Guerre en Ukraine : peut-on vraiment croire à un accord de paix avec la Russie, comme le laisse penser Poutine ?
Alors que Moscou excluait toute discussion du fait de l'offensive ukrainienne d'août contre la région de Koursk, le président russe a affirmé jeudi qu'il était disposé à des pourparlers avec Kiev. Une stratégie destinée à satisfaire l'opinion russe et à obtenir un maximum de gains par une paix temporaire.
Véritable volonté d’ouverture, ou manœuvre stratégique ? Le président russe Vladimir Poutine s’est prononcé en faveur d’une reprise des négociations avec l’Ukraine lors d’un discours prononcé au forum économique de Vladivostok. « Sommes-nous prêts à négocier avec eux ? Nous n’avons jamais refusé », a assuré, jeudi, le chef de l’État russe. Une déclaration surprenante, alors même que Moscou excluait jusqu’alors toute discussion avec Kiev et ce, notamment, depuis le lancement de l’opération ukrainienne sur le territoire russe, en août dernier.
Ce revirement soudain s’adresse, en premier lieu, à la population russe. « Parler de paix, se positionner en interlocuteur responsable, permet à Vladimir Poutine de renforcer un imaginaire. Celui d’une Russie agressée, qui est prête à faire des compromis, estime Ulrich Bouna, analyste spécialiste de l’Europe centrale. Cette position, qui a toujours été affichée par Moscou, rejette la responsabilité de la guerre sur les Ukrainiens et rassure les Russes, qui subissent les conséquences de la guerre et seraient tout à fait satisfaits de voir le conflit prendre fin. »
Vladimir Poutine pose d’ailleurs une condition à la reprise des négociations : que les pourparlers se basent « sur les documents sur lesquels (l’Ukraine et la Russie) s’étaient entendus et qui avaient été (selon le président russe) de facto paraphés à Istanbul », au printemps 2022. Une référence à des discussions menées sous l’égide de la Turquie, quelques mois après le début de l’invasion russe, sans jamais aboutir. Moscou affirme qu’un compromis avait été trouvé entre les deux parties, mais que les Occidentaux ont poussé Kiev à rejeter l’accord. Ce qu’ont toujours démenti les principaux intéressés.
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Une stratégie sur le long terme
Une stratégie sur le long terme
Les documents n’ont jamais été publiés officiellement, mais prévoyaient – selon des éléments publiés dans la presse allemande et américaine – des garanties de sécurité pour Kiev qui aurait dû, en échange, renoncer à son intégrité territoriale, à une grande partie de sa puissance militaire, mais aussi à intégrer l’Otan. « De ce que je sais, aucun de ces documents n’a jamais été paraphé par l’Ukraine, car ils n’étaient tout simplement pas acceptables du point de vue de Kiev », affirme l’analyste, également spécialiste de l’Europe centrale, Denys Kolesnyk.
« À ce moment du conflit, la Russie a la main haute sur les négociations, car l’Ukraine n’a pas le sentiment de pouvoir inverser la tendance militairement, remet en contexte Ulrich Bounat. Mais le monde n’a pas encore conscience des massacres commis dans les territoires occupés, à Boutcha et Irpin, dans la grande banlieue de Kiev, et la découverte de ces crimes de guerre massifs va rendre impossible toute discussion. »
Pour Dimitri Minic, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri), le chef d’État russe, à défaut de pouvoir l’emporter frontalement, revoit ses ambitions à la baisse et inscrit sa stratégie sur le long terme : « S’il n’a pu atteindre ses objectifs maximalistes par cette guerre mal conçue et mal préparée, Poutine tente d’obtenir un maximum de gains par une paix temporaire puis poursuivra son objectif ultime (la soumission de l’Ukraine à la Russie) par d’autres formes de violence et, peut-être, par une nouvelle opération armée dans plusieurs années. »
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Vers un sommet pour la paix en novembre ?
Vers un sommet pour la paix en novembre ?
« L’ouverture discursive du Kremlin à la paix est une manœuvre destinée à favoriser l’effondrement de la volonté de l’Ukraine et de ses soutiens occidentaux (en particulier de l’Allemagne et des États-Unis) », juge encore ce spécialiste de la pensée stratégique russe, selon qui « Poutine espère déconnecter l’Ukraine de l’Occident et même dégoûter les Ukrainiens des Occidentaux, dont la protection et les actes n’ont pas été à la hauteur ».
Sous pression en Allemagne depuis la montée record des partis d’extrême droite et d’extrême gauche aux élections régionales, le chancelier Olaf Scholz estimait d’ailleurs dimanche qu’il « (était) temps » d’intensifier les efforts en faveur de la paix en Ukraine.À lire aussiMissiles balistiques, drones, blindés… comment l’Ukraine parvient à développer son propre armement.
Si Volodymyr Zelensky n’a pas daigné répondre au président russe depuis son discours de Vladivostok, il a dit de son côté vouloir préparer d’ici à novembre, date de l’élection présidentielle aux États-Unis, un plan qui servirait de base à un futur sommet pour la paix auquel le Kremlin doit être convié, en préalable à de futures discussions. L’Inde, mais aussi l’Arabie saoudite, pourraient accueillir ce congrès. Reste à savoir quelles concessions Kiev et Moscou seront prêts à faire.
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