COVID-19 : pourquoi l’Allemagne pousse pour autoriser le vaccin russe en Europe
Alors que le pays se voit livrer moins de doses que prévu, Angela Merkel s’est prononcée mardi soir en faveur d’une approbation du vaccin russe, le Spoutnik V. Un moyen supplémentaire pour juguler l’épidémie, mais aussi une façon d’apaiser les relations avec la Russie, toujours très tendues.
"Nous avons toujours dit que chaque vaccin qui obtenait une autorisation de l’Agence européenne du médicament était le bienvenu." Mardi soir à la télévision allemande, Angela Merkel a réitéré les propos tenus le 21 janvier dernier en conférence de presse sur le vaccin russe, Spoutnik V, dont elle assurait avoir "parlé" avec Vladimir Poutine et qu’elle proposait même de coproduire avec la Russie. Ces annonces interviennent alors que l’Allemagne, comme le reste des pays-membres de l’Union européenne, connaît une pénurie de vaccins, les laboratoires Pfizer, Moderna et AstraZeneca ayant tous déclaré des retards de livraison.
Les critiques pleuvent outre-Rhin sur la Commission européenne, responsable de l’achat des vaccins pour le compte de l’UE. Le ministre-président de Bavière, Markus Söder, a estimé vendredi sur la ZDF que celle-ci a "commandé les vaccins trop tard et à trop peu de fabricants". Il a depuis demandé à l’Agence européenne du médicament d’autoriser "au plus vite" les vaccins russe et chinois. Le ministre allemand de la Santé, Jens Spahn, s’est également prononcé en ce sens.
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- Il en va aussi des priorités politiques de l’Allemagne, menacées par la crise sanitaire et le soutien massif à l’économie qu’elle induit. "Le ministre de l’Economie pourrait être accusé d’avoir dilapidé le schwarz null", explique Paul Maurice, chercheur en relations franco-allemandes à l’Ifri, en désignant la règle d’or qui oblige le pays à présenter un budget à l’équilibre et même excédentaire. Face à l’urgence du retour à la normale, les autorités allemandes verraient donc le vaccin comme "une arme utile, temporaire, et tant pis si on fait alliance avec la Russie".
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- "Depuis les années 90, le gouvernement allemand cherche à faire la part des choses avec la Russie, explique Paul Maurice. Il condamne politiquement d’un côté, et essaye d’intégrer la Russie dans l’espace européen de l’autre." Multiplier les contacts avec la Russie permettrait au pays de se libéraliser à la fois économiquement et politiquement. Une stratégie que le chercheur qualifie de "schizophrénie politique", en raison de la répression que subit la société russe. "C’est très allemand de ne pas vouloir de confrontations, appuie sa consoeur de l’ENS. Il y a cette peur de bâtir une politique liée à la puissance militaire et économique", que l’Allemagne refuse en raison de son histoire.
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- Depuis 15 ans qu’Angela Merkel est au pouvoir, cette politique d’ouverture à la Russie connaît néanmoins des inflexions notables, liées au changement d’époque. "Gerhard Schröder [chancelier allemand de 1998 à 2005] parlait avec un Poutine nouvellement élu qui voulait restaurer l’Etat russe, détérioré par les grandes politiques de privatisation, raconte Paul Maurice. Angela Merkel n’a pas d’illusion sur la Russie de Vladimir Poutine, mais elle ne la repousse pas de manière idéologique."
- C’est cette position tout en équilibre qu’a semblé reconnaître la chancelière le 21 janvier dernier : "Je pense que, en dépit de nos différences politiques, qui sont actuellement importantes, nous pouvons travailler ensemble pendant une pandémie dans le domaine humanitaire." Spoutnik, après tout - le satellite - a bien mené à la Station spatiale internationale…
Copyright Le Journal du Dimanche / Louis de Briant
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