Guerre en Ukraine : Pourquoi Vladimir Poutine s'est abstenu de faire une vraie déclaration de guerre
Pour le maître du Kremlin, une « opération militaire spéciale » en Ukraine n’est pas vraiment une guerre avec un pays indépendant de la Russie.
Dans la nuit ukrainienne, le bruit des bombes a soudain déchiré le silence d’angoisse qui étreignait Kiev depuis plusieurs heures. Crainte depuis plusieurs semaines, l’attaque de la Russie s’est concrétisée après une allocution de Vladimir Poutine avant l’aube à la télévision. Pour justifier l’envoi des chars et des obus, le président russe a évoqué une « opération militaire spéciale », quelques jours après s’être engagé pour un « maintien de la paix » dans les territoires séparatistes. Peut-on parler d’une vraie déclaration de guerre ? 20Minutes a passé son discours au crible avec l'aide de Julien Nocetti, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales.
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Est-ce une vraie déclaration de guerre ?
Ce n’est pas la première fois que Vladimir Poutine joue avec les mots.
« Depuis 2008, il y a un non-emploi délibéré du terme » dans toutes les opérations militaires russes, pointe Julien Nocetti, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri) et spécialiste de la Russie.
En Géorgie, la Russie avait ainsi prétendu répondre à une attaque de Tbilissi sur l’Ossétie du Sud, lors de laquelle des militaires russes de « maintien de la paix » ont été tués. Quelques années plus tard, Vladimir Poutine avait lui-même avoué l’existence d’un plan.
Ces « termes soigneusement choisis », parfois grossiers comme lorsqu’il parle de « politique génocidaire », visent à « créer de la stupeur chez l’adversaire » et à « perturber la perception chez les Occidentaux » de l’état réel du conflit, explique Julien Nocetti. Ainsi, la réponse internationale est plus lente à prendre, ce qui permet à la Russie de « maîtriser le double tempo militaire et diplomatique ».
Les propos de Vladimir Poutine laissent également à la Russie un « registre d’actions dans la zone grise » considérable, notamment sur le plan des cyberattaques.
Quelles implications ont ces subtilités ?
En « restant sous le seuil du conflit ouvert », Vladimir Poutine se met à l’abri d’un « déclenchement du droit international », mais aussi d’une réponse militaire d’un pays tiers. Car il y aurait cette fois bien une guerre, dans laquelle Moscou pourrait « se poser en victime », note Julien Nocetti. A l’inverse, le flou sur l’ampleur de l’opération militaire russe permet au maître du Kremlin d’agir à sa guise.
Le chercheur craint « une occupation du pays et un renversement du pouvoir » en place. Dans son discours, Vladimir Poutine « délégitime la nature d’Etat indépendant de l’Ukraine », estime-t-il. Ce refus de l’emploi du mot « guerre » peut être analysé par ce prisme, comme si l’Ukraine n’était pas un vrai pays extérieur à la Russie mais une simple province à faire rentrer dans le rang.
« C’est à resituer dans son projet néo-impérial, ce n’est pas nouveau mais ça prend une autre dimension avec le volet militaire », conclut Julien Nocetti.
Média
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