Guerre en Ukraine : « Malgré la nouvelle doctrine russe, le risque d'emploi de l’arme nucléaire n'est pas plus élevé qu'avant »
Alors que les alliés de Kiev s’interrogent sur la possibilité de frappes ukrainiennes sur le territoire russe avec des armes occidentales, Vladimir Poutine a présenté mercredi une révision de la doctrine nucléaire, dont les conditions sont «plus larges et plus précises», analyse Héloïse Fayet, chercheur au Centre des études de sécurité de l'Ifri et coordinatrice du programme Dissuasion et prolifération.
LE FIGARO - Vladimir Poutine a annoncé hier la révision de la doctrine nucléaire russe. Quels sont les principaux changements à retenir ?
Héloïse FAYET - Cette version orale de la doctrine devra être rédigée, puis publiée par décret présidentiel, comme la précédente en 2020. Certaines modifications pourraient donc y être apportées. La doctrine présente trois évolutions principales. D’abord, la clarification des liens entre la Biélorussie et la Russie. Désormais, toute attaque contre la Biélorussie sera considérée comme une attaque contre la Russie. Ensuite, l’attaque d’un État non-nucléaire contre la Russie avec le soutien d’une puissance nucléaire serait considérée comme une attaque commune pouvant susciter une réponse contre l’État nucléaire.
Enfin, une attaque aérienne de grande ampleur contre le territoire russe pourrait susciter une riposte nucléaire russe. Les conditions d’emploi du nucléaire sont donc plus larges, mais aussi plus précises qu’avant.
« L'agression de la Russie par tout État nucléaire, mais soutenu par un État nucléaire, sera considérée comme une attaque contre la Russie » . Cette phrase vise directement les soutiens de l'Ukraine. Pourquoi ?
Les États dotés de l’armée nucléaire se sont engagés officiellement, bien que de façon non contraignante (par le traité de non-prolifération des armes nucléaires de 1968, NDLR), à ne pas attaquer avec des armes nucléaires un État non doté. Avec cette modification, la Russie se donne la possibilité de riposter directement contre l’Ukraine ou un État qui la soutient en cas d’une attaque contre la Russie. Cependant, le processus de révision de la doctrine nucléaire russe a été long. Il n’a donc pas de corrélation directe avec l’offensive ukrainienne à Koursk.
Une menace « critique contre la souveraineté russe, même conventionnelle, constituera la base d'une réponse nucléaire ». Que traduit cette phrase de la dissuasion nucléaire russe ?
La formulation existait déjà. Il s’agit d’une atteinte à l’intégrité de l’État, avec des interprétations qui peuvent varier. Cette formule classique peut être retrouvée dans la formulation de la doctrine nucléaire française sur les «intérêts vitaux de la Nation». Cette qualification «d’atteinte à la souveraineté» est plus ambiguë car il est difficile de la qualifier. Mais on peut la voir comme une attaque conventionnelle de grande ampleur ou une tentative de déstabilisation de l’État qui amène à une désintégration de l’État russe. Ce n’est pas lié à une conquête territoriale, comme celle dans l’oblast de Koursk par les Ukrainiens, mais plutôt une invasion du territoire russe avec un soutien de l’Otan qui a priori n’arrivera pas, tout comme une invasion du territoire de l’Otan par la Russie.
Comment cette évolution doctrinale peut-elle influer sur le soutien militaire à l'Ukraine ?
Le principal destinataire de ce changement de doctrine est le grand public en Occident. Il vise aussi les politiques occidentaux pour leur rappeler les grands principes de la dissuasion nucléaire russe, pour raviver cette dissuasion. Poutine ne comprend pas pourquoi l’Occident continue de soutenir l’Ukraine. Il veut donc à la fois raviver sa dissuasion et relancer des débats sur le soutien à l’Ukraine. Le soutien français ne devrait pas faiblir car la France est un État doté qui a les moyens de lancer un dialogue stratégique avec la Russie. D’autres États non dotés peuvent être visés, comme l’Allemagne. Berlin est déjà assez frileux pour livrer des missiles de frappes dans la profondeur (TAURUS, NDLR). Il faut donc craindre des restrictions supplémentaires dans le soutien à l’Ukraine, pourtant crucial pour lui permettre de remporter la guerre.
Quel message veut envoyer Vladimir Poutine ?
Trois publics sont visés dans ce discours nucléaire : l’opinion publique russe pour lui rappeler qu’elle est une grande puissance, et contrebalancer l’échec du Sarmat (un missile balistique intercontinental qui a explosé en vol le 21 septembre, NDLR), l’opinion publique occidentale et les politiques occidentaux. Il s’agit de maintenir un dialogue dissuasif entre l’Otan et la Russie en essayer de rappeler que Moscou n’acceptera pas certaines choses et que l’Otan doit évaluer une possible prise de risque. Toutefois, le risque d’emploi n’est pas plus élevé qu’avant.
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>Lire l'entretien intégral sur le site du Figaro (réservé aux abonnés).
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