Crise en Ukraine : comment Emmanuel Macron tente de peser dans les négociations
Le président français est reçu par son homologue russe Vladimir Poutine lundi, dans l'espoir d'apaiser les tensions entre Moscou et Kiev. Le chef de l'Etat rencontrera ensuite mardi le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.
Une nouvelle semaine de pourparlers débute, lundi 7 février, afin d'œuvrer à une désescalade entre l'Ukraine et la Russie. A l'heure où les services de renseignement américains craignent la préparation d'une invasion à grande échelle du territoire ukrainien par l'armée russe, Emmanuel Macron se rend à Moscou, lundi, pour y rencontrer son homologue russe, Vladimir Poutine.
Le chef de l'Etat poursuivra sa tournée diplomatique en se rendant à Kiev mardi, auprès du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Le chancelier allemand, Olaf Scholz, sera quant à lui à Washington lundi pour rencontrer le président américain, Joe Biden, avant de se rendre à son tour en Ukraine et en Russie, la semaine prochaine.
Depuis plusieurs semaines, Emmanuel Macron cherche à jouer un rôle de médiateur dans cette crise. Entre appels répétés et visites, relance du format dit "Normandie" et appel à un dialogue direct entre Bruxelles et Moscou, le président français multiplie les tentatives pour éviter un conflit aux portes de l'Europe. Les Occidentaux accusent en effet les autorités russes d'avoir massé quelque 100 000 soldats à sa frontière avec l'Ukraine, tandis que Moscou nie et réclame, pour sa sécurité, un gel de l'élargissement de l'Otan dans l'est de l'Europe.
Avant la rencontre avec Poutine, des échanges répétés
En quelques semaines, Emmanuel Macron a multiplié les contacts avec son homologue russe. Début février, le chef de l'Etat a échangé deux fois en trois jours avec le président russe, tout en communiquant régulièrement avec son homologue ukrainien. Jeudi, le président français s'est ainsi entretenu par téléphone avec Vladimir Poutine pendant 45 minutes, puis pendant environ une heure avec Volodymyr Zelensky, avant de contacter le président polonais, Andrzej Duda. Des appels précédés d'un échange avec Joe Biden, tard mercredi.
Ces contacts se sont poursuivis en fin de semaine "avec les partenaires européens et les alliés", dans l'objectif d'une "parfaite coordination" avant l'"initiative" française de la rencontre avec Vladimir Poutine. Durant le week-end, Emmanuel Macron s'est entretenu avec le Premier ministre britannique, Boris Johnson, le chef de l'Otan, Jens Stoltenberg, ainsi qu'avec les dirigeants des pays baltes. De nouveaux échanges avec Olaf Scholz et Joe Biden ont également eu lieu vendredi et dimanche.
Lundi à Moscou, Emmanuel Macron tentera d'"aller au contact, engager la négociation dans les termes les plus clairs possibles", a déclaré l'Elysée. "Il ne s'agit pas de tout régler" mais d'essayer d'obtenir une "désescalade". Les dirigeants sont décidés à "aller au fond des choses", assure la présidence.
"Il faut être très réaliste. Nous n’obtiendrons pas de gestes unilatéraux mais il est indispensable d’éviter une dégradation de la situation avant de bâtir des mécanismes et des gestes de confiance réciproques. (...) Notre rôle est préventif, il faut faire baisser la tension par le dialogue et éviter un conflit armé." Emmanuel Macron au "Journal du Dimanche"
La réunion entre les dirigeants français et russe, la première depuis leur rencontre au Fort de Brégançon (Var), à l'été 2019, doit débuter dans l'après-midi et pourrait se poursuivre durant une partie de la soirée. Le président français s'est dit prêt à discuter avec Moscou de la sécurité et des alliances militaires en Europe, mais Paris ne peut décider seul sur ce sujet. Le chef de l'Etat, de son côté, cherche l'obtention d'un signe du Kremlin en faveur de la désescalade.
Toutefois, si Moscou juge cette discussion "très importante", "la situation est trop complexe pour s'attendre à des percées décisives après une seule rencontre", a prévenu lundi le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov.
Le recours au format dit "Normandie"
A l'issue de cette nouvelle séquence diplomatique, "il faudra faire le point" et évaluer la possibilité d'un "nouveau sommet à Paris en format Normandie", a précisé l'Elysée. Ce format diplomatique, qui réunit la France, l'Allemagne, l'Ukraine et la Russie, est l'un des autres leviers de négociations impliquant Paris. Il avait débuté à Ouistreham (Calvados) en 2014, pour mettre en œuvre les accords de paix de Minsk dans les enclaves séparatistes du Donbass, dans l'est de l'Ukraine.
Après une dernière réunion le 17 septembre 2021, la Russie a accepté de reprendre ce format le 26 janvier, lors d'une rencontre organisée à Paris. Les conseillers des présidents français, russe, ukrainien et du chancelier allemand se sont entretenus pendant plus de huit heures à l'Elysée, afin de relancer ce processus de paix.
"L'objectif était d'envoyer un signal de détente dans un contexte avec beaucoup d'interrogations sur les intentions russes. Nous avons obtenu un bon signal dans des conditions difficiles. Le réengagement que nous recherchions", a déclaré l'Elysée à l'issue de cette rencontre. Dans un communiqué commun, les négociateurs ont affirmé leur "respect inconditionnel du cessez-le-feu" dans l'est de l'Ukraine. "C'est important aujourd'hui, où chacun s'interroge sur les intentions de Vladimir Poutine, et la possibilité d'une déstabilisation qui pourrait intervenir dans le Donbass ou sur la ligne de contact", a souligné la présidence française. Le communiqué est d'ailleurs le "premier document significatif sur lequel nous réussissons à tomber d'accord depuis décembre 2019", a à son tour salué le négociateur ukrainien, Andriï Iermak.
Un désaccord profond persiste néanmoins entre Moscou et Kiev sur la question du dialogue entre le pouvoir ukrainien et les séparatistes prorusses. Un dialogue direct avec ces séparatistes, demandé par Moscou, est en effet une "ligne rouge" pour l'Ukraine, qui le refuse, a rappelé l'Elysée. Et comme l'a souligné le négociateur russe, Dmitri Kozak, la situation dans l'est de l'Ukraine et les tensions entre Kiev et Moscou à la frontière restent "deux choses différentes".
Des efforts pour un dialogue UE-Russie
Quelques jours avant sa rencontre avec Vladimir Poutine, Emmanuel Macron s'est également entretenu avec le président du Conseil européen, Charles Michel, sur la responsabilité de la France dans ces négociations, en tant que présidente du Conseil de l'Union européenne.
Paris, qui cherche à se poser en leader européen, plaide en parallèle pour un dialogue direct entre Bruxelles et Moscou. "Ce que nous devons faire, c'est rester unis en tant qu'Occidentaux, être présents en tant qu'Européens. Est-que l'Union européenne fait assez ? Probablement pas aujourd'hui", a récemment reconnu le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes, Clément Beaune, au "Grand Rendez-vous" d'Europe 1, CNews et Les Echos. Il faut que "nous ayons, en tant qu'Union européenne (...), des propositions, un dialogue organisé, régulier avec la Russie, tout en étant fermes", a-t-il insisté.
Lors de son discours face aux députés européens à Strasbourg, le 19 janvier, Emmanuel Macron avait d'ailleurs appelé à un dialogue entre Bruxelles et Moscou sur "un nouvel ordre de sécurité en Europe". "Nous devons le construire entre Européens, puis le partager avec nos alliés dans le cadre de l'Otan, puis ensuite le proposer à la négociation à la Russie", avait-il lancé.
"La sécurité de notre continent nécessite un réarmement stratégique de notre Europe comme puissance de paix et d'équilibre, en particulier dans le dialogue avec la Russie." Emmanuel Macron lors de son discours au Parlement européen
Néanmoins, à ce stade, un dialogue direct avec Bruxelles n'est pas à l'ordre du jour pour le Kremlin. "Je ne sais même pas comment l'UE voit sa participation aux négociations sur la sécurité", a déclaré en janvier le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, relève RFI. "Vous voulez savoir s'il est possible d'établir un canal avec l'UE sur les questions de sécurité, séparé des États-Unis et de l'Otan ? Franchement, je ne sais pas. Maintenant nous sommes tournés vers les États-Unis et l'Otan", a-t-il lancé lors d'une conférence de presse.
"La Russie ne souhaite pas parler à l'UE, observe auprès de l'AFP Tatiana Kastouéva-Jean, de l'Institut français de relations internationales (Ifri). En Allemagne, la nouvelle coalition n'a pas encore bien pris ses marques. Donc Macron est la voix de l'Europe dans le dialogue avec Poutine."
>Lire l'article sur le site de France Info
Média
Partager