Dix ans après la mort de Ben Laden, « le djihadisme international a beaucoup évolué »
Le 2 mai 2011, le leader d'al-Qaïda était tué par l'armée américaine, laissant espérer un affaiblissement du terrorisme islamiste. Mais une décennie plus tard, la menace n'a pas disparu et la lutte contre le djihadisme a pris d'autres formes, explique le chercheur Marc Hecker.
Il y a tout juste dix ans, le président américain Barack Obama annonçait au monde la mort d'Oussama Ben Laden. La disparition du leader d'al-Qaïda, cerveau des attentats du 11 septembre 2001, avait provoqué des scènes de liesse aux Etats-Unis et laissait entrevoir un affaiblissement du terrorisme international.
Mais pour Marc Hecker, directeur de la recherche à l'Ifri et co-auteur de la « Guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIe siècle » *, le combat contre la menace islamiste est loin d'être fini. Il a pris de nouvelles formes, et doit s'adapter aux évolutions des groupes armés, mais aussi de la politique américaine. Entretien.
Dans son discours annonçant la mort d'Oussama Ben Laden, Barack Obama avait évoqué « une grande victoire » dans la guerre contre le terrorisme islamiste. Dix ans après, où en est-on ?
Barack Obama souhaitait mettre un terme aux « guerres sans fin » en Irak et en Afghanistan. L'élimination d'Oussama Ben Laden lui a donné une formidable occasion de proclamer victoire et d'opter pour une approche plus légère de la lutte contre le terrorisme : le renseignement, les drones et les forces spéciales étaient censés se substituer au déploiement de contingents volumineux.
A l'époque, Joe Biden était vice-président. Il défendait cette réorientation stratégique baptisée « contre-terrorisme plus », par opposition à la « contre-insurrection » .Toutefois, les plans de l'administration démocrate ont été contrariés par les suites du printemps arabe, et en particulier l'émergence de Daech en zone syro-irakienne. Face aux atrocités perpétrées par ce groupe, les Etats-Unis ont été contraints d'intervenir à nouveau massivement au Moyen-Orient. La « guerre globale contre le terrorisme » a ainsi été prolongée d'une dizaine d'années.
Le terrorisme islamiste a-t-il évolué ? Et que reste-t-il de l' « héritage » de Ben Laden ?
La proclamation du califat par Daech en 2014 a engendré un véritable schisme et des affrontements entre partisans d'al-Qaïda et de l'Etat islamique. Mais Ben Laden est resté une personnalité admirée dans les deux camps.
Toutefois, le djihadisme international a beaucoup évolué depuis la mort de cette figure tutélaire. Le théâtre syro-irakien est devenu l'épicentre de cette mouvance, attirant environ 40.000 combattants étrangers, soit quatre fois plus que le djihad afghan des années 1980. Mais Daech s'est attiré de très nombreux ennemis et a fini par perdre son sanctuaire au Levant. Ce groupe n'a toutefois pas disparu : il pratique encore la guérilla et son idéologie continue d'attirer des sympathisants.
Aujourd'hui, il semble que le centre de gravité du djihadisme soit en train de se déplacer vers le sud. En Afrique, les trois fronts les plus visibles sont la Somalie, la bande sahélo-saharienne et le bassin du Lac Tchad. Des partisans d'al-Qaïda et de Daech y sont présents. On a vu récemment que d'autres foyers pouvaient voir le jour comme au nord du Mozambique.
Peut-on espérer une fin prochaine de cette guerre ?
Les Etats-Unis veulent clairement refermer la parenthèse de la guerre contre le terrorisme pour se concentrer sur d'autres enjeux. Le retrait des troupes américaines d'Afghanistan, souhaité par Donald Trump et reporté de quelques mois par Joe Biden, l'illustre.
Au niveau sécuritaire, la menace chinoise est perçue à Washington comme bien plus préoccupante que celle liée au djihadisme. Et plus largement, l'administration démocrate perçoit le réchauffement climatique ou les virus létaux comme des menaces potentiellement plus dangereuses que le terrorisme.
Mais la fin d'une guerre comme celle qui a commencé le 11 septembre ne se décrète pas : il faut aussi tenir compte de la volonté de l'ennemi qui, lui, semble toujours aussi déterminé. La guerre globale contre le terrorisme telle qu'elle a été conçue et menée par George W. Bush - avec des déploiements militaires massifs - va probablement arriver à son terme. Toutefois, la lutte va se poursuivre.
* « La guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIe siècle », de Marc HECKER et Elie TENENBAUM, Robert Laffont, avril 2021.
>> Retrouver l'interview sur le site des Echos.
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