« En Chine, le conflit ukrainien a un impact économique positif avec l’acquisition de pétrole russe bon marché », selon Françoise Nicolas.
Ce mercredi 4 mai 2022, la commission des affaires étrangères du Sénat a auditionné Françoise Nicolas, directrice du Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (Ifri) et Marc Julienne, responsable des activités Chine du centre de recherche. Les deux chercheurs ont exposé aux sénateurs les défis économiques et politiques auxquels les autorités chinoises sont confrontées.
A cinq mois du 20e congrès du Parti communiste, l’heure est au bilan économique et à l’exercice comptable pour Xi Jinping. « D’un point de vue économique, la pandémie et la guerre en Ukraine n’interviennent pas dans un contexte qui est particulièrement favorable à Pékin », souligne Françoise Nicolas. L’accroissement des tensions commerciales avec les Etats-Unis et l’effondrement du géant immobilier Evergrand ont fragilisé la toute-puissance de Pékin.
Un géant économique fragilisé par la pandémie
Pour la directrice du centre Asie de l’Ifri, l’impact du coronavirus sur l’économie chinoise est à nuancer. Le bilan global est « plutôt positif. » A court terme, la pandémie a paralysé l’économie nationale mais « cette situation a été suivie d’une reprise économique très vive et une croissance en V. » En 2020, la Chine a été l’un des rares pays « à connaître une croissance positive. » L’année suivante, ce rebond provoqué par la levée partielle des restrictions sanitaires « s’est essoufflé. » La Chine a néanmoins conservé des indicateurs « brillants », notamment ceux de sa balance commerciale. Le futur économique du pays demeure néanmoins incertain et la Chine en 2022 est confrontée « à un triple défi : contraction de la demande, un choc de l’offre et l’effondrement de la confiance des entreprises. »
La guerre en Ukraine a « coupé le fil » des nouvelles routes de la soie
Le déclenchement de « l’opération spéciale » en Ukraine le 24 février par l’armée russe est venu perturber la conjoncture économique mondiale. En Chine, ce conflit a un impact économique positif « avec l’acquisition de pétrole russe bon marché et à long terme la réorientation des flux de gaz russe se détournant de l’Europe. » Ces livraisons vers la Chine n’interviendront pas « tout de suite », prévient la directrice de l’Ifri. Des investissements massifs doivent être réalisés afin de créer les infrastructures. « Les gazoducs alimentant la Chine, ne sont pas les mêmes que ceux qui alimentent l’Union européenne », précise-t-elle. Des projets sont « en cours » pour achever cette réorientation du gaz, mais « cela prendra du temps. »
La guerre en Ukraine représente néanmoins un accroc de taille dans le rouage de la machine bien huilée des « nouvelles routes de la soie ». Chantier pharaonique sur mer comme sur terre, ce méga projet évalué à plus de 1 000 milliards de dollars définit les nouvelles ambitions planétaires de Pékin, présenté comme un projet économique, stratégique et de « projection de puissance tous azimuts géographiquement. » La confrontation militaire entre Kiev et Moscou porte « un coup très dur, notamment en interrompant le tronçon ferroviaire eurasiatique qui étonnamment fonctionnait très bien dans les deux sens avant le déclenchement des hostilités. » L’incertitude de la guerre oblige les opérateurs occidentaux à interrompre les trains de marchandise.
Le renouveau de l’amitié sino-russe
Relation ambiguë à l’époque de la guerre froide, la relation sino-russe s’est réchauffée depuis l’éclatement de l’URSS. En mars 2022, le ministre des affaires étrangères chinois, Wang Yi, avait qualifié l’amitié entre Moscou et Pékin « de solide comme un roc. » « Trois semaines avant la guerre, Xi Jinping avait reçu Vladimir Poutine à Pékin, à l’occasion de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. Les deux chefs d’Etat avaient affiché leur ‘amitié sans limite’et avaient signé une longue déclaration conjointe », souligne Marc Julienne. Pour le chercheur, la guerre en Ukraine « va renforcer la dépendance de Moscou à l’égard de Pékin dans tous les domaines : économique, diplomatique, technologique et spatial. » Malgré cette entente cordiale entre les deux puissances, les différents et les oppositions subsistent. Moscou voit « avec méfiance » la présence chinoise en Afrique, les rêves de Pékin de s’implanter dans l’Arctique et l’influence grandissante de l’Empire du milieu en Asie centrale, pré carré historique de la Russie.
Le seul intérêt commun unissant Moscou et Pékin « se définit par l’opposition des deux régimes aux Etats-Unis, à l’OTAN […] et à la démocratie libérale. » La Chine avance avec pragmatisme sur le dossier ukrainien et ne souhaite pas s’engager davantage dans son soutien à la Russie. Xi Jinping se limite à fournir un appui économique et diplomatique « toujours dans la limite des sanctions internationales. » Pékin « n’a aucun intérêt à s’aventurer dans un soutien plus franc. »
Une situation interne volatile à quelques mois d’un possible troisième mandat de Xi Jinping
Il faut dire que la situation interne « mobilise toute l’attention » du secrétaire général du Parti communiste. « La reprise épidémique à travers la Chine a chamboulé le modèle social et économique. […] Les autorités chinoises s’accrochent à cette politique zéro covid et imposent des confinements draconiens qui impactent la stabilité sociale et la croissance. » Cette situation mène « à une contestation populaire dans les régions de l’Est. » Cette tension sociale intervient à quelques mois du XXe congrès du Parti communiste, où Xi Jinping devrait briguer un troisième mandat, « un fait inédit depuis Mao. »
La reconduction de l’actuel président chinois fait peu de « doutes pour les spécialistes. » Pour Marc Julienne, ce dernier a passé les dix dernières années « à verrouiller le pouvoir et à écarter toute opposition politique. » Depuis son arrivée au pouvoir en 2012, Xi Jinping a imposé « une trajectoire néototalitaire, exacerbé le contrôle social, renforcé un culte de la personnalité, constitutionnalisé sa pensée et a imposé son enseignement dès l’école primaire. » Le parti communiste a imposé depuis 2017 une « agressivité exacerbée » sur le plan intérieur en « internant les Ouïghours et d’autres minorités religieuses, en reprenant en main de façon brutale la situation à Hong Kong et en réduisant les libertés individuelles. » A l’échelle internationale, Pékin a multiplié les provocations et a renforcé « sa pression militaire sur Taïwan. » Au niveau diplomatique, la Chine multiplie les menaces et les sanctions. Pour avoir ouvert une mission diplomatique à Taïwan début 2022, la Lituanie s’est vue imposer des sanctions économiques draconiennes.
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