La Chine tire de premières leçons militaires des difficultés russes en Ukraine
Les déconvenues de Moscou forcent Pékin à revoir sa stratégie face à Taïwan, selon des experts. Un ancien ambassadeur chinois a récemment critiqué le « déclin » militaire russe avant d’être censuré.
Les experts chinois des questions militaires restent pour l’heure très silencieux sur la guerre en Ukraine. Le quotidien de l’Armée populaire de libération (APL), l’Université de défense nationale ou l’Académie chinoise des sciences sociales, proche du parti, n’ont pas produit d’analyses officielles, ce qui peut s’expliquer par la politique ambiguë de soutien choisie par le président Xi Jinping vis-à-vis de son partenaire russe, Vladimir Poutine.
« Il est néanmoins certain que les Chinois regardent de près de nombreux aspects du conflit et en tirent des leçons », estime Mathieu Duchâtel, de l’Institut Montaigne. Au moins pour une raison : « Avec cet échec complet d’un blitzkrieg appuyé par 1 500 missiles pour vaincre en trois jours, il est sûrement nécessaire de repenser complètement, pour Taïwan, un tel scénario, censé supprimer l’appareil de défense adverse, mettre en place la supériorité aérienne et parvenir à une capitulation immédiate avant que les Etats-Unis n’interviennent. »
Au regard du grand principe de la guerre, « connais ton ennemi et connais-toi toi-même », l’échec russe ne peut qu’étonner Pékin, à l’instar des capitales occidentales. Sur le plan opérationnel, la campagne d’invasion russe a même violé les trois autres « fondamentaux » de la doctrine offensive chinoise, relève David Finkelstein, directeur des affaires de sécurité pour la Chine et l’Indo-Pacifique au centre américain CNA d’Arlington : ceux de la surprise, de la coordination unifiée des opérations et de leur soutien global (logistique et politique).
« Les trois guerres »
Cet ancien officier relève, le 2 mai, sur le blog « War on the Rocks », que ce n’est pas l’agresseur, Vladimir Poutine, mais le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui pratique parfaitement les « trois guerres » définies par le Parti communiste chinois (PCC), à savoir la « guerre de l’opinion publique », la « guerre psychologique » et la « guerre du droit ». Sous l’autorité des commissaires politiques du PCC, « les analystes de l’Armée populaire de libération vont porter une attention importante aux dimensions cognitives et humaines de cette guerre, et ils vont lire les rapports sur le piètre moral des troupes russes, le manque de discipline dans les communications sur le terrain, et les accusations de crimes de guerre », assure M. Finkelstein.
En face, l’Ukraine agressée résiste, depuis l’invasion du 24 février, comme une nation en armes. « La question, pour la Chine, est donc celle de la détermination d’une population taïwanaise qui pourrait s’organiser en une longue guérilla sur toute la côte ouest de l’île face à un débarquement », souligne Mathieu Duchâtel.
Dans une intervention remarquée, brièvement retranscrite le 10 mai par le média chinois Phoenix News, mais aussitôt censurée, l’ex-ambassadeur de Chine en Ukraine, Gao Yusheng, a vertement exposé le « déclin évident » de la Russie depuis la fin de la guerre froide. Selon lui, ce dépérissement a un impact direct sur l’effort de guerre actuel de Moscou, et va se poursuivre. « La force économique et financière de l’armée russe, qui n’est pas à la mesure de sa soi-disant superpuissance militaire, ne pouvait pas soutenir une guerre high-tech coûtant des centaines de millions de dollars par jour », assure ce diplomate à la retraite, qui s’exprimait dans un séminaire interne de l’Académie chinoise des sciences sociales.
« Position passive »
Pour Gao Yusheng, « les guerres modernes sont nécessairement des guerres hybrides, couvrant les domaines militaire, économique, politique, diplomatique, l’opinion publique, la propagande, le renseignement et l’information. Non seulement la Russie est en position passive sur le champ de bataille, mais elle a perdu dans d’autres domaines. Ce n’est plus qu’une question de temps avant qu’elle soit définitivement battue ».
La relation Chine-Russie a toujours été marquée par une forme de condescendance, décrypte Marc Julienne, de l’Institut français des relations internationales :
« La situation en Ukraine ne peut que l’accentuer. La Chine se dit que Poutine pensait être puissant et que ce n’est pas le cas. Pour elle, l’armée du futur, c’est la sienne. Il n’y avait pas de doute, côté chinois, sur la qualité des équipements russes, car ils ont montré des capacités importantes sur des théâtres comme la Syrie, et les Russes ont vendu leurs systèmes antiaériens ou leurs avions de combat à de nombreux pays ».
Cela n’empêche pas que des leçons plus concrètes soient tirées des combats en cours, pour les équipements de l’APL.
La première concerne les performances des missiles portatifs antiaériens et antichars (Stinger et Javelin) fournis par les Etats-Unis à l’Ukraine. Ils ont été capables d’infliger de gros dégâts, notamment en abattant des avions de combat SU-30 et SU-35, que la Chine utilise elle aussi.
« C’est probablement une révélation pour les Chinois, comme pour les Taïwanais », indique Marc Julienne.
Taipei a d’ailleurs demandé à Washington de lui fournir plus rapidement sa commande de 250 Stinger, dont la livraison risque d’être repoussée en raison de la tension subie par l’industrie de l’armement américaine… Le 7 avril, le South China Morning Post de Hongkong citait un analyste chinois, Zhou Chenming, qui commentait ainsi la destruction d’un SU-35 par Kiev : « Pour tirer les leçons de la situation, l’armée de l’air chinoise devra très attentivement identifier les problèmes mécaniques de ses propres SU-35 et améliorer leur maintenance. »
Le choc de la destruction du « Moskva »
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