Fusillades mortelles en Allemagne : la menace d'attentats d'extrême droite
Une double fusillade a fait neuf morts à Hanau, dans le Land de Hesse, mercredi. Le parquet fédéral évoque des "éléments à l'appui d'une motivation xénophobe". Eléments d'analyse par Nele K. Wissmann, chercheure associée au Cerfa/Ifri, auteure de la note "Le terrorisme d’extrême droite en Allemagne. Une menace sous-estimée ?" publié par l'Ifri.
La chancelière allemande Angela Merkel a dénoncé "le poison" du racisme, jeudi 20 février, quelques heures après la mort de neuf personnes dans une double fusillade visant des bars à chicha à Hanau. Le suspect de l'attentat a été retrouvé mort dans son appartement, aux côtés du corps de sa mère. Le parquet fédéral, notamment chargé de l'antiterrorisme, saisi jeudi matin de l'enquête, explique disposer "d'éléments à l'appui d'une motivation xénophobe".
Le nombre de militants d'extrême droite violents multiplié par neuf
Selon Bild (en allemand), le suspect, un Allemand de 43 ans a laissé un manifeste et une vidéo. Le quotidien allemand a transmis ces documents à Peter Neumann, spécialiste du terrorisme au King's College de Londres, qui assure que le texte témoigne d'une "haine des étrangers et des non-blancs". "Il appelle à exterminer les populations de plusieurs pays en Afrique du Nord, au Proche-Orient et en Asie centrale" en usant "de termes explicitement eugénistes, affirmant que la science prouve que certaines races sont supérieures", développe l'expert sur Twitter.
Cet attentat, dont le motif doit encore être confirmé par l'enquête, fait écho aux inquiétudes des autorités allemandes sur la menace d'un terrorisme d'extrême droite.
- "Les militants d'extrême droite sont moins nombreux que dans les années 1990, mais ils sont plus violents. Certains sont prêts à mener des actions comme des attentats", analyse Nele Katharina Wissmann, chercheuse associée à l'Ifri et au Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa), interrogée par franceinfo.
Les services de renseignement fédéraux allemand (BfV) dénombraient 32 000 militants d'extrême droite en janvier 2020, contre 65 000 au début des années 1990, selon La Croix. En revanche, le nombre de militants considérés comme violents a été multiplié par neuf, passant de 1 400 en 1990 à 12 700 aujourd'hui. Actuellement, 50 personnes liées à la mouvance d'extrême droite et considérées comme "des dangers pour la sécurité de l'Etat" sont particulièrement surveillées par les services de renseignement, avait précisé lundi le gouvernement allemand.
"Les attaques de ces derniers mois ont provoqué une prise de conscience"
- Les autorités allemandes ont "pris conscience" de la "menace" que représente le terrorisme d'extrême droite, estime Nele Katharina Wissmann. "Dans les années 2000, l'Allemagne a été choquée par les actes de la NSU, un trio de néo-nazis qui a perpétré une série d'assassinats et d'attentats visant des émigrés, rappelle-t-elle, mais ce sont surtout les attaques de ces derniers mois qui ont provoqué cette prise de conscience."
La chercheuse évoque l'assassinat de Walter Lübcke, élu de la CDU en Hesse, tué à cause de son soutien à l'accueil des migrants, en juin 2019. "Il y a également eu l'attentat à Halle, en octobre", rappelle-t-elle. Un militant d'extrême droite négationniste avait tenté d'attaquer une synagogue, mais les fidèles s'étaient barricadés à l'intérieur du bâtiment. Le terroriste avait abattu une passante et le client d'un restaurant de kebabs.
Tout récemment, le 14 février, douze membres d'un groupuscule d'extrême droite ont été arrêtés dans le cadre d'une vaste enquête antiterroriste. Ils sont soupçonnés d'avoir planifié des attaques de grande ampleur contre des mosquées, sur le modèle de l'attaque de Christchurch (Nouvelle-Zélande), qui avait tué 51 fidèles musulmans dans deux mosquées, en mars 2019.
Un "climat social" xénophobe en Allemagne
- "Cette augmentation des violences perpétrées par l'extrême droite s'explique en partie par le climat social", estime Nele Katharina Wissmann. Même si "une majorité de l'opinion publique s'oppose à l'extrême droite", comme le montrent les récentes manifestations dénonçant les "pactes" électoraux avec le parti Alternative pour l'Allemagne (AfD), "le pays a été agité, il y a quelques années, par la 'crise des réfugiés'", précise-t-elle.
- "Ce discours xénophobe est largement porté par l'AfD, qui est très présente au Bundestag [le Parlement national] et dans les différents Länder", poursuit-elle, estimant que le parti "nourrit les craintes de la population et le radicalisme des militants d'extrême droite". Dans une note du Cerfa rédigée en décembre 2019, la chercheuse associée à l'Ifri estime ainsi que "la xénophobie de la société peut motiver un 'loup solitaire' à commettre des crimes racistes".
Des groupes de plus en plus surveillés
Pour répondre à cette menace terroriste, les autorités allemandes ont mis en place de nouvelles mesures. "Plusieurs groupuscules et mouvements ont été démantelés, mais cette logique à ses limites, car les militants se réorganisent autrement, dans la clandestinité", met en garde Nele Katharina Wissmann. Pour mieux évaluer la menace, les polices des différents Länder sont amenées à "partager plus d'informations" sur les militants d'extrême droite.
- Les autorités vont par ailleurs renforcer la surveillance de ces milieux, explique la chercheuse, dans la note du Cerfa. Le BfV "réfléchit (...) à une réorganisation qui se traduira notamment par le recrutement de personnel pour analyser et évaluer les organisations d'extrême droite". La mise en place d'un système d'évaluation de la menace émanant des militants d'extrême droite violents, "à l'instar de ce qui existe pour le terrorisme islamiste", est également envisagée.
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"Ces mesures sont nécessaires, mais il va falloir plusieurs années avant qu'elles ne portent leurs fruits, avertit Nele Katharina Wissmann. Il est donc primordial de lutter contre les discours xénophobes qui nourrissent le radicalisme."
Voir l'article sur le site de FranceInfo
Pour lire la Note de Nele K. Wissmann, téléchargez le pdf ci-dessous ou cliquez ici
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