Élection à Taïwan : « L’option militaire est très risquée pour la Chine »
ENTRETIEN - Alors que Taïwan a élu ce samedi son nouveau président Lai Ching-te, issu d'un parti traditionnellement pro-indépendance, la Chine a fait savoir que « la réunification » était malgré tout « inévitable ».
LE FIGARO. - Samedi 13 janvier, Taïwan a élu son nouveau président, Lai Ching-te, candidat du parti qui défend un statut quo vis-à-vis de la Chine. Comment cette élection est-elle perçue par Pékin ?
Marc JULIENNE. - La Chine n'avait aucun véritable allié parmi les candidats taïwanais à la présidentielle, mais elle privilégiait les candidats qui desservent le moins ses intérêts, c’est-à-dire les partis qui ne soutiennent pas l'indépendance. Pour ce faire, elle a fait pression politiquement et militairement sur l'île, pour dissuader à la fois le parti pro-indépendance d'avancer sur cette voie, et les électeurs de soutenir ce parti. De manière plus coercitive, la Chine a déployé une stratégie de désinformation dans la société taïwanaise et sur les réseaux sociaux, diffusant des rumeurs et fausses informations sur le Parti Démocrate progressiste et ses candidats nationaux et locaux.
Fin août, la Chine avait lancé des manœuvres militaires autour de Taïwan comme une « sévère mise en garde » à la suite d'une visite du vice-président de Taïwan, William Lai, aux États-Unis. Rétrospectivement, comment comprendre cet évènement ?
À chaque rencontre entre de très hauts responsables taïwanais et américains, Pékin manifeste vivement son mécontentement par des exercices militaires. Ce sont aussi des opportunités pour l'armée chinoise d'effectuer des manœuvres de plus grande ampleur que d'habitude. Déjà en avril 2023, la Présidente Tsai Ing-wen avait fait escale aux États-Unis, en Californie, pour rencontrer le nouveau président de la Chambre des Représentants, Kevin McCarthy. La Chine avait alors déclenché d'importants exercices aériens et navals dans le détroit, au moment même où le Président français Emmanuel Macron achevait une visite d'État dans le pays.
Les activités militaires chinoises dans le détroit et autour de Taïwan sont quotidiennes. Marc Julienne
Dans le même registre, le plus grand déploiement militaire chinois autour de Taïwan de l'histoire a fait suite à la visite de Nancy Pelosi à Taipei en août 2022. Il faut néanmoins garder à l'esprit que les activités militaires chinoises dans le détroit et autour de Taïwan sont quotidiennes, et non pas limitées à ces rencontres internationales.
Comment la Chine accroît-elle ses capacités militaires ? Taïwan est-il un objectif pour elle ?
La Chine vise deux principaux objectifs en matière de capacités militaires. Le premier est de combler certaines lacunes pour renforcer ses capacités de projection : ravitailleurs en vol, bâtiments amphibies, lutte anti-sous-marine. Ces équipements sont d'autant plus prioritaires qu'ils sont indispensables à une éventuelle offensive sur Taïwan. Le deuxième objectif est la montée en gamme qualitative d'une armée qui est très nombreuse mais très inégale et largement inexpérimentée au combat.
Après l’élection, la Chine a assuré que « la réunification » avec Taïwan était « inévitable », rappelant son projet d’annexion de l’île. Quelles sont les autres options de Pékin ?
Les options pour Xi Jinping s'amenuisent. L'identité taïwanaise progresse inexorablement à Taïwan. Avec elle, se réduit la volonté d'unification avec le continent, a fortiori dissuadée par la radicalisation idéologique en Chine populaire. Le temps n'est donc plus du côté de Pékin. En outre, sa proposition d'appliquer le principe «un pays, deux systèmes» à Taïwan - jusqu'alors attribué à Hongkong avec le succès que l'on sait - est unanimement rejetée sur l'île et attise encore plus la méfiance.
La Chine annonce depuis plusieurs années vouloir annexer Taïwan. Pourquoi ne l'a-t-elle toujours pas fait ? Attend-elle un événement particulier ?
L'objectif essentiel du Parti communiste est l'unification, pacifiquement si possible, par la force s'il le faut. L'option militaire n'est non seulement pas prioritaire, mais elle est à court terme très risquée en raison des lacunes capacitaires de l'armée. Cependant, Xi Jinping affiche un discours et des actes beaucoup plus belliqueux que par le passé qui doivent nous inciter à observer avec sérieux l'évolution des relations interdétroit.
>> Retrouver l'entretien sur Le Figaro.fr
Média
Partager