Europe : l’impossible alternative au gaz russe
Dix ans plus tard, le géant russe reste le premier fournisseur de gaz de l'Europe et son bras armé, Gazprom, continue à y faire la pluie et le beau temps.
Le projet Nord Stream 2 , reliant directement la Russie à l'Allemagne via la mer Baltique prend forme. Il devrait acheminer 55 milliards de mètres cubes de gaz supplémentaires à partir de 2019. La Commission européenne, soutenue par le gouvernement polonais qui s'inscrit -pour une fois- pile dans l'objectif commun se bat pour infléchir le projet à défaut de pouvoir le bloquer. En juin, elle a demandé mandat aux gouvernements pour négocier en direct avec la Russie une exploitation « transparente et non-discriminatoire » du gazoduc. La confiance règne...
Des records de livraison
Restent les chiffres: l'an dernier, Gazprom a vendu des volumes records à l'Europe et à la Turquie : 180 milliards de mètres cubes, en hausse de 12 % par rapport à 2015. « Avant Nord Stream 1 , la France importait 12% de son gaz de Russie, après c'est 15% », note un expert. Le groupe assure aujourd'hui un tiers de la consommation des Européens.
« En dix ans, très peu a été fait », en terme de diversification, confirme Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre énergie de l'IFRI. L'emblématique projet Nabucco qui visait à faire de l'Azerbaidjan un fournisseur moins encombrant que Gazprom a été abandonné au profit d'un projet plus réduit: les gazoducs Tap-Tanap qui auraient une capacité de 10 milliards de mètres cubes contre 40 à 50 milliards pour feue Nabucco. Et quand Vladimir Poutine a renoncé fin 2014, sous la pression de la Commission européenne, au projet concurrent « South Stream » qui devait alimenter en gaz russe l'Europe du sud via la Mer Noire, il s'est lancé sans tarder dans une alliance avec la Turquie pour un autre montage: le « TurkStream » poussera ses pipes jusqu'à la Grèce avec une capacité de 30 milliards de mètres cubes.
Addiction
Comment expliquer cette addiction européenne au gaz russe au moment même où les gouvernements européens mènent une guerre diplomatique sans relâche contre la Russie pour son comportement belliqueux en Ukraine? La réponse se situe à mi-chemin entre intérêts nationaux et opportunités économiques. Tout d'abord, le prix du gaz . « Il coûte trois fois moins cher aujourd'hui, alors construire de nouvelles et coûteuses infrastructures dans ce contexte ne fait plus sens », explique Eyl-Mazzega.
Peu d'alternatives
L'autre frein à la diversification, c'est l'absence de réelles alternatives: l'Azerbaidjan recèle moins d'un dixième des réserves de son grand voisin russe tandis que celles de la Norvège diminuent. « Les Néerlandais ont levé le pied sur le gisement de Groningue depuis qu'un lien a été fait entre l'exploitation du gaz et la multiplication de secousses sismiques », raconte Thomas Pellerin-Carlin, expert en énergie à l'Institut Jacques Delors.
Quant à l'Algérie, fournisseur des pays du sud de l'Europe, notamment la France, elle n'offre pas plus que la Russie de garanties politiques solides. De plus, les autorités refusent de s'ouvrir aux investissements étrangers qui seraient nécessaires à une hausse de la production de gaz.
« Le rôle de la Russie est et restera primordial », assure Marc-Antoine Eyl Mazzega. Depuis dix ans toutefois, les Européens ont multiplié les défenses pour garantir leur sécurité énergétique.
Les pays d'europe centrale et orientale pour certains hyper dépendants du gaz russe ont été peu à peu désenclavés. Des interconnexions ont été construites et les inversions de flux permettent désormais à la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie de bénéficier, en cas de crise, du gaz de leurs voisins occidentaux.
Gaz liquéfié
Une autre parade consiste à faire monter en puissance le recours au gaz liquéfié depuis l'apparition de deux nouveaux acteurs, l'Australie et les Etats-Unis. A l'image de la Pologne, plusieurs pays se sont doté de terminaux en Europe, dont un en France à Dunkerque inauguré au début de l'année.
« Ils fonctionnent pour l'instant en moyenne au quart de leur capacité, car cet hydrocarbure regazéifié coûte plus cher que le russe. Mais en cas de pénurie ou d'une éventuelle défaillance russe, ces terminaux prendraient le relais », explique thomas Pellerin-Carlin. Au total, estime Marc-Antoine Eyl Mazegga « si l'Europe est toujours aussi dépendante de la Russie, sa vulnérabilité aux crises n'est plus la même ».
Lire l'article sur le site des Echos
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