Comment le nouveau président angolais tente de s'affranchir du clan dos Santos
« Il a dit ce que beaucoup voulaient entendre mais l’enjeu n’est pas là. Joao Lourenço doit s’affirmer dans un système bétonné par trente-huit ans de pouvoir dos Santos, observe le politologue Didier Peclard, chercheur au Global Studies Institute de l’université de Genève. Il teste, plus rapidement que prévu, ses marges de manœuvre afin de définir s’il pourra faire sa place en intelligence avec le clan dos Santos ou s’il devra l’arracher dans la confrontation. »
Briser le monopole
Sur le plan économique, le nouveau chef d’Etat, adoubé à contrecœur par José Eduardo dos Santos qui espérait placer l’un de ses fils à la présidence, semble vouloir imprimer sa marque, délimiter son périmètre. Avec des solutions libérales, le militaire formé en Union soviétique a annoncé des mesures en faveur des entrepreneurs privés, d’un secteur bancaire défaillant et des investisseurs étrangers. Plus inattendu, il s’est dit déterminé à briser des monopoles sur des secteurs contrôlés par le clan dos Santos. Il a pris soin de citer le ciment, une industrie dans laquelle Isabel dos Santos, fille chérie de l’ancien président et femme la plus riche du continent, ainsi que son époux d’origine congolaise, Sindika Dokolo, qui siège au conseil d’administration du cimentier Nova Cimangola, sont particulièrement investis.
Joao Lourenço, qui avait fait campagne cet été sur le thème de la « continuité » aurait-il décidé de s’affranchir de l’influence de son prédécesseur au point de s’attaquer aux intérêts économiques de ses enfants ? Des décisions récentes vont dans ce sens.
Plusieurs caciques de l’ancien régime, trop porté sur les affaires, n’ont pas été reconduits dans son gouvernement, tels le général ministre Helder Vieira Dias, dit « Kopelipa », ex-chef de la Maison militaire de la présidence, ou encore l’ancien vice-président Manuel Vicente, accusé de corruption de magistrat par la justice portugaise.
D’anciens interlocuteurs et partenaires d’affaires confient avoir reçu pour consigne de rompre tout contact avec ces figures du pouvoir dos Santos s’ils souhaitent poursuivre leur relation avec le nouveau pouvoir. Et, en quelques semaines à la tête de l’Etat, « JLo » s’est risqué à avancer ses pions face à la reine Isabel dos Santos qui dirige notamment la société pétrolière d’Etat, Sonangol, sur nomination de son père en juin 2016.
« Deux centres du pouvoir »
Comme pour contrecarrer le pouvoir absolu de la Sonangol sur la gestion de l’or noir qui assure 75 % des recettes fiscales angolaises, le président Lourenço a nommé secrétaire d’Etat au pétrole l’un de ses plus proches amis, Carlos Saturnino. Ce dernier, spécialiste reconnu des questions pétrolières, a fait carrière à la Sonangol pour en finir directeur de la stratégique filiale Exploration et production, avant d’être remercié par Isabel dos Santos fin 2016.
Dans le même temps, le chef d’Etat s’est entretenu personnellement avec les responsables des sociétés pétrolières présentes en Angola (Total, Eni, Chevron, ExxonMobil) et a mis en place un groupe de travail chargé d’améliorer les conditions d’investissement dans le secteur des hydrocarbures.
- « Cette nomination de M. Saturnino est un virage car M. Lourenço confie la gestion pétrolière à un homme dont il a la pleine confiance. Il place ainsi Isabel dos Santos sous surveillance, souligne Benjamin Augé, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Saturnino a officié durant plusieurs décennies à la Sonangol sous le régime dos Santos, donc on ne devrait pas assister à une révolution dans les pratiques. Mais, de facto, il y a deux centres du pouvoir pétrolier et non plus un seul. Ce qui est une première en Angola. »
Média
Partager