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Guerre en Ukraine : quelle serait la capacité de destruction d'une arme nucléaire tactique ?

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interviewée par Hugues Maillot pour

  Le Figaro
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En difficulté dans le Donbass et irritée par le soutien matériel des Occidentaux aux Ukrainiens, la Russie pourrait avoir recours à cette arme, moins destructrice qu'une arme nucléaire stratégique, mais redoutable sur un champ de bataille.

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Tir d'un missile ICBM Yars en 2017
Tir d'un missile ICBM Yars en 2017
Ministry of Defence of the Russian Federation
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Le refrain revient inlassablement depuis le début de la guerre. Dès le 27 février, en réponse aux premières sanctions occidentales, Vladimir Poutine avait « ordonné de mettre les forces de dissuasion de l'armée russe en régime spécial d'alerte au combat ». Une manière à peine voilée de promettre des représailles nucléaires à ceux qui interféreraient dans le conflit avec l'Ukraine. Depuis, le chef du Kremlin n'hésite pas à brandir cette menace suprême, sans jamais la nommer. Mercredi, devant les députés rassemblés à Saint-Pétersbourg, il a de nouveau évoqué « une frappe de réponse rapide » si un pays venait à « s'ingérer dans les événements ». « Nous avons pour cela des instruments que personne n'a aujourd'hui, et nous utiliserons ces outils si c'est nécessaire, je souhaite que tout le monde le sache », a insisté le dirigeant.

Si l'usage du nucléaire contre un pays membre de l'OTAN semble hautement improbable au vu de la spirale infernale que cela engendrerait, la Russie pourrait être tentée de recourir à l'arme nucléaire tactique en Ukraine. En difficulté sur le terrain, irrité par les livraisons d'armes occidentales, Vladimir Poutine a le choix de cette option radicale pour emporter la décision sans déclencher une Troisième Guerre mondiale.

Des armes utilisables sur le champ de bataille

Car il existe deux types d'armes nucléaires dans l'arsenal russe. L'arme stratégique d'abord, qui sert à entretenir la dissuasion, « capable de détruire complètement l'ennemi », explique Olivier Lepick, chercheur associé à la FRS et expert en armement. « Si on s'en sert, tout le monde a perdu », souligne-t-il.

  • La référence russe en la matière, le missile balistique intercontinental RS-24 Yars, pourrait emporter quatre ogives nucléaires pour un total de 400 kilotonnes,
    précise Héloïse Fayet, chercheuse à l'Ifri et coordinatrice du programme Dissuasion et prolifération.

À titre d'exemple, si une telle arme était projetée en plein coeur de Paris, elle raserait la capitale jusqu'à sa périphérie, causerait des dégâts sur plus de 230 km² et tuerait plus de 700.000 personnes, pour 1,2 million de blessés, selon le simulateur NukeMap.

Mais depuis plusieurs années, la Russie et les États-Unis développent également des armes nucléaires tactiques, ou non stratégiques. «Ce sont des armes d'emploi, potentiellement utilisées sur le champ de bataille», définit Olivier Lepick.

  • «Elles sont utilisées dans un but tactique, pour gagner une bataille, pour détruire une colonne de chars ou pour percer des défenses par exemple», abonde Héloïse Fayet. La distinction entre ces deux catégories d'armes nucléaires existe depuis leur création mais s'est cristallisée avec «le premier traité de réduction des armes stratégiques Start en 1991», précise la chercheuse. «Dès qu'on a eu besoin de limiter le nombre d'armes possédées par tel ou tel pays dans le contexte post-guerre froide, il fallait imposer un seuil de puissance et de portée pour les classifier», ajoute-t-elle.

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Outre la puissance, les conditions d'emport varient selon l'usage. Les charges nucléaires à visée stratégique sont aujourd'hui quasi exclusivement transportées par missile balistique intercontinental depuis un silo terrestre ou sous-marin. En France, elles sont également emportées par des missiles de croisière depuis des avions. L'arme nucléaire tactique peut, elle, varier les supports et être larguée par des bombes ou propulsée par des missiles balistiques ou de croisière, de courte ou moyenne portée, qui transportent habituellement des munitions conventionnelles. Des systèmes de missiles comme l'Iskander russe peuvent ainsi être à double usage.
 
  • «Ils sont aujourd'hui employés en Ukraine avec des charges conventionnelles mais pourraient accueillir une tête nucléaire, souligne Héloïse Fayet. La charge est adaptée en fonction de l'objectif».

Plusieurs scénarios envisageables

Parmi les 6000 ogives nucléaires que posséderait aujourd'hui la Russie – d'après la Fédération des scientifiques américains (FAS), spécialisée en sécurité stratégique – 2000 sont soupçonnées d'être dévolues au nucléaire tactique, rapporte Olivier Lepick. Pour emporter la décision sur le champ de bataille, Vladimir Poutine pourrait être tenté de les utiliser, afin de causer suffisamment de dégâts sans engager son pays dans un conflit plus large, qu'il ne pourrait gagner. Plusieurs événements sont susceptibles de déclencher un tel scénario. Un missile nucléaire tactique pourrait être utilisé pour «suppléer l'armée russe si elle est trop en difficulté», estime Héloïse Fayet.

  • «Imaginons que l'Ukraine lance une contre-offensive dans le Donbass : la Russie pourrait répliquer avec une frappe nucléaire», se projette-t-elle. Le Kremlin pourrait également ordonner une telle attaque «contre une cible civile ukrainienne, pour casser la motivation».

"Le Kremlin pourrait décider de frapper un convoi d'armement sur le sol ukrainien ou une cible otanienne en Pologne.",
Héloïse Fayet, chercheuse à l'Ifri

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Les livraisons d'armes occidentales, de plus en plus massives et qualitatives, pourraient également servir de motif à la Russie. «Il peut y avoir une ligne rouge de fournitures d'armements à ne pas franchir», juge Héloïse Fayet. Le Kremlin déciderait alors de frapper «un convoi d'armement sur le sol ukrainien», imagine la chercheuse. Pire, il pourrait viser «une cible otanienne en Pologne, sur un site que Poutine considérerait comme hostile ou menaçant». Mais cette dernière option, la plus «escalatoire», obligerait l'Otan à entrer en guerre, conformément à l'article 5 du Traité de l'Atlantique nord.

Coup de bluff ou réelle menace ?

Tous ces scénarios tiennent évidemment de la prospective. «C'est extrêmement peu probable que Vladimir Poutine utilise une arme nucléaire tactique», tempère Héloïse Fayet. «Aujourd'hui, rien n'indique que ce type d'événements va se produire», abonde Olivier Lepick, qui rappelle que «Poutine est coutumier des discours belliqueux». «Il bombe le torse à destination de l'opinion publique russe et aime valoriser de manière virile la technologie et l'arsenal nucléaire de son pays», juge-t-il, Que lui apporterait, en outre, une telle manœuvre ? «L'effroi, une condamnation unanime de la communauté internationale, la perte de ses derniers alliés…» énumère le chercheur à la FRS. D'un point de vue purement pratique, «une frappe nucléaire dans le Donbass rendrait également inoccupable une zone convoitée par les Russes», ajoute-t-il. D'autant que les retombées radioactives, qui dépendent de la puissance de la charge, peuvent rester en suspension à la surface pendant plusieurs semaines et rendraient les lieux hostiles pour une longue durée. Pour Olivier Lepick, les menaces de la Russie tiennent donc plus d'un «marqueur de désarroi stratégique que d'une réelle volonté d’utiliser ce type d'arme».

Si l'hypothèse paraît improbable, les États-Unis restent méfiants. Le directeur de la CIA, William Burns, a récemment alerté sur la possibilité de l'emploi de telles armes par les Russes : «Étant donné le désespoir probable du président Poutine et des dirigeants russes, personne ne peut prendre à la légère la menace posée par un potentiel recours à une arme nucléaire tactique».

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> Lire l'intégralité de l'article sur le site du Figaro (accès réservé aux abonnés).

 
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Héloïse FAYET

Héloïse FAYET

Intitulé du poste

Chercheuse, responsable du programme dissuasion et prolifération, Centre des études de sécurité de l'Ifri

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Tir d'un missile ICBM Yars en 2017
Ministry of Defence of the Russian Federation