Conflit au Proche-Orient : une reconnaissance de la Palestine par la France, pour quoi faire ?
L’annonce que la France pourrait reconnaître officiellement l’État palestinien est-elle une déclaration de plus dans un conflit vieux de 80 ans ou réel événement ? « 20 Minutes » a posé la question à Amélie Férey, chercheuse au Centre des études de sécurité de l’Ifri.

L’heure est encore au suspens. Mais Emmanuel Macron a ouvert la voie à une reconnaissance par la France de l’Etat palestinien, et deviendrait ainsi le 149e pays à prendre cette position.
Et tandis qu’Israël poursuit ses opérations militaires dans la bande de Gaza depuis près d’un an et demi, on a demandé à Amélie Férey, chercheuse et responsable du Laboratoire de recherche sur la défense au Centre des études de sécurité de l’Ifri, ce que pourrait changer – ou non – cette reconnaissance dans la perspective d’un règlement du conflit israélo-palestinien.
Que changerait une reconnaissance de la Palestine par la France ?
Je pense que ce serait un positionnement important de la France, parce que ce serait un grand pays occidental qui reconnaît la Palestine et qui pourrait avoir un vrai impact. Par ailleurs, cela permettrait de renouer avec une forme de politique arabe française – on a vu l’activisme de Macron sur le Liban –, on voit qu’il y a un vrai effort de coordination avec un partenaire, car cette reconnaissance interviendrait à l’occasion d’un sommet avec l’Arabie saoudite.
Cela avec l’idée d’imposer un récit un peu différent de celui des accords d’Abraham, où il y a une reconnaissance unilatérale de l’État d’Israël de la part du Bahreïn et des Emirats arabes unis. En disant : « Là, on reconnaît la Palestine, en échange, possiblement, d’une reconnaissance d’Israël par l’Arabie saoudite. »
Mais cela ne relève-t-il pas uniquement du symbole qui reste sans effet ?
Il ne faut pas voir ça simplement comme une déclaration de plus sur un dossier où les déclarations s’empilent sans nécessairement avoir d’effet sur le terrain. Cela pourrait être un signal fort pour réimposer un monde où le droit international compte, où le droit à la souveraineté et à l’autodétermination des peuples a de la valeur.
Enfin, cela permettrait de mettre en cohérence le discours français sur l’Ukraine, qui est précisément un discours de droit à la souveraineté et à l’autodétermination, avec le dossier israélo-palestinien.
Qu’est-ce qui fait que ce positionnement aurait plus d’impact que celui de l’Espagne, de la Norvège ou de l’Irlande, qui ont reconnu la Palestine en 2024 ?
C’est le rôle et le poids de la France au sein du camp occidental. La France fait partie du Conseil de sécurité de l’ONU – ce qui n’est pas le cas des pays cités –, qu’on est une puissance nucléaire, et qu’on est justement à un moment où le leadership moral du monde occidental, incarné par les États-Unis, vacille.
Et donc, la France se constitue comme un acteur de premier plan au sein de l’Union européenne, qui est en train de s’autonomiser. La France pourrait être la grande nation occidentale qui propose une vision alternative des relations internationales, avec un chemin alternatif : celui du respect du droit international.
A rebours du grand retournement d’aujourd’hui qu’est l’alignement entre les États-Unis et la Russie. Idéologiquement, les États-Unis sont dans une volonté de sape de l’ordre international tel qu’il a été créé après la Seconde Guerre mondiale : un monde d’intégration économique et de droit international qui limite les ambitions des États, interdit l’impérialisme et repose sur un système multilatéral. La France pourrait chercher à reprendre ce flambeau-là.
Si on projette que la France reconnaît l’État palestinien, qu’est-ce qui pourrait ensuite contraindre Israël à reconnaître la Palestine ?
En fait, la reconnaissance de l’État palestinien n’est pas le remède miracle qui va faire que les Palestiniens puissent vivre en paix. Par contre, c’est un chemin vers la paix. Et il n’y aura pas de stabilité au Moyen-Orient tant qu’il n’y aura pas la paix entre Israéliens et Palestiniens. Je pense qu’il faut vraiment arrêter avec le fantasme d’un statu quo, d’un conflit gelé. C’est le moment où il faut imposer une paix, et plus généralement dans la région. Et la reconnaissance par la France est une manière de pousser dans cette direction. On ne peut pas faire la paix à la place des Israéliens et des Palestiniens, mais cela compliquerait le projet de déplacements forcés des Palestiniens, qui est celui de l’actuel gouvernement israélien. Il faut le lire comme un rapport de force.
Ensuite, la Palestine est considérée comme un véritable État depuis 2015, lorsqu’elle a rejoint l’ONU comme membre observateur. C’est cela qui lui a permis de rejoindre la Cour pénale internationale. En termes juridiques, l’État palestinien existe de fait. Aujourd’hui, 148 pays reconnaissent l’État palestinien. Donc, il y a une très petite minorité qui ne le reconnaît pas.
Oui mais les plus puissants…
La Russie, la Chine, l’Inde, qui ne sont pas des petites puissances, l’ont reconnu. Mais le dernier bloc qui n’a pas reconnu la Palestine, en effet c’est le bloc occidental : États-Unis, Canada, Royaume-Uni, France, Japon, Australie.
À nouveau, on est à un moment où il y a une faillite du grand leader du monde occidental, qui sont les Etats-Unis. Et la France, en se positionnant sur l’État palestinien – et avec cela, sur la défense de l’ordre international tel qu’il a été construit – pourrait avoir un effet d’entraînement sur d’autres puissances occidentales qui ne veulent pas suivre les Américains dans leur nouvelle voie. Je pense notamment au Canada. Donc c’est pour cela que ce n’est pas du tout un événement à minorer. Cela pourrait ouvrir la voie au dernier bloc qu’il manque pour la reconnaissance de l’État palestinien.
Après, concrètement, cela n’aurait pas d’effet immédiat. Puisque, en fait, les seuls qui ont un véritable levier de contrainte à l’égard d’Israël, ce sont les États-Unis, avec l’aide militaire américaine de 3,8 milliards de dollars par an.
La France n’a pas dit qu’elle n’allait pas appliquer le mandat d’arrêt de la CPI (Cour pénale internationale). Elle a dit qu’il y avait une question sur la potentielle immunité tant que le dirigeant est en fonction. Cela a été un arrangement qui a été fait pour obtenir un cessez-le-feu au Liban.
Et c’est aussi comme ça qu’il faut voir ces initiatives : ce sont des leviers de négociation pour essayer de façonner ou de changer un rapport de force. La France n’a pas dit, comme la Hongrie, qu’elle sortait de la CPI. Sachant que si Netanyahou n’est plus à la tête du gouvernement israélien – il y aurait des élections en 2026 en Israël –, la France peut tout à fait décider d’appliquer ce mandat. Mais pour l’instant, Netanyahou est persona non grata sur le territoire français.
> Lire l'interview sur 20 minutes.
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