Dimitri Minic : « La guerre d’Ukraine est le contraire de la réflexion militaire russe post-soviétique »
Dimitri Minic est chercheur au centre Russie-Eurasie de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Il vient de publier Pensée et culture stratégique russe. Du contournement de la lutte armée à la guerre d’Ukraine (Editions de la Maison des sciences de l’homme, avril 2023). Fruit de sa thèse universitaire, pour laquelle il s’est plongé dans la littérature militaire russe depuis trente ans, cet ouvrage éclaire l’impasse de ce que l’on a appelé en Occident, la « guerre hybride », du fait des présupposés idéologiques anti-occidentaux qui dominent en Russie. La guerre russe d’Ukraine est l’exact contraire de ce que pensaient pouvoir faire les généraux russes.
C’est un paradoxe tragique : depuis la fin de l’Union soviétique, les élites militaires russes ne pensaient qu'à contourner la lutte armée, et voilà la Russie engagée en Ukraine dans une guerre longue, de haute intensité et meurtrière. Cette situation est inattendue pour Moscou : elle contredit non seulement le sens des grandes réformes militaires russes engagées depuis quatorze ans, mais aussi et surtout la théorie et la doctrine russes des trente dernières années. La guerre russe d’Ukraine n’est pas un retour prémédité de la guerre traditionnelle. Elle est l’hétérotélie — un aboutissement contraire aux fins recherchées — du tropisme du contournement de la lutte armée, qui fut le cœur de la pensée stratégique russe post-soviétique.
Subversion. L’opération militaire spéciale elle-même misait bien plus sur les actions indirectes que sur l’action directe des forces armées — devant servir de coup de boutoir final — pour faire s’effondrer l’armée et l’Etat ukrainiens. [...]
L’engagement modeste des moyens militaires atteste de la naïveté du plan initial. Tout cela a échoué. Pourquoi ? Parce que Moscou a surestimé non seulement la capacité des moyens non militaires et militaires indirects — les moyens du contournement — à atteindre des objectifs politiques décisifs, mais aussi sa propre capacité à les mettre en œuvre efficacement.
Forteresse assiégée. Les élites militaires russes ont théorisé le contournement en se fondant sur une analyse tronquée de la guerre froide, qu’ils voient comme une guerre indirecte pensée et appliquée par l’Occident pour détruire l’Union soviétique. Selon elles, cette guerre s’inscrit dans une tendance historique qui se poursuit aujourd’hui : la Russie est une forteresse assiégée que ses ennemis occidentaux cherchent à détruire. [...]
La théorisation du contournement est bâtie sur une vision fantasmée de l’Occident et sur des croyances et un mode de pensée qui ont poussé Moscou à surestimer l’efficacité du contournement et l’ont empêché de l’appliquer rationnellement. Et comme cette théorisation est le produit parfait de leur culture stratégique, il sera très difficile pour les élites politico-militaires russes actuelles de la remettre en question.
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