l'ont cru. Le risque est qu'ils ne le croient plus si les actes viennent trop tard. C'est ce qui lui manque un peu dans ce contrat de coalition.
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>Lire l'interview intégrale sur le site du Point
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