Attaque du 14 juillet 2016 à Nice : « Cet attentat relève du terrorisme d’inspiration »
Marc Hecker (1), directeur de la recherche à l’Institut français des relations internationales (Ifri), analyse l’évolution des attentats de ces dernières années. Après le terrorisme « projeté » depuis la Syrie, l’attaque de Nice repose sur un « terrorisme inspiré » par la propagande de Daech.
Comment situer l’attentat de Nice parmi les attaques terroristes survenues en France au cours de ces dernières années ?
Marc Hecker : Cette attaque s’est produite alors que les modes opératoires de Daech étaient en profonde évolution. Les attentats du 13 novembre 2015 en France, puis ceux du 22 mars 2016 à Bruxelles ont marqué l’apogée de ce qu’on a appelé le terrorisme « projeté ». À l’époque, Daech avait encore la capacité de former des combattants puis de les envoyer en Europe pour mener des attaques. Il fallait une certaine logistique, avec notamment des camps d’entraînement en Syrie, pour lancer des actions de ce type.
Ensuite, Daech est passé à un terrorisme « téléguidé ». Plus capable d’envoyer des commandos depuis la Syrie, elle s’est appuyée sur des opérateurs, basés en zone syro-irakienne et chargés de recruter, via des messageries cryptées, des terroristes potentiels à qui on désignait des cibles à frapper. C’est ce terrorisme téléguidé qui a abouti à l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray, le 26 juillet 2016, où le père Jacques Hamel est décédé, ou à la tentative d’attentat par des femmes en septembre 2016 à Notre-Dame de Paris.
Mais à Nice, on n’a découvert aucun lien direct entre Daech et l’homme qui est passé à l’acte…
M. H. : Cet attentat relève d’un terrorisme d’« inspiration » qui s’est développé en parallèle du terrorisme téléguidé et qui a, peu à peu, pris sa place. Dans ce cas, le terroriste agit sans contact extérieur mais en s’inspirant de la propagande djihadiste diffusée en ligne. Aujourd’hui, ce terrorisme d’inspiration est devenu la méthode la plus utilisée par Daech, qui n’a plus les moyens de développer d’autres actions. Cette évolution marque une perte d’influence de ce groupe qui, toutefois, garde la capacité de diffuser une idéologie susceptible de séduire des individus au profil très divers.
Avec le terrorisme d’inspiration, on est entré dans l’ère du terrorisme « low cost » qui, le plus souvent, se traduit par des attaques à l’arme blanche, parfois spectaculaires, souvent peu meurtrières. Ces attaques s’inscrivent dans une stratégie d’abord théorisée par Al-Qaida, puis par Daech : la stratégie des « 1 000 entailles ». Le but est d’arriver, par une multiplication des attaques low cost, à saigner le corps social d’un pays. Parmi elles, l’attentat de Nice est inédit en ce qu’il provoque un nombre très élevé de victimes.
Est-ce pour cela que l’attaque de Nice a ensuite lui-même favorisé un terrorisme d’inspiration ?
M. H. : Absolument. Le bilan très lourd et l’écho international de cet attentat ont suscité d’autres attaques avec un camion ou un véhicule bélier : à Berlin en décembre 2016 (12 morts), à Londres en mars 2017 (4 morts), à Stockholm en avril 2017 (5 morts), puis à Barcelone en août 2017 (14 morts).
L’attentat de Nice a été revendiqué par Daech. S’agit-il selon vous d’une revendication de « pure opportunité » comme le pensent les enquêteurs ?
M. H. : Oui. Ces revendications opportunistes sont fréquentes et Daech s’est attribué pas mal d’attentats qu’il n’avait pas directement commandités. Ce qui est curieux, c’est que d’autres, relevant du terrorisme d’inspiration, n’ont pas été revendiqués. Cela prouve qu’on ne sait pas encore tout du fonctionnement interne de Daech et de ce qui pouvait amener telle ou telle décision.
(1) Auteur avec Élie Tenenbaum de "La Guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIe siècle", Robert Laffont, 2021.
> Lire l'interview sur le site de La Croix
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