Diplomatie chinoise : les « loups guerriers » montent au front
L’attitude des diplomates chinois s’est radicalement transformée depuis le début de l’année deux-mille-vingt. Ils sont passés d’une posture de « profil bas » sur la scène publique à des prises de positions officielles, affirmées et agressives, dans les médias et sur les réseaux sociaux étrangers. Marc Julienne, responsable des activités Chine à l’Institut français des relations internationales (Ifri) fait le point sur cette guerre discursive qui s’intensifie entre la Chine et l’Occident.
Du développement pacifique au rêve chinois
Après la mort de Mao, au tournant des années quatre-vingt, Deng Xiaoping a ouvert la Chine sur le monde et l’a convertie au pragmatisme économique illustré par la formule : « peu importe que le chat soit noir ou blanc, s’il attrape les souris, c’est un bon chat ». En matière de diplomatie, Deng Xiaoping recommandait de « cacher ses talents et d’attendre son heure ». Faire profil bas, en somme. Cette tradition diplomatique a perduré chez ses successeurs Jiang Zemin, puis Hu Jintao. Sous la présidence de ce dernier, au cours de la décennie deux-mille, le concept phare de politique étrangère était le « développement pacifique » : la Chine émerge, mais elle ne doit pas inquiéter le reste du monde et ne recherche pas l’hégémonie. Y compris sur le plan militaire, le développement fulgurant de l’Armée populaire de libération (APL), en particulier de sa marine, était présenté comme essentiellement défensif et destiné à des opérations « autres que la guerre » : lutte contre la piraterie, protection des voies maritimes, évacuation de ressortissants, opérations de maintien de la paix de l’ONU.
Depuis l’arrivée de Xi Jinping à la tête du Parti communiste chinois (PCC) en 2012, et surtout depuis le début de son second mandat en 2017, la Chine est censée être entrée dans une « nouvelle ère », celle du « rêve chinois » de renouveau de sa puissance. Exit le « profil bas », la Chine doit désormais s’affirmer sur la scène internationale comme une grande puissance à parité avec les États-Unis. Dès son arrivée au pouvoir, Xi Jinping a exhorté diplomates et médias officiels à « bien raconter l’histoire de la Chine » à l’étranger. L’objectif était de diffuser plus proactivement la vision du monde du PCC pour contrer une lecture occidentale considérée comme dominante. La démocratie libérale, l’universalisme, les droits de l’Homme et plus largement les « idées occidentales » sont ainsi systématiquement battus en brèche dans le discours chinois.
L’esprit combattant
En 2019, Xi Jinping a poussé cette offensive d’un cran, promouvant le nouveau concept d’« esprit combattant ». Employant un champ lexical très martial, il a exhorté les cadres du PCC – diplomates en tête – à devenir des « guerriers osant combattre ». Le concept d’« esprit combattant » est entré dans la doctrine diplomatique officielle de la République populaire de Chine en 2020. Les diplomates chinois sont donc désormais formellement les « soldats » de la guerre diplomatique qui se développe entre la Chine et l’Occident.
Cette nouvelle approche s’est traduite de manière extrêmement concrète en 2020, dans le contexte de la crise de la Covid-19. La Chine se trouvant au centre de l’attention internationale en tant qu’épicentre de la pandémie, le ministère chinois des Affaires étrangères et ses diplomates à travers le monde sont montés au créneau pour défendre la ligne officielle quitte à brouiller les pistes. Masquant les errements du mois de janvier 2020, les pressions sur l’Organisation mondiale de la santé, les arrestations de journalistes, avocats, bloggeurs et médecins ayant tenté d’alerter et d’informer sur la situation à Wuhan, ainsi que les recherches sur les coronavirus conduites dans deux laboratoires de la ville, les diplomates chinois ont présenté la gestion de la crise par le gouvernement comme un modèle de réussite. En opposition aux échecs des démocraties occidentales, ils en sont presque venus à faire douter certains dirigeants européens, y compris en France, de la capacité de résilience des démocraties face à une crise sanitaire. Pour contrer les demandes d’enquêtes internationales et les accusations de manque de transparence dans la recherche sur les coronavirus en Chine, nombre de diplomates chinois ont même accusé les Américains d’avoir fabriqué le virus dans un laboratoire militaire au Maryland et de l’avoir introduit en Chine.
Les réseaux sociaux, nouveaux terrains de manœuvres diplomatiques
Le procédé nouveau dans cette stratégie est l’activisme des ambassadeurs et diplomates chinois dans les médias et sur les réseaux sociaux étrangers, les mêmes qui sont censurés en Chine. Sur Twitter et Facebook, le nombre de comptes de diplomates chinois a augmenté drastiquement pour diffuser la ligne officielle et contrer avec véhémence toute critique de la Chine. Ce phénomène est devenu tellement ostentatoire que les diplomates chinois ont été qualifiés de « loups guerriers » dans la presse internationale. Une formule certes accrocheuse et inspirée d’un film d’action chinois, mais finalement assez conforme à la doctrine de « l’esprit combattant ».
Les conséquences de cette nouvelle diplomatie agressive posent question. Alors que l’essence même du métier de diplomate est de préserver le dialogue avec les autres États, les « loups guerriers » créent et accentuent les clivages, et contribuent à la dégradation de l’image de la Chine à l’étranger. L’effet produit apparaît contre-productif pour la Chine. Alors pourquoi agir ainsi ? Il semblerait que cette assurance diplomatique vise moins le reste du monde que l’opinion publique chinoise, pour lui montrer que la Chine est en voie de recouvrer sa puissance.
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