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Allemagne : pour l'amour de l'Europe

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cité par François-Guillaume Lorrain dans

  Le Point
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En levant le tabou de la mutualisation des dettes, la chancelière Angela Merkel rejoint Helmut Kohl au panthéon des grands dirigeants proeuropéens.  

Contenu intervention médiatique
Depuis quand l'Allemagne n'a-t-elle pas eu un si beau geste envers l'Europe ? Sans doute faut-il remonter au tournant de l'euro, à la fin des années 1980. Helmut Kohl cédait enfin au travail de sape des Français, relayés par d'autres pays, qui depuis 1969, les initiatives de Raymond Barre, alors vice-président de la Commission européenne, et le plan Werner, réclamaient une monnaie unique. On a souvent présenté ce renoncement des Allemands à leur mark chéri comme une concession, un « deal » en contrepartie de la réunification. C'est faire fi d'une l'histoire qui débute plus tôt, comme le soulignait Romain Gubert dans Les Grandes Décisions de l'Histoire de France (Perrin/Le Point) : dès janvier 1988, Kohl - pour qui une telle délégation de souveraineté était à ce stade inenvisageable aux yeux de son pays - avait cuisiné Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, au sujet de la monnaie ; six mois plus tard, le 2 juin 1988, à Évian, il prend de court François Mitterrand en proposant de commander à Delors, l'homme de la rigueur budgétaire, un rapport sur l'Union économique et monétaire.
 
Marqué par l'expérience de la dernière guerre, Kohl a fait passer les intérêts européens avant les intérêts allemands
 
À cette date, il n'est pas encore question de réunification, mais cette main tendue de Kohl aura facilité ensuite son acceptation, notamment par Mitterrand, qui, selon le mot de François Mauriac, aimait tant l'Allemagne qu'il préférait qu'il y en eût deux. Que la réunification ait ensuite accéléré le processus - acté à Maastricht en décembre 1991 - vers la monnaie unique et l'Union est une autre chose.
 
« L'absorption de la RDA ne rendait que plus urgent de diluer la nouvelle puissance allemande dans une construction plus ample », résume Paul Maurice, chercheur à l'Institut français des relations internationales.
Une bonne volonté allemande, qui selon l'historienne Hélène Miard-Delacroix, fait de Kohl le dernier grand Européen parmi les chanceliers : « Marqué par l'expérience de la dernière guerre, il a fait passer les intérêts européens avant les intérêts allemands, privilégiant l'harmonie et les bons rapports entre voisins. Ensuite, avec Schröder, on passe à des rapports de force et à la prédominance d'intérêts nationaux. » De fait, Kohl eut l'habileté de présenter la réunification allemande et la refondation européenne comme les deux faces d'une même médaille.
 
Mais qu'avait représenté l'Europe pour les Allemands après 1945 ? « Un espoir, une façon de faire profil bas, de se racheter en faisant de l'économie », résume Michel Meyer, auteur d'un Dictionnaire amoureux de l'Allemagne (Plon).
 
« Une manière d'être traités sur un pied d'égalité avec la Ceca alors que l'Allemagne, jusqu'en 1955, n'avait pas regagné toute sa souveraineté », précise Paul Maurice.
Pour le traité de Rome, les Allemands poussent à une intégration large, via un Marché commun, quand les Français préfèrent une intégration sectorielle. « Comme souvent, conclut Miard-Delacroix, on aboutit à un compromis, les Français obtenant l'accord sur Euratom. » D'Adenauer à Brandt, l'Allemagne afficha une position résolument atlantiste : l'échec de la Communauté européenne de défense en 1954 l'avait précipitée dans les bras de l'Otan. Le fameux traité de l'Élysée, toujours présenté comme la pierre de touche du couple franco-allemand, est une jolie coquille assez vide, concession d'un Adenauer vieillissant à de Gaulle. Échange d'officiers, politique étrangère et défense commune... Ces bonnes résolutions que le traité comportait également furent siphonnées trois mois plus tard par un préambule réclamé par Washington à Bonn : « L'Allemagne ne bougera avec personne si les Américains ne sont pas d'accord », résume Michel Meyer.
 
L'Allemagne, géant économique mais nain politique
 
Après 1969, l'Allemagne, « géant économique mais nain politique », selon la formule consacrée à l'époque, aura offert le visage d'un pragmatisme européen. Willy Brandt présenta son Ostpolitik comme « la face orientale de sa politique européenne », rappelle Miard-Delacroix, sa biographe. Il oeuvra aussi pour l'élargissement et l'entrée dans l'Europe de l'Angleterre, idéalisée par les Allemands comme le pays de la démocratie et des libertés. Les deux mandats de Helmut Schmidt(1974-1982) prolongent cette nécessité d'un mode de fonctionnement efficace qui se met en place avec l'ami Valéry. « Schmidt et Giscard partent pourtant de conceptions différentes. La France prône le monétarisme - le rapprochement des monnaies doit
entraîner le reste -, l'Allemagne est pour l'économisme - il faut des politiques économiques proches basées sur la rigueur et une inflation jugulée avant de songer à la monnaie. » Encore une fois, Allemands et Français trouvent un compromis. Giscard obtient le SME, mais les Allemands demandent une obligation d'intervention si certaines monnaies fluctuent trop. Giscard est en première ligne pour la création d'un Parlement européen, vision d'une intégration fédérale, Schmidt pour la mise en place d'un Conseil européen des ministres, vision
intergouvernementale. « Les Allemands ne veulent pas une Europe allemande, mais une Allemagne européenne », martelait ce dernier, premier chancelier à comprendre vraiment que le couple franco-allemand serait surtout un moteur qui entraînerait le reste des courroies européennes.
 
Le président français François Mitterrand et le chancelier allemand Helmut Kohl au château de Chambord, le 28 mars 1987
 
Si Kohl, lors de la crise des missiles de 1983, continue à placer l'Allemagne sous le parapluie américain, il veut, par « la grâce de [sa »] naissance tardive », panser les blessures européennes des deux guerres mondiales. C'est bien sûr la poignée de main à Verdun en 1984, où son rôle a été occulté, mais c'est aussi, après 1990, souligne Paul Maurice, l'article sur la réunification allemande de la Constitution de 1949 remplacé par un article sur l'intégration européenne. Si Schröder bataille pour que l'Allemagne ne soit plus un nain politique dans les instances européennes, il est aussi le premier chancelier à rompre l'alignement atlantiste en suivant Chirac dans son refus de participer à la guerre en Irak. « Une Europe unie est notre seul atout. (...) Sinon, nous ne serons plus qu'un ensemble de troisième classe entre deux pôles », déclare Schröder, qui prend Chirac dans ses bras en 2004 sur les plages du débarquement. Sans doute faut-il y voir l'explication au souci allemand d'oeuvrer à l'élargissement oriental de l'Union en 2004. « Chirac a freiné, mettant en garde contre les déséquilibres culturels et politiques, rappelle Miard-Delacroix, mais les Allemands ont poussé. Non pas tant parce que l'Europe de l'Est était leur arrière-cour économique que par mauvaise conscience : en RFA, on avait été du bon côté du Mur et on avait une dette. » 
 
Avant le tabou levé ces jours-ci de la mutualisation des dettes, l'Allemagne aura, depuis la crise de la Grèce et des pays du Sud (2010-2015), adopté le rôle du gendarme économique de l'Europe : rien de bien nouveau, sinon le ton, tant ce discours de la rigueur a été le sien depuis la fin des années 1960. Les Allemands ont toujours su tirer les leçons du passé. S'ils ont une sainte horreur de l'inflation et des déficits, c'est pour ne jamais revivre le chaos de 1923. Si, après 1945, ils ont choisi l'économie sociale de marché, c'était en souvenir de la crise de 1929. Aujourd'hui, ils se montrent fidèles à leur engagement européen, frappé au sceau du pragmatisme : si l'Europe va mal, l'Allemagne ira mal.

 

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Paul MAURICE

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