Crise ukrainienne : " Les voisins de la Russie attendent une réassurance de l'Otan "
Les faits - Au lendemain du référendum en Crimée (97% des voix pour le rattachement à la Russie), les ministres européens des Affaires étrangères, qui rejettent le résultat de ce scrutin, se sont accordés sur des sanctions visant 21 Ukrainiens et Russes, dont des proches de Vladimir Poutine. Ces sanctions impliquent des interdictions de voyage et des gels d'avoirs. Pour sa part, Washington a décidé des sanctions similaires contre onze personnalités, alors que le président Obama assurait que la diplomatie pouvait encore permettre de résoudre la crise.
Selon vous, la crise ukrainienne relance la question de la "réassurance" au sein de l'Alliance atlantique. De quoi s'agit-il ?
C'est la défense collective du XXIème siècle. Schématiquement, cela désigne l’ensemble des mesures politiques et militaires que les grands pays de l’Otan, dont la France, pourraient prendre pour « rassurer » les alliés d’Europe centrale et nordique par rapport à d’éventuelles menaces contre leur territoire, face à la Russie en particulier. C'est un concept nouveau, apparu en 2010. Pendant vingt ans, après la guerre froide, on a fait comme si la question ne se posait plus et les armées ont été transformées en forces expéditionnaires employées dans les opération extérieures de l'Otan, les Balkans, l'Afghanistan, la Libye, etc. Parallèlement, il y a eu une démilitarisation massive en Europe : pensez qu'en 1990, l'armée suédoise était capable de mobiliser 600.000 hommes en cas de guerre. Aujourd'hui, ses effectifs sont de 25000... La première alerte a sonné en 2008, lorsque la Russie a montré qu'elle était capable d'envahir la Géorgie. Capable autant en terme de volonté politique que de moyens militaires. A la réaffirmation de la puissance russe, s'est ajouté le désengagement américain.
L'Alliance atlantique ne garantit-elle pas à ses membres une "défense collective" en vertu de son article 5 qui prévoit qu'une attaque contre l'un de ses membres équivaut à une attaque contre tous les autres ?
La réassurance ne consiste pas à se remettre dans une logique de guerre froide. Il s'agit de réfléchir à ce que nous ferions dans une crise grave, tel le coup de force limité que l'on vient de voir en Crimée. Or, un certain nombre de pays sont inquiets sur la réalité de l'engagement de leurs grands alliés dans ce cas. C'est un peu, pour reprendre les termes de Donald Rumsfeld, la nouvelle Europe qui doute de la vieille Europe.
Quels sont ces pays qui réclament cette réassurance ?
Tous les pays nordiques, membres ou non de l'Otan : Norvège, Danemark, Suède, Finlande. Les trois pays baltes : Estonie, Lettonie et Lituanie. Et les quatre pays d'Europe centrale : Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie. On peut y ajouter la Roumanie.
A qui s'adressent-ils ?
La question du désengagement américain, du pivot vers l'Asie, est dans tous les esprits. Après l'Irak et l'Afghanistan, la Grande-Bretagne est, d'évidence, militairement affaiblie. Quant à l'Allemagne, la confiance n'existe pas. Pas seulement à cause des liens économiques avec la Russie, mais également du fait du passé et du refus de l'opinion allemande de s'engager dans des opérations militaires.
Reste donc la France ?
Oui, je crois que notre pays a un rôle particulier à jouer dans cette affaire. Mais je constate qu'il n'y a aucune doctrine sur le sujet. Or, il vaudrait mieux y réfléchir sérieusement avant la prochaine crise. La France conserve de vraies capacités militaires et n'hésite pas à s'en servir. Par ailleurs, elle n'est pas en trop mauvais termes avec la Russie tout en étant plus indépendante que d'autres au plan énergétique. Il y a clairement une attente d'un engagement français de la part des pays voisins de la Russie. Cet engagement s'est d'ailleurs concrétisé en novembre avec la participation de 1300 militaires aux grandes manœuvres de l'Otan en Pologne (Steadfest Jazz) alors qu'Allemands et Américains n'avaient envoyé que des moyens très faibles. Et si la France s'engageait plus encore dans ce sens, elle serait plus légitime pour demander l'aide de ces mêmes Européens, au Mali ou en Centrafrique. Pour l'heure, une chose me semble nécessaire : il faut suspendre la vente des deux bâtiments de guerre Mistral à la Russie. C'est un premier pas de réassurance.
Jusqu'où pourrait aller une garantie, ou une réassurance, de la France à ces pays ? Jusqu'à la dissuasion nucléaire ?
C'est toute la question de ce qu'on appelle «l'ombre portée de la dissuasion» ou la «dissuasion élargie». Si la France déploie des troupes classiques dans une région de crise, celles-ci sont de facto couvertes par la dissuasion nucléaire française. ce facteur peut éviter l'escalade. Mais nous n'en sommes pas là ! Les pays concernés ne veulent pas entendre parler de ses sujets et sont souvent hostiles à la dissuasion française. Seuls les Polonais trouvent cela intéressant...
Avec la crise actuelle, la Russie teste-t-elle la capacité des uns à «réassurer» les autres ?
Cette dimension existe, même si je crois qu'aujourd'hui, la Russie de Vladimir Poutine traverse un moment d'hystérie, un peu comme George W. Bush après le 11-Septembre. Tout n'est pas rationnel.
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