Guerre en Afghanistan, rivalité entre pays… Quels sont les enjeux du Forum Normandie pour la paix 2021 ?
Pour Thomas Gomart, le directeur de l’Institut français des relations internationales (Ifri), interviewé avant le Forum Normandie pour la paix 2021, le départ des États-Unis d’Afghanistan marque une fracture dans les équilibres mondiaux et l’officialisation de la rivalité sino-américaine comme axe majeur du monde contemporain.
Les jeudi 30 septembre et vendredi 1er octobre 2021, notre région accueillera le Forum Normandie pour la paix 2021. Caen deviendra un lieu d’échanges entre experts internationaux sur les conflits contemporains. Des conférences, des débats et des nocturnes dessineront des pistes de réflexion et d’action pour mieux gouverner la paix. À cette occasion, rencontre avec Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (Ifri).
L’échec de la Global War On Terror
Paris-Normandie : L’événement majeur de ces dernières semaines est le retrait américain d’Afghanistan. Comment faut-il lire cet épisode dans le contexte géopolitique actuel ?
Thomas Gomart : « C’est la fin d’un cycle initié par les attaques du 11 septembre 2001, avec les guerres menées en Irak et en Afghanistan. En ce sens, on peut analyser ce qui s’est passé entre 2001 et 2021 comme l’échec de la « Gwot » (Global War On Terror) menée par les Américains. Mais on peut aussi remonter à 1979, avec l’invasion russe en Afghanistan, la révolution islamiste en Iran, la prise d’otages de la Mecque et le lancement des réformes structurelles en Chine par Den Xiaoping. Et si on met tout cela en perspective, cela replace l’Afghanistan comme le lieu où s’affrontent depuis des décennies des conceptions opposées de la mondialisation. Quarante-deux ans plus tard, en quittant l’Afghanistan, les Américains laissent derrière eux la situation que nous connaissons, et créent un vide sécuritaire qui va désormais être un problème pour les pays voisins comme la Chine – qui semble toutefois avoir pris des dispositions vis-à-vis du régime taliban –, la Russie, l’Iran et même l’Europe. »
Le prestige américain a quand même été sérieusement écorné, non ?
« Oui, dans la mesure où ils partent dans une ambiance de déroute. Ce départ, qui correspond à une doctrine remontant à l’administration Obama, reprise ensuite par l’administration Trump, montre en outre un dédain prononcé vis-à-vis des alliés de l’Amérique dans le cadre de l’Otan. Mais c’est aussi, à mes yeux, une forme de rappel de leur centralité et – paradoxalement – de leur puissance : les Américains peuvent partir comme ça, du jour au lendemain, quel qu’en soit le coût, en laissant leurs propres alliés se débrouiller. »
« Cela n’a rien à voir avec la Guerre froide »
Ce désengagement marque-t-il aussi un basculement clair vers l’affrontement de demain, entre les États-Unis et le Chine ?
« Le sujet stratégique majeur pour les États-Unis est en effet celui de la rivalité avec la Chine. Les deux pays sont d’ailleurs dans une logique de réinvestissement dans leur outil militaire et affichent parallèlement la volonté de se concentrer sur la très haute technologie. Côté chinois, il y a cette idée d’être la première puissance mondiale à horizon 2050 et d’imposer son modèle. On est donc face à un choc de modèles, qui est cependant très difficile à analyser dans la mesure où ces deux pays n’ont cessé, depuis des décennies, d’intensifier leurs échanges commerciaux, économiques et financiers. Cela n’a rien à voir avec la guerre froide qui se jouait entre l’URSS et les États-Unis. Il s’agit d’une configuration inédite avec deux pays qui représentent 1,7 milliard d’individus, totalisent à eux deux plus de 1 000 milliards de dollars de dépenses militaires annuelles, sont responsables de 40 % des émissions mondiales de Co2 et ont noué des liens extrêmement étroits sur les plans économiques et technologiques. Liens qui ne peuvent pas être rompus si facilement. »
Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ?
« L’interdépendance économique ne garantit pas l’absence de conflit. En revanche, ni les États-Unis, ni la Chine, n’ont fondamentalement intérêt à un clash direct. On peut même imaginer des partenariats forts sur des thèmes comme celui du réchauffement climatique. En revanche, l’affrontement peut se déplacer sur d’autres terrains de jeux, pourquoi pas d’ailleurs en Europe. On a ainsi récemment vu les Anglais, qui étaient très avancés sur le développement de leur partenariat avec la Chine notamment à travers la 5G, faire volte-face en rejoignant la position américaine. Sur d’autres terrains, comme Taïwan, on ne peut pas exclure le scénario d’un bref affrontement armé, qui ferait pencher la balance du côté américain ou chinois. »
« Les appareils militaires vont garder une grande importance »
Au milieu de cet affrontement entre les deux grands, l’Union européenne « ne peut tout simplement pas se penser en puissance », observez-vous…
« D’abord, il y a une réalité démographique : au XIXe siècle, l’Europe concentrait 25 % de la population mondiale. Aujourd’hui, elle en rassemble à peine 8 %. Ensuite, il lui est très difficile de se projeter comme une puissance parce que le projet européen n’est pas à l’origine un projet politico-militaire, ce qu’est fondamentalement, par exemple, la Ve République. La construction européenne, elle, est historiquement l’alliance du vaincu de 1940, la France, du vaincu de 1943, l’Italie, et du vaincu de 1945, l’Allemagne. « L’Europe puissance » est aujourd’hui un concept essentiellement français, même s’il est vrai que l’on constate, dans certaines capitales européennes, une prise de conscience face aux vides stratégiques créés par le désengagement américain. Vides qui laissent le champ à des pays comme la Russie ou la Turquie, qui sont à nos portes et adoptent des logiques de puissance régionale. »
[...]
> Lire l'entretien sur le site de Paris Normandie
Média
Partager