Ce qu’il manque au nucléaire pour sauver le climat
La lutte contre le réchauffement climatique devait être l’occasion d’un nouveau printemps du nucléaire, énergie décarbonée, après l’hiver qui a suivi la catastrophe de Fukushima. C’était sans compter les freins économiques et les changements d'usages, qui poussent le nucléaire à se réinventer, à plus petite échelle.
Un comble. Alors que "de plus en plus, le rôle du nucléaire pour lutter aux côtés des renouvelables contre le réchauffement climatique est reconnu", selon Xavier Ursat, directeur nouveau programme nucléaire chez EDF, l’atome marque le pas dans le monde. Le parc mondial de 439 réacteurs à mi-2020, qui produisent 10 % de l’électricité (18 % dans les économies avancées), vieillit plus vite qu’il n’est renouvelé. Et les nouveaux réacteurs chinois pourraient ne plus compenser les fermetures. En 2019, 5,5 GW de capacité nucléaire supplémentaire ont été connectés au réseau et 9,4 GW ont été définitivement arrêtés, abaissant la capacité mondiale à 443 GW.
Dans les économies avancées, le nucléaire perd inexorablement du terrain face aux énergies renouvelables et au gaz de schiste. Un quart de la capacité nucléaire existante devrait y être arrêtée d'ici à 2025, ce qui pourrait entraîner des milliards de tonnes d'émissions de carbone supplémentaires, alerte l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Le développement de nouvelles capacités nucléaires est aussi plombé par les retards et surcoûts des EPR français et des AP1000 américains en construction. Leur coût s’élève entre 7500 et 10 500 dollars le kilowatt, contre 2800 à 5400 $/kWe pour le réacteur russe VVER-120, le Hualong One chinois et l’APR1400 coréen.
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Des solutions de financement
Problème, pour l’instant, le nucléaire ne figure pas dans la liste des investissements verts de l’Europe - la Taxonomie verte -, malgré les efforts de la France, de la Pologne et de la République tchèque pour l’y faire entrer, afin d’avoir accès à des financements très compétitifs, dans un secteur de l’énergie libéralisé et ultra concurrentiel. Or, le financement public représente les deux tiers du coût de construction d’une nouvelle centrale.
"Sans réforme des aides d’États, il sera difficile, voire impossible, de financer la construction de nouvelles centrales nucléaires", explique Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du centre énergie et climat de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Ce n’est pas gagné, car "si au sein de la Commission européenne on est convaincu qu’il faudra conserver un socle de nucléaire en Europe pour décarboner le mix électrique, des pays comme l’Autriche, mais aussi l’Allemagne, persuadés qu’on peut mener cette transition énergétique sans nucléaire, sont très opposés à ce que l’on crée les mêmes conditions au nucléaire que pour l'éolien offshore et le photovoltaïque".
Or les investisseurs privés boudent ces chantiers nucléaires longs et risqués, d’autant plus que les gouvernements rechignent à garantir un prix d’achat pour le nucléaire avec des contrats pour différence, comme ils le font déjà, à grands frais, pour les énergies renouvelables. EDF, qui avait réussi à décrocher un contrat de ce type pour les EPR d’Hinkley Point C auprès du gouvernement britannique, doit trouver une solution impliquant des investisseurs privés pour ceux de Sizewell. En France, le gouvernement cherche à sanctuariser le nucléaire dans un EDF bleu 100% public, au sein du projet Hercule de scission du groupe, pour mieux le financer.
De l’innovation, mais pas uniquement technologique
"Le risque est que le nucléaire en Europe soit financé par les pays étrangers et ne bénéficie pas aux entreprises européennes", prévient Carine de Boissezon, directrice développement durable d’EDF. La Russie en tête, qui garantit le financement des réacteurs de Rosatom à l’export. Les Chinois, une fois certifié leur réacteur Hualong One (dont un premier vient d’entrer en service commercial en Chine) pourraient faire de même.
"On ne peut plus mener cette industrie comme depuis quarante ans, alerte l’expert de l’Ifri. Il faut impliquer davantage le secteur privé et développer les coopérations internationales, pour faire face à la Russie et à la Chine."
Pas si simple. Pour garder une place à côté des renouvelables, il est urgent, pour EDF notamment, d’innover à la fois en matière de garantie et de financement mais aussi de convaincre les gouvernements de s’engager sur la durée. "Pour la lutte contre le changement climatique, il faut prendre des positions maintenant et maintenir une continuité d'action jusqu’en 2050", prévient Xavier Ursat.
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> Lire l'intégralité de l'article sur le site du journal L'Usine Nouvelle
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