La guerre contre le terrorisme islamiste
Dix après la mort de Ben Laden, vingt après les attentats de New York, on commence à faire le bilan de la guerre contre le terrorisme islamiste. Et il apparaît contrasté.
Les objectifs stratégiques affichés par Ben Laden n’ont pas été atteints mais la mouvance djihadiste internationale s’est renforcée. Selon une étude américaine de 2019 (Center for Strategic and International Studies), il y aurait deux à trois fois plus de combattants qu’en 2001.
Le constat est détaillé par deux chercheurs de l’Institut français des relations internationales, Marc Hecker et Elie Tenenbaum dans un livre publié chez Robert Laffont sous le titre La Guerre de vingt ans. Encore faut-il distinguer dans la galaxie djihadiste ceux qui ciblent la stabilité internationale et ceux qui ont des objectifs locaux, expliquent-ils dans Le Monde. Après le 11 septembre 2001 et la guerre en Afghanistan, il y aura l’Irak en 2003, avec des coups très durs portés à la hiérarchie d’Al-Qaida, "mais celle-ci s’adapte, notamment par la décentralisation, ce qui lui permet de commettre des attentats un peu partout dans le monde".
Le déclenchement de la guerre en Irak a été une erreur majeure de ces vingt dernières années. Elle a donné un nouveau souffle à la mouvance Al-Qaida et a déstabilisé durablement le Moyen-Orient.
Le chapitre suivant, c’est l’apogée du "califat" et la mise en œuvre de la "gestion de la barbarie" théorisée Abou Bakr Al-Baghdadi. Et la situation où nous sommes depuis 2018. "C’est la queue de la comète de cette guerre et le débat sur comment la clore, tandis que la mouvance djihadiste est dans une phase de transition après la perte du sanctuaire syro-irakien." Et là encore "deux erreurs majeures" sont signalées : "l’hyperextension de la guerre contre le terrorisme et l’usage de méthodes controversées, qui ont sapé ses fondements moraux, notamment à l’ONU", ainsi que l’absence totale de planification de l’après-guerre en Afghanistan comme en Irak, "qui n’a pas permis l’installation de régimes stables".
La France au Sahel
Pour d’autres raisons, la France se trouve aujourd’hui au Sahel dans une situation comparable, même si elle n’a "ni l’ambition ni les moyens de mener une contre-insurrection systématique".
Tant que les responsables politiques locaux ne répondront pas aux besoins des populations, il existera un terreau favorable aux insurgés et le contre-terrorisme risque de ressembler à un mythe de Sisyphe stratégique.
Car avec ses partenaires au Sahel, la France manque cruellement de projet politique alternatif, et se trouve sous contrainte des gouvernants africains. "Parallèlement, il y a un enracinement progressif des groupes djihadistes." Lesquels ont dû évoluer dans leur stratégie, sachant "que la réponse sera massive si jamais ils franchissent une ligne rouge comme la constitution d’un sanctuaire permettant de préparer des attentats à l’étranger". En tentant d’imposer leur ordre par la terreur, ils se sont mis les populations à dos et "n’ont pas su passer de la phase de guérilla à la gestion territoriale".
Une rhétorique anti-française
Reste que, comme le souligne Jean-Pierre Filiu dans son blog, si le chef d’Al-Qaida n’accordait qu’une place secondaire à la France par rapport aux États-Unis dans sa campagne de terrorisme, ce n’est plus le cas de son successeur. Le GSIM (Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans), la branche la plus active du réseau, développe une rhétorique anti-française acharnée, poussant "une part croissante de l’opinion locale à croire que le calme reviendrait avec le départ des Français, comme si ceux-ci n’étaient pas intervenus en janvier 2013 pour endiguer une offensive jihadiste sur Bamako". Ce groupe semble incapable de frapper le territoire français, contrairement à Daech. Mais "les réticences des membres de l’UE à rejoindre la force européenne au Sahel, à laquelle ne contribuent que la Suède, l’Estonie et la République tchèque, découlent de cette conviction que la crise au Sahel serait un défi français plutôt qu’européen". Et en cela au moins, la propagande d’Al-Qaida a porté ses fruits.
La "destructivité"
Pour faire barrage à celle qui sévit sur notre sol, Daniel Oppenheim tente de percer les causes et les mécanismes de la séduction qu’elle peut opérer sur certains jeunes. Le psychiatre et psychanalyste dont les travaux ont porté sur la barbarie collective et ses séquelles publie aux éditions C&F un ouvrage éclairant intitulé Le désir de détruire. Comprendre la destructivité pour résister au terrorisme. Face au "grand récit" proposé par la propagande, il suggère notamment d’investir le terrain qu’elle cherche à occuper : "celui de la religion et d’une contre-culture".
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