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Bertrand Dufourcq ou la diplomatie en action

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Bertrand Dufourcq (1933-2019) fut un très grand diplomate. Il appartient à ce petit groupe d'hommes et de femmes qui parvinrent à canaliser les forces de l'Histoire en 1990 pour sceller la fin de la guerre froide, de manière pacifique.

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Ambassadeur de France, il entra au Quai d'Orsay à sa sortie de l'ENA (1961), avant d'occuper des postes parmi les plus prestigieux de la diplomatie française : ambassadeur près le Saint-Siège (1985-1988), directeur des affaires politiques (1988-1991), ambassadeur en URSS puis en Russie (1991-1992), puis en République fédérale d'Allemagne (1992-1993). Bertrand Dufourcq finit sa carrière diplomatique comme secrétaire général du Quai d'Orsay (1993-1998), avant de devenir président de la Fondation de France (2000-2007). Il donna également beaucoup de son temps à des initiatives culturelles et intellectuelles qui reflétaient son profond humanisme et son attention aux autres.

Son fils, Nicolas, vient de publier un livre de témoignages recueillis au printemps 20201. Hommage à son père, ce livre n'a rien d'hagiographique, mais vient, au contraire, enrichir l'historiographie de cette séquence clé. Professeur d'histoire contemporaine à la Sorbonne nouvelle, Frédéric Bozo, qui a écrit un ouvrage de référence sur ce sujet2, met en perspective les dix-huit témoignages des acteurs politiques et les treize témoignages de diplomates réunis par Nicolas Dufourcq dont certains sont publiés en anglais. Des notes personnelles de Bertrand Dufourcq sur l'effondrement de l'URSS et la réunification allemande complètent très utilement l'ensemble. Dans son chapitre, Frédéric Bozo commence par une réflexion méthodologique indispensable à l'écriture de l'histoire du temps présent, qui impose de « passer par l'archive pour prendre toute la mesure de la vitesse du changement ». L'historien, dont c'est le métier, maîtrise mieux le sujet que les témoins et acteurs, dans la mesure où il passe des années à reconstituer « un vaste puzzle » que ces derniers « ne pouvaient connaître dans son ensemble sur le moment ». C'est pourquoi Frédéric Bozo, prenant exemple du jugement porté par des témoins sur François Mitterrand ou Roland Dumas, invite le lecteur à avoir conscience des biais de mémoire.

Cette précaution prise, ces témoignages permettent de saisir des diplomaties (française, britannique, allemande de l'Ouest, soviétique et américaine) en action et ainsi de se rendre compte de la nécessité de combiner au mieux analyse, prévision et proposition dans un contexte d'accélération des événements. Ce qui importe, dès lors, c'est de bien comprendre les intentions des autres protagonistes pour éviter toute erreur d'interprétation. Tâche impossible sans connaissance approfondie de l'histoire propre à chaque pays, à chaque système et sans compréhension fine du positionnement de chacun des protagonistes. Ce sont des hommes, en l'occurrence des acteurs politiques épaulés par des diplomates, qui décidèrent du cours de l'Histoire en fonction de leur lecture des événements.

Dans son introduction, Nicolas Dufourcq identifie les principaux problèmes politiques de cette séquence et les met en perspective avec la période actuelle. À partir de février 1990, le format « 2 + 4 », c'est-à-dire les deux Allemagne et les quatre puissances occupantes, sert de cadre aux négociations. La signature de la Charte de Paris (19 et 21 novembre 1990) laisse espérer une Europe réunifiée et pacifique, ayant des liens de coopération étroite avec la Russie : « On y croyait. » Trente ans plus tard, les témoins cherchent à comprendre pourquoi la Russie s'est à ce point éloignée depuis que « l'abcès s'est déplacé de l'Elbe au Dniepr ». L'unification allemande (avec son corollaire, la création de l'euro et l'union politique) et la fin de l'URSS apparaissent rétrospectivement comme les deux faces d'une même pièce.

La chute de l'URSS entraîna une crise sociale d'une extrême violence, qui fit le lit de Vladimir Poutine. Les notes personnelles à la fin de l'ouvrage reflètent la violence des chocs subis par la société russe. Un mot personnel pour finir : Bertrand Dufourcq fut un administrateur de l'Ifri (1999-2011) aussi attentif que bienveillant. Je garde un vif souvenir de nos conversations sur la Russie. Toujours lucide, il aimait sincèrement ce pays sans lequel il n'est pas possible de penser la sécurité européenne. C'est un des grands enseignements de ce livre hommage.

_________________

1 N. Dufourcq (dir.), Retour sur la fin de la guerre froide et la réunification allemande. Témoignages pour l'histoire, Odile Jacob, 2020.
2 Fr. Bozo, Mitterrand, la fin de la guerre froide et l'unification allemande. De Yalta à Maastricht, Odile Jacob, 2005.
 
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Thomas GOMART

Thomas GOMART

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Directeur de l'Ifri