La Chine à la conquête de l'espace
Un robot sur Mars au mois de mai, une station spatiale en cours de construction – des taïkonautes, c’est le nom des spationautes chinois, devraient s’y rendre en juin ; un projet de base lunaire avec la Russie… Ces derniers mois, le programme spatial de l’Empire du milieu est de plus en plus visible, et donne des sueurs froides au reste des poids lourds de l’espace, particulièrement aux Américains.
En fait, le programme spatial chinois est loin d'être récent : il date de la fin des années 50. Avant même le lancement du premier satellite russe Spoutnik, Mao Zedong estime en 1956 que la Chine doit devenir une puissance spatiale pour « être reconnue au sein des grandes puissances, et être présente dans le nouveau monde qui est en train de s'ouvrir », explique Isabelle Sourbès-Verger, directrice de recherche au CNRS et autrice de Un empire très céleste : la Chine à la conquête de l'espace. Mais la Chine, qui doit déjà faire face à un important retard économique et technologique, est ensuite confrontée à la Révolution culturelle, au moment où se met en place son premier programme de lanceur, avec comme conséquence « là encore une désorganisation des équipes technologiques et scientifiques, et donc c'est dans ce contexte très troublé que la Chine va réussir le lancement de son premier satellite en 1970 ».
Les trois piliers de la politique spatiale chinoise
C'est véritablement à partir des années 80 et l'arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping, et de sa politique de réformes et d'ouverture, que le programme spatial chinois peut véritablement prendre son envol, et se structurer autour de programmes « bien structurés et surtout ambitieux, avec des budgets beaucoup plus importants », explique Marc Julienne, chercheur à l’Ifri et auteur de l'étude L'ambition de la Chine dans l'espace. Depuis, Pékin rattrape son retard, avec des objectifs précis, dont le premier a toujours été le développement économique et social du pays : « La Chine n'a jamais eu les infrastructures terrestres que nous pouvons connaître dans les pays développés », souligne Isabelle Sourbès-Verger, « que ce soient les télécommunications ou les outils d'aménagement et de gestion du territoire. Or la Chine est un pays immense, avec une très grande population, qui est parfois dans des zones d'accès difficile. » Et les retombées du programme spatial sont nombreuses - observation de la terre, télécommunications, télévision publique, météo, etc.
Le deuxième aspect du programme, « c'était la défense nationale », explique Marc Julienne, soulignant le caractère « dual » des applications spatiales, à la fois militaires et civiles. Il s'agissait donc pour Pékin de « défendre le pays contre des invasions extérieures, et la puissance américaine et russe à ses frontières ». Enfin, un troisième pilier est venu se greffer, « et qui est l’un des plus importants aujourd’hui » note le chercheur : « la compétition entre les grandes puissances. Les ambitions et les réalisations dans l’espace montrent la grandeur d’une puissance sur terre : pour la Chine, le spatial est une des voies de ses ambitions pour devenir une grande puissance mondiale. »
Une ambition qui inquiète
De fait, les autres grandes puissances spatiales s'inquiètent de l’avancée du programme chinois. La Russie voit cette montée en puissance avec « une appréhension mitigée », estime Isabelle Sourbès-Verger : « Ce qui l'ennuie, c'est qu'il y a un grand projet politique derrière le spatial chinois. Or la Russie, qui a eu longtemps dans ce domaine des technologies bien supérieures à celles de la Chine est, elle, en déficit de projet politique », et ne présente pas ces dernières années de grandes réalisations spatiales. Moscou s'allie donc avec Pékin (avec par exemple un projet de base sur la face cachée de la lune), mais « risque bien de passer de premier à second, ce qui n’est pas très agréable pour l’orgueil national quand on a connu la grandeur de l’Union soviétique. »
Pour ce qui est de l'Inde, elle a elle une position de « défiance » vis-à-vis de la Chine, en particulier pour ce qui est de l’influence régionale en Asie : New Delhi essaie donc de contrecarrer l’influence chinoise en proposant elle aussi aux autres pays asiatiques des coopérations spatiales.
L’Europe, elle, est « ennuyée », explique Isabelle Sourbès-Verger : si la Chine continue de développer ses capacités commerciales, en particulier la fabrication de satellites, « elle sera potentiellement un compétiteur sur le marché commercial des lancements, où il y a déjà les lanceurs américains ».
Enfin les plus inquiets sont peut-être les Américains : inquiets de voir la Chine acquérir de nouvelles compétences dans ce qui a longtemps été pour eux « une chasse gardée », et qui redoutent de se faire déloger de la première place. Ils tentent donc essaient de freiner leur adversaire.
Mise à l'écart
À la demande des Américains, la Chine ne peut pas envoyer de taïkonautes sur l'ISS, la station spatiale internationale : « Il y a une crainte aux États-Unis d'un rattrapage technologique de la Chine », explique Marc Julienne, « et faire participer la Chine, c'était d'une certaine manière l'aider pour développer son programme spatial, avec des possibilités de fuite de savoir-faire et de technologies. » Pékin ne peut donc pas non plus lancer de satellite fabriqué avec des composants américains – par exemple les satellites fabriqués en Europe ou au Japon avec ces composants. Et en 2011, le Congrès américain a voté une loi pour interdire à la Nasa de coopérer avec des institutions ou des entreprises chinoises dans le domaine spatial. « Il y a véritablement une mise à distance des technologies spatiales américaines, en gros depuis Tiananmen », note Isabelle Sourbès-Verger, qui souligne que le budget américain reste quand même très supérieur aux estimations du budget chinois, qui serait de l'ordre de 15 à 20 milliards de dollars, pour un budget spatial Américain de plus de 50 milliards de dollars.
Mais cette mise à l'écart de la Chine pour éviter un rattrapage l'a en fait favorisé, obligeant Pékin à se débrouiller en grande partie seul. La Chine, qui voulait faire de la recherche en orbite en condition d'apesanteur, a ainsi développé sa propre station spatiale (CSS). Une station en cours d'assemblage qui pourrait très bien les mettre en position de force dans les années à venir, car l'ISS arrive en fin de vie d'ici quelques années. « La station chinoise pourrait devenir la seule station spatiale, en tout cas étatique, pour de la recherche scientifique en orbite terrestre d'ici la fin de la décennie », remarque Marc Julienne. Les Russes et les Américains ont certes leurs propres projets (une station en orbite lunaire pour les États-Unis), mais la station chinoise sera elle rapidement achevée, d'ici 2022. Pékin a annoncé l'ouverture de cette station à la coopération internationale, vraisemblablement en direction des pays en développement comme le Pakistan, et la Russie. Mais ce sera à ses conditions, note Marc Julienne. Si l'ISS était une station internationale (États-Unis, Russie, Japon, Canada et onze pays européens), qui fonctionnait à partir de traités signés entre gouvernements, la nouvelle station sera, elle, exclusivement chinoise, et donc la coopération annoncée se fera « au bon vouloir et sous les conditions édictées par la Chine ». Elle pourra ainsi servir à Pékin de « levier diplomatique sur d'autres dossiers politiques, économiques, qui n'ont rien à voir avec l'espace ».
Désarmement spatial
Par ailleurs, les Chinois essaient eux aussi de brider les possibilités spatiales de leur adversaire. Avec les Russes, ils proposent depuis de nombreuses années à l'ONU un projet de traité « pour prévenir la course aux armements dans l’espace ». Les États-Unis comme la France s'y opposent. Washington dénonce une certaine mauvaise foi car, rappelle Marc Julienne, Pékin et Moscou disent dans le même temps « il faut désarmer et interdire le placement d’armes en orbite » et « on en développe », avec comme argument : « tant que les États-Unis en développent, il faut que l’on se défende ». La Chine et la Russie ont donc des programmes dans les missiles antisatellites tirés depuis la terre, les lasers, les armes électromagnétiques... Et, autre ambiguïté, ne disent pas si elle s'en débarrasseront une fois le traité signé. D'ailleurs, l'un des problèmes majeurs pour les États-Unis dans cette proposition de traité, c'est l'absence de mécanisme de contrôle une fois le texte signé – un mode de vérification pourtant courant dans les traités internationaux ( sur les armes nucléaires par exemple ).
Précisons que ces armes sont encore en développement, et sont, pour celles que certains pays maîtrisent déjà, très difficiles à déployer (la destruction de satellite par exemple).
Au-delà de la « menace » dénoncée par Washington, Marc Julienne note que le succès du programme chinois aura agi comme un électrochoc pour les Européens. L'Europe est une puissance spatiale qui ces dernières décennies a eu des difficultés à se renouveler, alors que le développement de la Chine a été « fulgurant ». Aujourd'hui, elle se veut plus ambitieuse pour ne pas se laisser distancer, et développer dans le futur une dépendance vis-à-vis de Pékin, de Washington ou d'autres acteurs. Thierry Breton, le commissaire européen à l'espace, a ainsi récemment annoncé un projet de constellation (un ensemble de satellites) européenne pour l'internet basé dans l'espace.
> Retrouver l'article sur le site de RFI.
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