« Aux Etats-Unis, les partisans du populisme économique vont devoir se structurer politiquement »
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Laurence Nardon, spécialiste de l'Amérique du Nord à l'IFRI, rappelle dans une tribune au « Monde » qu'un nombre croissant d'économistes et de politiques, à gauche comme à droite, sont aujourd'hui partisans d'une politique économique plus favorable aux classes moyennes.
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Tribune. On s'étonne des revirements de la politique étrangère du président américain et de sa psychologie hors norme.
Mais que dire des ambiguïtés de sa politique économique ? Le président Trump a fait campagne en 2016 sur un programme économique populiste, protectionniste et anti-élites, destiné à redonner des perspectives de mobilité sociale, aux classes moyennes. Ses deux premières années de mandat révèlent pourtant une politique économique illisible.
D'un côté, son secrétaire au Trésor Steven Mnuchin met en oeuvre dans la discrétion une vaste entreprise de dérégulation financière, achevant de vider de sa substance la loi Dodd-Frank qui avait tenté d'imposer des garde-fous à Wall Street au lendemain de la crise de 2008. De l'autre, Trump reste fidèle aux promesses de sa campagne, engageant une renégociation à marche forcée de l'accord de libre-échange nord-américain (Alena) et une guerre commerciale avec la Chine.
La réforme fiscale de décembre 2017 est emblématique de ce double positionnement : avantageuse pour les plus riches et les entreprises, elle contient néanmoins quelques mesures favorables aux classes moyennes, telles que le doublement du crédit d'impôt par enfant ou la création d'incitations fiscales pour les entreprises dans les régions désindustrialisées.
Surtout, l'aggravation du déficit budgétaire qu'elle devrait entraîner, avec un manque à gagner estimé à 1 445 milliards de dollars (environ 1 300 euros) sur dix ans, est contraire au principe d'orthodoxie budgétaire que l'establishment républicain s'était imposé depuis les années 1980.
Culture de l'avidité et ploutocratie
Cette confusion révèle une évolution du débat d'idées aux Etats-Unis. Il est vrai que, dans un pays où le coefficient de Gini mesurant les inégalités est revenu à son niveau record des années 1930, les économistes libéraux, qui défendent le principe de la dérégulation et du chacun pour soi comme conditions de l'efficacité de l'économie, ont du mal à se faire entendre. Un nombre croissant d'économistes et de politiques propose au contraire une nouvelle politique économique, dont la priorité serait de redonner leur place aux plus modestes, dans l'esprit du « rêve américain ».
Les politiques libérales poursuivies depuis les années Reagan sont pour eux synonymes d'une culture de l'avidité et de ploutocratie. Leur programme se développe autour des points suivants : la mise en place d'une fiscalité revisitée, pesant plus sur les très riches et moins sur les classes moyennes; la fin d'un libre-échange destructeur pour les colsbleus américains;
un immense projet de réparation des infrastructures; ainsi qu'une batterie de mesures facilitant l'accès à l'éducation supérieure, à la santé et à la propriété.
Politiquement, ces penseurs se situent le plus souvent à la gauche du Parti démocrate. Dans ses éditoriaux du New York Times , le Prix Nobel d'économie Paul Krugman dénonce chaque semaine l'accroissement des inégalités. La philosophe Nancy Fraser accuse pour sa part les présidents Clinton et Obama d'avoir mis en avant des mesures progressistes favorables aux minorités et aux gays pour masquer les politiques ultralibérales qui faisaient en réalité l'essentiel de leur programme. La progression de ces idées a trouvé une traduction politique dans le succès inattendu du candidat « socialiste » Bernie Sanders lors des primaires démocrates de 2016.
Mais ce qui est nouveau, c'est que l'on voit se structurer une réflexion similaire venue de la droite américaine et que Donald Trump a largement portée pendant sa campagne de 2016. En effet, son conseiller politique Steve Bannon, connu pour ses thèses « populistes de droite » sur les questions identitaires, défend également un agenda économique « populiste de gauche ». Depuis, ces idées rencontrent un écho croissant au travers de divers cercles de réflexion marqués à droite.
Difficile de former un nouveau parti sous la houlette d'entrepreneurs du politique ( political entrepreneurs ) comme John Lettieri, l'« Economic Innovation Group » organise des séminaires de réflexion pour les élus locaux et les conseillers d'élus nationaux autour de sujets comme les infrastructures et la formation, abordés sous l'angle du « populisme économique ». Le groupe s'affiche comme bipartisan, mais selon un long article que Time lui a consacré dans son édition du 22 octobre, semble plutôt attirer des républicains, favorables ou non au président Trump.
Les revues conservatrices telles que le prestigieux National Interest ou le plus récent American Affairs [fondé en 2017] participent également au débat. Conseiller de Mitt Romney en 2012 et membre du conservateur Manhattan Institute, Oren Cass publie prochainement chez Encounter Books un ouvrage, The Once and Future Worker (« Le travailleur d'autrefois et de demain »), dans lequel il élabore des propositions visant à faire revenir l'emploi aux Etats-Unis, à l'âge de l'économie numérique et de la robotique.
La politique économique que propose cette nébuleuse de droite ne vise pas à profiter aux élites, contrairement au Parti républicain des décennies récentes, mais à remettre en route sur le long terme le processus d'enrichissement des classes moyennes. La question de savoir si elle laissera de côté les problématiques identitaires et migratoires reste cependant entière.
Les partisans du populisme économique ne pourront mener à bien leur projet que s'ils réussissent à se structurer politiquement. Or, même si les courants venus de la gauche et de la droite se conjuguent, il leur sera très difficile de former un nouveau parti dans le système bipartisan qui prévaut aux Etats-Unis.
Il faudrait alors qu'ils prennent le contrôle soit du Parti républicain, avec le risque que la ligne identitaire soit maintenue et développée, soit du Parti démocrate, qui pourrait alors revivifier son ancienne base proche des syndicats. On verrait dans ce cas les populistes économiques de droite accomplir le chemin inverse de celui qu'avaient emprunté les néoconservateurs dans les années 1970 et 1980 en quittant le Parti démocrate pour rejoindre le Parti républicain.
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